9 août 2024, 23:55

ALCATRAZ FESTIVAL

@ Courtrai (Jour 1)


55 000 metalheads, un record, se sont pressés cette année à l’Alcatraz. Le samedi a notamment accueilli une véritable marée de près de 20 000 personnes, ravis de braver un soleil de feu pour recevoir leur dose de décibels. Avec quatre scènes, une programmation d’une grande richesse et un environnement sain, le festival de Courtrai offre trois jours de bonheur intense ; devant notre anglais hésitant, même les Flamands nous parlent en français, c’est dire ! Ici, pas – ou très, très peu – de touristes mais de vrais fans de metal. Il reste à espérer que l’événement cessera là sa croissance pour ne pas perdre sa dimension humaine... et que les prix, des boissons aux parkings, arrêteront de croître.

Vendredi, sous un ciel gris et pluvieux, les locaux DYSCORDIA (Prison Stage, 11h20/12h00) lancent cet Alcatraz 2024. Les musiciens, plutôt statiques, assènent leur metal mélodique, tantôt rugueux, tantôt quasi progressif, avec conviction mais sans guère convaincre... excepté leur quarteron de fans. Dès ''Endgame'', le troisième titre, il est temps de leur dire au-revoir pour se rendre sous le grand chapiteau de la Swamp Stage, là où se produisent en majorité les groupes de black et death metal. Ce choix s’avère judicieux tant DUDSEKOP, entre 12h00 et 12h40, dès son intro tout en lourdeur et majesté, assène un black convaincant. Issus pour certains de la scène hardcore, les musiciens originaires d’Ypres imposent une pesanteur étouffante, fruit du travail intelligent de la section rythmique, traversée d’accélérations bien senties et de quelques plans heavy. Le chanteur, charismatique et imposant, brille d’une aura glaciale qui se marie à merveille aux morceaux hantés et aux lights parsemées de flashs.Le guitariste déclame quant à lui des paroles dans le dialecte de sa ville natale, accentuant le côté mystérieux d’une prestation à la froideur toute norvégienne basée sur l’excellent dernier album du groupe, « Wuk Emme Nog Van Leven ».


Le temps de reprendre ses esprits après cette déflagration et SKELETAL REMAINS (Swamp Stage, 13h10/13h55) s’empare de la scène devant un backdrop horrifique à l’effigie de son dernier album, « Fragments Of The Ageless », sorti en mars dernier. Bien qu’originaires de Californie, les gaillards proposent un death old-school qui sent bon la Floride, l’ange morbide et le cadavre cannibale. Les relents de marais putrides se dégagent des morceaux plus lents qui permettent de rompre la monotonie des titres rapides, se ressemblant tant qu’il devient difficile de les différencier. Le récent ''Relentless Appetite'', entre riffs saccadés, blasts, double pédale à foison – bravo au batteur ! – qui résonne dans les poitrines et hurlements possédés d’un chanteur caché derrière son épaisse chevelure, est l’exemple type de ce que proposent les Américains, jamais avares d’un solo. Malgré l’excellence technique des gaillards, le concert finit par traîner en longueur. Le rythme faiblit au fil des pauses bien trop régulières entre chaque composition. Si les premiers circle-pits naissent devant la Swamp, ils demeurent assez timides. Avec cinq minutes d’avance sur l’horaire prévu, SKELETAL REMAINS quitte les planches sous des applaudissements polis...

Après cette double dose de metal extrême, rendez-vous à la Morgue Stage. La plus petite scène du festival est l’antre, en ce samedi, des fans de stoner, même si UADA s’y produit aussi. Cet endroit, sans barrière ni service de sécurité, vibre d’une intensité particulière, entre moiteur et odeur d’herbe. Le public y est tout proche des artistes et a l’impression de se retrouver dans un club enfumé pour vivre des moments intenses. THE KILLBOTS, de 14h35 à 15h20, offre un de ces instants authentiques. Les Belges, actifs dans les années 2000, ont signé leur unique album en 2007 avant de disparaître. Revenus en 2023, ils débordent de joie de jouer. Complices, ils prennent un plaisir intense à offrir leurs compostions stoner-rock, très 70’s, gorgées d’un groove irrésistible et ornées de motifs grunge. Le guitariste-chanteur au magnifique t-shirt HIGH ON FIRE ne cesse de sourire et s’approche au plus près des premiers rangs quand le batteur, survolté et torse nu, se dresse derrière ses fûts pour haranguer la fosse. Le single ''We Have Lost Control'', véritable petite bombe issue du récent et incandescent « The Second Barrage », porte son titre à merveille. La longue montée en puissance de ''Heath'' est jouissive. Le concert, parsemé de poses rock et vrillé d’une intense énergie, trouve son apogée sur le long, spatial et hypnotique ''Tantra'' qui explose en une boule d’énergie.


La lumière du jour se fait aveuglante au sortir de cette parenthèse sidérale. Alors que SEPTICFLESH dédicace, ORDER ORGAN achève son set, devant un magnifique backdrop bleuté aux figures horrifiques, sur la paire ''Let The Fire Rain''/''The Things We Believe In''. Laissant les Allemands recueillir des vivats bien mérités, je regagne mon antre favori pour me placer tout près de la scène où FIRE DOWN BELOW (Morgue Stage, 15h55/16h40) s’apprête à se lancer. Dans des lumières jaunes et oranges envoûtantes, parfois nimbées de fumée, un écran diffuse des images psychédéliques d’espace, de motifs géométriques ou de routes au cœur du désert américain que le palpitant ''The Last Cowboy'' donne envie d’arpenter jour et nuit. Les quatre pistoleros mettent en avant leur excellent dernier disque, le bien nommé « Low Desert Surf Club », représenté par cinq titres, sur sept proposés. Le stoner des Belges se déploie en longues plages groovy (wahou la basse sur ''Airwolf'' !) qui s’aventure vers la surf-music (''Surf Queen'' ou la voix sur ''Cocaine Hippo''), sans oublier quelques explosions débridées. Le groupe incite un public électrique à se lancer dans des pogos et des circle-pits... et la réponse, affirmative bien sûr, est immédiate ! Quel voyage à cent à l’heure dans les terres arides d’une Californie gorgée de fuzz et de riffs aussi secs que rapides.


Retour ensuite sous la Swamp Stage pour assister, impatient, à la prestation des vétérans SADUS (17h15/18h05), connu notamment pour avoir longtemps accueilli en son sein le talentueux bassiste Steve DiGiorgio. Le backdrop avec le logo emblématique, nom du groupe en rouge et 'S' évoquant celui de SLAYER, replonge dans le passé, vers la fin des années 80, quand les Américains assénaient leur thrash avec une telle violence qu’il flirtait avec le death, voire le black tant les vocaux de Darren Travis évoquent ce genre. Cette agressivité jaillit dès le premier titre, le culte ''Sadus Attack'', tiré comme le tout aussi virulent ''Certain Death'', du premier album des Californiens, « Illusions » (1988). Le groupe finit de visiter ses heures lointaines par un medley ''Hands Of Fate''/''In Your Face''/''Goor Rid'nz'' mais offre aussi trois titres de sa dernière production, le solide « The Shadow Inside » (2023). Les quatre larrons s’amusent sur scène, à l’image du headbanging frénétique du bassiste aux dreadlocks interminables, ou des sourires du guitariste. Darren Travis n’est pas en reste, multipliant les attitudes metal avec ses acolytes. 50 minutes efficaces.


L’un des nombreux plaisirs des festivals est de passer d’une ambiance à une autre. Avec SEPTICFLESH (Swamp Stage, 18h45/19h45), nous entrons dans un univers inquiétant et majestueux, à l’image du backdrop tiré de la pochette de « Modern Primitive » au personnage inquiétant dans des teintes grises. Impression de fin du monde encore accentuée par les lights jaunes/orange dispensées avec à-propos dans une atmosphère théâtrale. Si les passages symphoniques sonnent parfois un peu cheap, si les « My friends » et « Are you ready ? » bien trop souvent répétés par Spiros Antoniou finissent par agacer, la lourdeur des guitares, l’implication des musiciens et la qualité des titres les plus anciens, comme un ''Anubis'', grandiose et mélodique, repris par le public, ou ''The Vampire From Nazareth'' rappellent le talent des Grecs... qui s’est hélas quelque peu évaporé sur leurs dernières sorties.

UADA (Swamp Stage, 20h20/21h15) offre une symphonie black metal en noir et blanc, seuls des flashs troublant l’obscurité, frappant les musiciens encapuchonnés. Le concert débute par un long sample avant que les Américains ne déploient leur black direct et mélodique... qui manque cruellement d’âme. Comme absents, ils enchaînent leurs longs morceaux qui font illusion durant une vingtaine de minutes, notamment avec l’enchaînement ''Djinn''/''In The Absence Of Matter''. L’écoulement du temps semble ensuite ralentir et la monotonie gagne une partie du public, lassé par les riffs assez pauvres et une batterie répétitive. Pas de transe, non, mais de la détresse. L’interminable ''Cult Of a Dying Sun'' conclut ce concert décevant.


Quel dommage ensuite de ne pas assister à l’intégralité de la prestation de SAXON (Prison Stage, 21h10/22h20). J’apprécie le récent ''Madame Guillotine'' puis savoure, surgie du passé, la doublette heavy metal ''Thunder''/Strong Arm Of The Law''. Que de frissons quand s’élève la voix de Biff, toujours merveilleuse en dépit des années qui passent, des 73 printemps de ce lion qui ne cesse de rugir. Merveilleux... mais je ne peux résister à l’appel de PARADISE LOST (Swamp Stage, 22h20/23h20) que je veux vivre au plus près de la scène.
Dans une noire sobriété, les Anglais, avec dix minutes de retard, débutent le concert dans la mélancolie et la douceur du magnifique ''Enchantment'', joyau de leur répertoire tiré de « Draconian Times », que beaucoup considèrent comme leur chef d’œuvre ; personnellement je préfère « Icon ». Greg Mackintosh aux faux-airs de Gandalf, se cache souvent derrière ses cheveux blancs quand Nick Holmes semble quelque peu fatigué. Même si sa voix reste précieuse, il ne distille pas ses habituels bons mots gorgés d’humour pince-sans-rire entre les morceaux. Certaines chansons, comme ''Hallowed Land'', ne brillent pas de leur magie habituelle, comme jouées sur la retenue. D’autres, telles ''Embers Fire'' ou le vénéneux ''No Hope In Sight'', sont de purs envoûtements, de forts sortilèges qui rendent le désespoir bouleversant. Le groupe visite sa discographie, remontant jusqu’à « Shades Of God », avec l’incontournable ''As I Die'', asséné un peu mollement, et ''Pity The Sadness'', et allant jusqu’au dernier né, « Obsidian », avec ''Ghosts'' en guise de conclusion. Bien sûr « Host » est évité... Bon « Medusa » est aussi boycotté. La reprise du ''Smalltown Boy'' de BRONSKY BEAT apporte un timide sourire dans ce concentré d’obsidienne.


Séchons nos larmes et buvons avec nos amis viking AMON AMARTH (Prison Stage, 23h20/00h50), tête d’affiche de cette première journée. Avec les Suédois, l’épique frôle le kitsch. Deux statues majestueuses, bras croisés sur une épée, trônent des deux côtés de la scène. La batterie est posée sur un casque géant. Johan Hegg chante de sa voix gutturale, bien sûr, mais combat aussi Loki avant d’affronter, en fin de spectacle avec bien évidemment un marteau géant, un dragon. Deux soldats en armure, eux, agitent sans cesse des drapeaux. Ces ornements, couplés à de réguliers jets de flamme, forment un théâtre pas loin du grand-guignol... mais ne nuisent pas à la performance des guerriers venus du Nord. Leurs chansons à l’efficacité indéniable, à la puissance jamais démentie entraînent la foule. Les fans se régalent d’entrée de la férocité d’un vol du corbeau, accompagnent les musiciens à la poursuite des vikings, scandent leur amour des chèvres (''Heidrun'') ou le « Fight till death » de ''Shield Wall'', reprennent les chœurs de ''Raise Your Horns''. Soli – toujours jouissif celui d’un ''Twilight Of The Thunder Gods'' grandiose en guise de clap de fin – clins d’œil heavy, passages plus menaçants (''Gardians Of Asgaard'') enrichissent le death mélodique et véloce d’une formation à la mise en place impeccable, menée de main de maître par son imposant leader.


Afin de finir en beauté sombre et romantique ce vendredi, un dernier passage sous la Swamp Stage s’impose pour assister à la seconde partie du concert de CRADLE OFF FILTH (00h20/1h30). J’arrive juste à temps pour un ''Dusk And Her Embrace'' – joie ! – nimbée de bleu et de mauve. La batterie, protégée d’un paravent en plexiglas, est décalée côté jardin pour permettre à Dany de jouer avec la profondeur de la scène. Côté cour se trouvent les claviers de Zoe Marie Federoff dont les magnifiques parties vocales se marient en une union impie avec les cris aigus du chanteur. ''Her Ghost In The Fog'' et, bien sûr, ''From The Cradle To Enslave'' font tomber le rideau d’un premier acte de l’Alcatraz de toute beauté. Vivement demain !
 

Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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