3 juin 2017, 22:44

DANZIG

• "Black Laden Crown"

Album : Black Laden Crown

Glenn, tu nous as fait extrêmement peur avec ton foutu « Skeletons » il y a deux ans. Annoncé depuis des lustres, cet album de reprises s'était révélé aussi insipide que peu inspiré, horriblement mal produit (guitares grésillantes comme un grille-pain en fin de vie), abominablement faible et poussif.
Pourtant, pour ta seconde venue en France lors du Hellfest 2013 (la première n'était, rappelons-le, qu'en 1992 !!!), tu nous avais démontré que tu avais encore un bon paquet de cojones sous ta courte bedaine, épaisse et bodybuildée : ce show dantesque a été d'une fureur absolument démoniaque et, oui, nous avons souffert en essayant de rester à flot dans le mosh-pit, ballotant à travers les corps sans que les pieds ne touchent le sol de la Valley, essayant tant bien que mal de s'agripper aux épaules de devant pour rester aussi proche que possible de ta présence, particulièrement charismatique. D'autant plus éloquente et énigmatique que tu te fais si rare (techniquement, la Vierge apparait finalement bien plus souvent en nos terres que toi), et que ton patrimoine, des MISFITS à SAMHAIN et bien évidemment à travers toute ta carrière solo dans son grand ensemble, est indiscutablement cultissime. Au point que je te porte depuis toutes ces années dans mon Top 5 - et je suis ravi que tu t'en réjouisses.

Mais même si l'on excepte ce « Skeletons », infâme bouse sans nom (pire encore que le « Undercover » d'Ozzy enregistré sous Prozac à bout de souffle après quatre saisons de The Osbournes), tes derniers albums solo n'ont pas non plus été totalement à la hauteur de ce que l'on attendait de toi - ok, « Deth Red Sabaoth » était très convenable, mais un tel adjectif peut-il décemment s'appliquer à un artiste de ta stature ?

En attendant que tu ne corriges définitivement le tir avec ce nouveau disque de reprises, cette fois exclusivement d'Elvis Presley que tu annonces aussi depuis mille ans, savourons ce dixième véritable album solo, « Black Laden Crown », que l'on attendait lui aussi, très, trop, patiemment, depuis 2010 tout de même.

Le morceau-titre "Black Laden Crown" s'avère être une longue litanie, une introduction bien funéraire et dans un esprit radicalement doom, qui avance dans un corridor macabre, encadré de servants encagoulés sous d'épaisses toges de bure noire, et porteurs de torches. Mise en scène imaginaire dépeinte par cette lenteur sabbathienne ainsi que par ces choeurs plaintifs et désespérés, façon refrains MISFITS revisités, psalmodiés, ralentis au maximum, las et si lugubres. Pourtant, le morceau prend à sa fin un virage inattendu et franchement velu, le riff venant trancher dans le vif façon "Dirty Black Summer" sur « Danzig III ».

Et sur le moment, ça rassure quelque peu : car s'il y a bien un disque qui fédère tous les fans de Danzig en solo, c'est bien ce troisième album magique, plus encore que les deux premiers, également produits par Rick Rubin lors de cette époque faste, qui s'achève avec le suivant en 1994. Depuis, malgré quelques bons morceaux disséminés ci et là de manière très inégale, Glenn Danzig n'a pas assouvi le fantasme des fans en livrant un chef d'oeuvre digne des quatre premiers.

La faute à une inspiration en berne, à des chansons parfois caricaturales, à des expérimentations hasardeuses un brin opportunistes pour l'époque (il y avait cependant une bonne moitié de bonnes choses sur l'indus « Blackacidevil »), à des productions en studio qui souffriront ad vitam de leur comparaison avec l'orfèvrerie du Rick Rubin de la bonne époque, mais aussi à cause de la voix même de Glenn Danzig, désormais enveloppée d'un léger voile qui la rend plus assagie, moins puissante, plus terne, moins menaçante et carrément moins impériale. Jadis capable de rivaliser à la fois avec Elvis Presley et Jim Morrison dans des effusions de guitares et une théâtralité sulfureuse qui entremêlait érotisme sophistiqué, ésotérisme et romantisme occulte avec un esprit résolument rock'n'roll, Glenn Danzig n'a par la suite brillé qu'au sein d'une deuxième division bien plus plate et consensuelle, le voyant usiter des artifices habituels de formations heavy-metal moins illustres, tout en sonnant fatigué et moins impliqué dans son art.

S'il n'a définitivement pas retrouvé le superbe de sa voix jadis si magique et envoûtante (n'est pas Ronnie James Dio qui veut - c'était une exception, on en convient), Danzig a au moins retrouvé une certaine niaque en livrant des chansons plus percutantes et même excitantes, comme ce "Devil On Hwy 9" absolument jouissif avec ses guitares hurlantes si caractéristiques, signature sonore définitive des riffs qui illustrent son univers.

Swing, blues et noirceur méphitique habitent ce "Last Ride" qui aurait pu à nouveau accompagner le générique d'un hypothétique quatrième volet de The Hangover, avec prises de vues aériennes en slow-motion de Las Vegas sous une chape de nuages anthracites. Et ça, après les "Thirteen" (sa propre reprise de la chanson qu'il avait composée pour Johnny Cash ou encore "Black Hell", si brillamment employés par le réalisateur Todd Phillips, qui se pose en immense fan respectueux, Glenn Danzig sait TRES BIEN le faire : instiller ces atmosphères reptiliennes et insufflées de vieux blues à peine masqué par une lourdeur et des guitares expressives.

Difficile exercice également que de devoir succéder à des ballades aussi noires et splendides que "Sistinas" ou "Blood & Tears" : au lieu de se risquer à sombrer dans de pâles copies sans âme, Glenn conserve une veine heavy-blues plombée par ses atmosphères doomesques et livre avec "The Witching Hour" un morceau menaçant et désespéré.

Derrière, aucun moment faible ne vient entacher un dixième opus non pas spectaculaire, mais foutrement réussi. Entre la lenteur de ce BLACK SABBATH qu'il porte si haut dans son coeur, et son accélération finale cathartique, "But A Nightmare" a tout de la déflagration cauchemardesque que l'on est en droit d'attendre - rampant, venimeux, so eviiiiiiiiiiil.

Depuis vingt ans qu'il est son bras droit, tant sur disques que sur scène, Tommy Victor ne s'économise pas, et entre deux nouveaux chapitres de PRONG, il assène ses riffs sulfureux et hystériques avec une dévotion totale, contribuant totalement, désormais autant que cette voix, à assoir l'identité de la musique de DANZIG. Un mot également sur la rythmique : si Victor gère ici aussi la tenue de la basse, épaisse et saturée, cinq batteurs plutôt familiers se succèdent en studio pour compléter l'enregistrement : Karl Rosqvist (le suédois est un fidèle lieutenant de Michael Monroe, mais a déjà accompagné DANZIG en tournée), Joey Castillo (ex-QUEENS OF THE STONE AGE et ex-EAGLES OF DEATH METAL, bûcheron trapu qui a lui aussi longtemps officié derrière le kit de DANZIG dans les années 2000), Johnny Kelly (batteur légendaire de TYPE O NEGATIVE et BLACK LABEL SOCIETY, également une figure connue des fans de DANZIG), mais aussi le belge Dirk Verbeuren, aujourd'hui dans MEGADETH, et plus étonnamment encore, Glenn Danzig en personne sur deux morceaux !

Si "Skulls And Daisies" conserve cette trame slow-tempo sans grand éclat, "Blackness Falls" se montre frondeur et old-school, et s'inscrit dans la lignée de morceaux comme "Left Hand Black" sur « III : How The Gods Kill », bien enlevé et plutôt velu question riff, couplé avec une basse des plus massives. Une attaque frontale façon bulldozer, cependant magnifiquement nuancé par une atmosphère plus heavy et par la voix sourde de Glenn, ici particulièrement inspiré, et qui se surpasse ici sur la fin de l'album, en retrouvant le timbre de crooner romantique qui le rend si vibrant. "Pull The Sun" clôt « Black Laden Crown », entre lourdeur apocalyptique, ballade crépusculaire et quelques touches de ce piano sombre qui rappelle ici aussi les belles heures du fameux troisième album, d'autant que le refrain, époumoné, est épique et possédé par cette verve lyrique qui a tant contribué à faire de Glenn Danzig l'un des plus fantastiques chanteurs du genre.

Vingt-cinq ans ont donc passé depuis l'apogée de son âge d'or, mais « Black Laden Crown » s'affiche non pas comme un chef d'oeuvre qu'il serait aujourd'hui totalement illusoire d'espérer, mais bien comme un disque tout à fait digne d'écouter, et même de réécoute, et que l'on ne vas pas ranger de sitôt - bien plus tard en tout cas qu'un « Circle Of Snakes », ou que ce « Skeletons » qui ne passe toujours pas.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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