30 septembre 2020, 19:30

ENSLAVED

• Interview Grutle Kjellson

ENSLAVED fait partie de ces groupes authentiques, dont l'identité est basée depuis toujours sur un concept solide et une musique unique. Son black metal progressif n'a pas d'égal et rien ne peut venir entacher une carrière pleine de sincérité et de dévouement. Il revient cette année avec son quinzième album, sombre, fouillé, traditionnel et moderne à la fois : « Utgard ». Le chanteur et tête pensante du groupe, Grutle Kjellson revient avec nous sur la composition des morceaux et partage sa philosophie intrinsèque qui lui est chevillée au corps. Un entretien plein de sens et de mystères, comme le royaume d'Utgard dans lequel il nous convie.

Votre nouvel album « Utgard » aurait dû sortir en mai... Vous devez avoir hâte qu'il soit dans les bacs ?
Oui, c'est sûr mais comme plein d'autres choses, sa sortie a dû être repoussée. Que faire ? Les choses vont ainsi. En tous cas, on a hâte de voir les réactions des gens et de lire les chroniques des magazines. On est vraiment enthousiastes à propos de « Utgard ».

Le royaume d'Utgard dans la mythologie nordique définit un endroit hors frontière du monde des hommes. C'est un royaume de froid et de magie. Explorer ce monde est-il un moyen de sortir des histoires de vikings un peu à la mode en ce moment ?
Oui, il fait partie de notre système de croyances et de notre mythologie. On aime ce côté mystique, c'est ce qui nous intéresse, plus que les combats d'épées un peu à la mode comme tu dis. ENSLAVED a toujours été du côté le plus sombre de nos racines.

C'est aussi un endroit un peu effrayant. Est-ce que c'est un moyen de repousser vos limites ?
Oui, tout à fait. Utgard peut être considéré comme l'ombre de ce que l'on est. Quand tu es réveillé, tu es dans une sorte de contrôle. Cela pourrait être le royaume des Hommes et des Dieux, de la Sagesse. Utgard est plutôt le royaume des rêves, de l'insécurité, du chaos autour de toi et de la Nature. C'est un peu le symbole de notre adaptation à l'environnement où tu peux trouver de la créativité et des réponses à tes questions. Tu découvres des facettes de toi-même habituellement recouvertes d'un voile. C'est une partie très importante de toi-même. « Utgard » est donc une façon d'explorer ces différents aspects de ta personnalité.

C'est ta philosophie de vie, musicale et personnelle ?
Oui, absolument ! J'ai toujours besoin de voguer vers de nouveaux horizons et au niveau musical bien sûr aussi !

Il semble que cet album ait été composé très facilement avec Ivar Bjornson (guitariste d'ENSLAVED), comme si c'était une évidence pour vous deux. Vous êtes un duo parfait ?
Oui, il semble bien ! Cette fois, nous avions déjà le concept d'Utgard depuis un moment donc ça a probablement rendu les choses plus faciles. Il y avait une atmosphère particulière tout autour de nous pendant tout le processus d'écriture et d'enregistrement. Tout s'est fait en douceur.

Enregistrer l'album pendant l'hiver a pas mal aidé à relayer cette atmosphère spéciale dont tu parles non ?
Oui, on a commencé à enregistrer en novembre et comme tu peux l'imaginer, le temps était un peu merdique ! Il ne fait pas trop froid sur la côte ouest de la Norvège mais il pleut beaucoup et il fait sombre à cette période. C'est un peu glauque. C'était donc un cadre parfait pour l'album !

Sur « Utgard », il y a des chansons comme "Fires In The Dark" qui sont très traditionnelles avec des chants nordiques et d'autres beaucoup plus modernes, avec des sonorités électroniques. Est-ce que c'est un lien entre les anciens Dieux et notre monde moderne ?
Oui, encore une fois, Utgard permet de visiter d'autres facettes de ta personnalité, d'aller plus loin dans ta quête spirituelle. Donc on se devait d'explorer de nouveaux horizons musicaux également.

Cette dualité est aussi présente dans la voix, entre les growls profonds et le chant clair. C'est un aspect très important, très intéressant de l'album. Encore plus que sur les précédents non ?
Oui, ce n'est pas conscient mais c'est un travail que l'on a mené avec Iver (Sandøy, le batteur) quand on a fait les arrangements. C'est venu très naturellement, on n'a pas vraiment eu de grosses discussions à propos de comment chanter les différentes parties des morceaux. Tout s'est fait très sereinement.



​Est-ce que tous les musiciens d'ENSLAVED participent à l'écriture des albums ?
Je travaille évidemment beaucoup avec Ivar (Bjornson) mais comme je te l'ai dit, Iver (Sandøy) a participé aux arrangements. Tout le monde apporte ses idées pour son instrument et on en discute tous ensemble. C'est un vrai travail de groupe. Notre claviériste est également dans le groupe depuis un moment maintenant, donc il a pu apporter sa patte et s'intégrer vraiment à l'écriture de l'album.

La progressivité a toujours fait partie intégrante de la musique d'ENSLAVED mais, comme les vocaux, il semble qu'elle soit exacerbée sur « Utgard » également.
Peut-être oui. Les chansons sont plus courtes, les vocaux sont plus présents, il y a moins de parties instrumentales.

Les chansons sont aussi plus mélodiques, c'est peut-être plus fédérateur non ? Cela va peut-être vous apporter de nouveaux fans.
On écoute tous de la musique très mélodique. Pas de la pop bien sûr, qui est très ennuyante ! On aime les chansons qui ont une âme, une structure, de la consistance. C'est un aspect très important dans nos goûts musicaux et donc dans la musique que l'on compose. On a besoin de parties agressives, de moments plus mélodiques et les chansons ont besoin d'évoluer. Nous traitons les chansons comme des organismes vivants.

Les légendes vikings, les mythes nordiques, le paganisme sont devenus des thèmes à la mode ces derniers temps. Que penses-tu de cet engouement généralisé pour vos croyances ?
La mythologie nordique partage de nombreux points communs avec d'autres mythologies dans le monde : les romains, les grecs, les celtes, les civilisations pré-colombiennes... Toutes ces mythologies ont en commun le culte de la fertilité. Elles ont la même approche de la Vie. Je pense que c'est bien que les gens ouvrent les yeux et se tournent vers ce genre de systèmes de croyances plutôt que vers des concepts monothéistes stricts, hostiles parfois. Il est toujours bon de connaître ses racines, son passé. Il est plus simple de comprendre les autres lorsque tu comprends ton propre passé et de t'ouvrir aux gens quand tu as confiance en ce que tu es.

Pour en revenir à l'album, l'artwork de la pochette est très intéressant également avec ces deux corbeaux, Huginn et Muninn j'imagine, sur un ciel brumeux et devant cette forteresse sombre. Est-ce qu'ils sont de bon augure pour le royaume de Midgard ?
Tu peux considérer que les corbeaux te regardent depuis Utgard, depuis le royaume des rêves ou qu'ils t'y emmènent. La forteresse peut être un château, peut-être aussi un géant qui se réveille, c'est peut-être un piège si ce n'est rien de tout cela. C'est très intéressant et cette pochette est la première chose que nous avions à l'esprit lorsque nous avons composé l'album. Ivar et moi savions exactement ce que nous voulions. L'artiste, Truls Espedal, a su exactement convertir nos idées en une superbe peinture. Il nous connaît bien car il travaille avec nous depuis « Monumension » en 2001.

Est-ce qu'enregistrer un album aujourd'hui est plus simple qu'à l'époque de « Frost » par exemple ? Si on exclut la crise sanitaire bien sûr...
C'est un processus vraiment différent. Les trois premiers albums ont été enregistrés sur des bandes et donc tout le processus de mixage, d'arrangements... est totalement différent d'un enregistrement numérique actuel. Et puis le budget était vraiment court à l'époque. Du coup, c'est très difficile de comparer les deux époques. C'est plus efficace maintenant et plus facile mais à l'époque, c'était vraiment un travail de groupe.

Tu peux nous parler un peut de la chanson "Utgard" qui est très sombre, très glauque, très profonde. Elle se démarque des autres titres. Y'a-t-il une histoire spéciale derrière ?
Oui, c'était la dernière chanson que l'on a écrite pour l'album et on l'a composée ici, chez moi en pleine nuit, en novembre l'année dernière. Ivar a écrit les paroles : c'est la description d'une voyage en Utgard, au royaume des rêves. C'est très spirituel.

Dans cette période particulière et en attendant de retrouver la scène, est-ce que le live-streaming aide à garder le lien avec vos fans ?
Oui, évidemment et ça nous garde occupés aussi car c'est beaucoup de travail pour produire un tel événement. Autant que pour produire un concert, l'interactivité avec le public en moins malheureusement. Il n'y a pas l'énergie et les émotions mais c'est la meilleure chose que l'on puisse faire maintenant. C'est la seule chose que l'on puisse faire en fait ! Mais on a hâte de retrouver nos fans, partout dans le monde et en France surtout ! En attendant, prenez soin de vous !
 

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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