11 décembre 2020, 18:00

TRUST

• "Re.Ci.Div"

Album : Re.Ci.Div

S’attaquer à des monstres sacrés, qui plus est quand ce sont les siens, relève d’une gageure certaine voire d’une douce folie car revisiter son propre répertoire et s’apprêter à le faire (re)découvrir à ses fans est une entreprise ardue à plus d’un titre. TRUST, pilier fondateur d’une poignée d’albums qui ont marqué à tout jamais le paysage rock et hard français, a décidé de plonger quarante ans en arrière et retrouver les compositions de ses trois premiers disques. Le projet audio et vidéo s’appelle « Re.Ci.Div. » et n’a nécessité que 26 jours pour être remanié sur le fond comme dans la forme. Installant ses flight-cases dans une salle dont le décor et la disposition évolue à chaque album, le groupe a décidé d’interpréter en live et dans l’ordre trois pierres angulaires de sa discographie avec sa formation actuelle, à l’exception des batteurs. Trois disques et trois batteurs se succèdent ainsi sur le siège : Antonin Violot pour « L’Elite », Pierre Belleville pour « Répression » et enfin Hervé Koster pour « Marche ou Crève ». Alors on en voit déjà s’agiter dans leur fauteuil, derrière leur clavier, commencer à s’offusquer avant d’en avoir entendu la moindre note et vociférer avec moult noms d’oiseaux exotiques, crier au loup et dire aïe avant d’avoir mal. Je ne les blâme pas, j’en ai fait partie à l’annonce de cette sortie. Mais très vite, ma curiosité a pris le pas sur la méfiance, la peur même peut-on dire, peur que l’on souille un sanctuaire musical que l’on a tant de fois visité depuis tant d’années.

Et puis attention, TRUST ce n’est pas n’importe quel groupe et le binôme Bernie Bonvoisin-Norbert Krief (guitariste) un drôle de duo pour le moins, ne nous ayant pas toujours fait rire au gré de leurs anicroches personnelles et qui ont esquinté, mis en pause/splits leur bébé, balloté de nombreuses fois, avec leurs fans dans le lot et qui, au détour d’une conversation anodine s’est dit « Chiche ! ». Et que pouvait – devait – on attendre de cette incursion en terrain connu ? Rien était la bonne réponse, afin d’avoir l’oreille neuve, curieuse et avide de nouvelles sensations, d’un ressenti différent. C’est qu’on ne retrouve pas des amis – et je parle des morceaux – après 40 ans sans s’attendre à ce qu’ils aient changé. D’apparence tout d’abord mais aussi de caractère car on n’est plus le même lorsque l’on a 25 ans en 1980 et 65 en 2020 (nous y compris), surtout avec tout ce que l’on a vécu entretemps, que ce soit au niveau personnel et professionnel (musical le cas présent pour les protagonistes). Et c’est exactement ce à quoi l’on a droit avec « Re.Ci.Div. ». Ne s’interdisant rien mais respectant tout, le groupe entend se faire plaisir et (re)découvrir lui aussi son propre héritage, donnant une nouvelle vie à des chansons gravées dans le rock.

Premier de cordée, « L’Élite », qui n’a pas de nom en fait et que le chanteur Bernie Bonvoisin présente ici comme pouvant s’appeler « Préfabriqués », sorti en 1979. Ça démarre fort et ça ne débande pas, chaque morceau est un coup de boutoir dans le fondement du Gouvernement, qu’il s’agisse de celui de l’époque ou l’actuel. TRUST ne l’a pas oublié et c’est peut-être l’album qui subit ici le moins de nouveaux arrangements et modifications de structures. On a droit à de nouvelles intros parfois, quelques breaks qui relancent la machine et qui s’insèrent très bien. ''Palace'' par exemple, démarre sur un beat électronique, musique ayant remplacé le disco en boîtes de nuit et qui se veut donc au goût du jour alors que deux choristes viennent en renfort, là où il faut et quand il faut. Je vous vois lever un sourcil et c’est exactement ce que le groupe a cherché à provoquer. ''Le Matteur'' se veut groovy et nonchalante et on avait oublié que ''Comme un Damné'' sonnait comme du Thiéfaine sous amphèts. Des ajouts de sonorités electro et des chœurs sur ''H&D'' la transforment totalement, jouée à un tempo différent, tout cela donnant naissance à un "nouveau" titre avec un nouvel esprit avant que les musiciens se la jouent sobres et plein de respect sur ''Ride On'', tandis que les chœurs évoqués apportent une touche de gospel subtile et parfaitement à sa place.

Vous le savez déjà, « Répression » commence par ''Antisocial'' et le titre est déroulé en pilotage automatique, quasi-conforme à la version de 1980 mais c’est bien là ce qu’on attendait, étant peut-être le seul morceau qui n’aurait pas survécu à un remaniement, hymne par excellence qu’il est. Et si ''Le Mitard'', titre cher au chanteur qui met en musique un poème de Jacques Mesrine, l’ennemi public n°1 abattu en 1979, reste fidèle à l’originale, TRUST se rattrape à plusieurs reprises ensuite et met une petite chape de plomb au crédit de ''L’Instinct de Mort'' et fait renaître de ses cendres un ''Passe'' au riff façon AC/DC, peu jouée en live comme l’explique Bernie dans les commentaires en fin de vidéo. Un morceau qu’ils disent destiné à retrouver les set-lists vu le plaisir éprouvé à le jouer, et nous à l’écouter. ''Saumur'', plus bluesy qu’à l’origine est une autre surprise plutôt bien travaillée. Ce qui est bien vu de leur part est de ne pas avoir été tenté de tout revoir, tout changer avec le risque de tout foutre en l’air et de perdre le sens de la démarche. Si c’est parfait ainsi, on ne bouge pas sinon qu’est-ce que cela aurait pu bien apporter ? C’est le feeling des musiciens qui fait que la version diffère surtout et parfois, cela suffit à aborder les choses sous un autre angle d’appréciation. En tout cas, je ne dévoilerai pas tout, vous découvrirez le reste par vous-même.

Enfin, « Marche Ou Crève », album paru à quelques mois après l'accès à la fonction présidentielle de Mitterrand, soit en octobre 1981. La référence politique est volontaire, les membres de la formation étant tous des enfants des années De Gaulle à Giscard et le contenu des textes collait à l’image d’une certaine France et de certains de ses habitants, reflétant celle d’une jeunesse en colère, alors en quête d’un idéal et que beaucoup ne trouvèrent pas. Les compositions ont droit à un lifting complet mais elles s’y prêtent, n’ayant pas été composées avec la même simplicité que celles des deux premiers disques. Le groupe explique d’ailleurs qu’il a passé beaucoup plus de temps en studio lors de sa création pour peaufiner les arrangements, les suites d’accords et parties de guitare et on entendait déjà la différence à l’époque. Rien à voir avec ''La Grande Illusion'' et ''Les Sectes'' par exemple si on en compare deux seulement. Pourtant, cette vision 2020 échoue parfois, comme sur ''Répression'' qui invectivait l’auditeur à l’origine et qui y perd donc avec l’interprétation actuelle. Mais on est rattrapé au vol par ''La Junte'' où Bernie adopte des intonations lorgnant du côté de chez Bashung, ce qui n’est pas pour déplaire. L’ensemble du disque est ainsi un vrai plaisir à redécouvrir et le batteur Hervé Koster s’y montre très convaincant, lui qui a eu la lourde charge de s’asseoir rythmiquement à la place de Nicko McBrain qui jouait avec TRUST sur ce disque, avant de rejoindre les rangs d’un certain IRON MAIDEN.

Moins captivant mais pas dépourvu d’intérêt cependant, on termine avec une session de six morceaux, « Akoustik », qui se concentre sur des chansons récentes et qui pour le coup sont toutes neuves, passées qu’elles sont à la moulinette "veillée au coin du feu". TRUST explique qu’à l’issue de ces trois jours de captation, il était surtout question de faire plaisir à l’ensemble des équipes ayant contribuées à la bonne mise en place de ces sessions live et de prendre son pied en le levant un peu justement, un fait confirmé par Nono à la fin des commentaires de la vidéo qui s’est éclaté à jouer unplugged. Cela permet d’écouter les textes d’une façon nouvelle, ''Dans le même Sang'' par exemple prenant de l’ampleur et y gagnant en profondeur, ce dont on avait eu un peu tendance à ne pas se rendre compte sur l’album du même nom et sa version électrique. Enfin, on constatera pour la reprise d’Édith Piaf, ''J’m’en fous pas mal'', que ce format intimiste lui sied bien aussi.

Qu’écrire afin de clore cette longue chronique qui n’aurait pu être plus ramassée vu la quantité de matériel audio et vidéo à appréhender, dépassant tout de même les trois heures pour chaque support. Je rappellerai pour boucler la boucle que « Re.Ci.Div. » est un ensemble de chansons qu’il ne faut pas écouter le doigt sur la couture du pantalon, prêt à dégainer au premier changement de structure ou de paroles (oui parfois, il y a quelques nouveautés par ci par là). Il faut prendre le tout comme la possibilité de voir les choses d’un œil neuf bien que l’ensemble pêche par un petit manque de vie, TRUST ayant joué sans public mais aussi avec une énergie, une hargne différente qu’entre 1979 et 1981. En cela, on y perd c’est certain et je ne cacherai pas que c’est quelque chose qu’on recherche tout au long à la première écoute. On aimerait que ça bourrine plus comme dans nos souvenirs mais on se rend vite compte en fait que l’on ferait alors fausse route à vouloir rester sur les titres d’origine. Le groupe l’a compris, à vous maintenant de le comprendre et surtout, de l’entendre. « In rock we TRUST! »

Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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