LEPROUS

Ah, les joies de la vie d’un musicien sur la route... quand certains jours, tout semble se liguer contre soi pour nous mettre des bâtons dans les roues ! C’est certainement ce qu’ont dû penser les cinq membres de LEPROUS qui doivent assurer un concert dans la toute nouvelle, et très belle, salle du Forum, à Vauréal dans le Val d’Oise. Effectivement, une certaine compagnie aérienne (que nous ne citerons pas, dans notre grande mansuétude…) a lamentablement égaré une partie du matériel des musiciens. Alors, non seulement le temps est exécrable entre rafales de vent violent et pluie intermittente, et puis les bouchons sont interminables pour traverser Paris d’est en ouest (les Norvégiens reviennent du Rock Your Brain Festival à Séléstat dans le Bas-Rhin), mais en sus, il faut se mettre en quête de trouver une basse pour Simen Børven pour qu’il puisse jouer ce soir. 

Mais ces gars-là en ont vu d’autres. On a pu trouver une basse fournie par l’école de musique du Forum pour Simen, à laquelle il a rajouté la cinquième corde grave et la bandoulière, deux éléments indispensables prêtés par des amis. Ces petits grains de sable ont repoussé le début du concert à 21h20 au lieu des 21h00 prévues initialement. Pas de groupe de première partie, mais en ces circonstances, c’est un mal pour un bien. Le nouveau Forum est superbe : plus rien à voir avec l’ancien bâtiment sombre, tout en longueur, à la scène trop haute. Ici, la grande salle est large et possède deux étages de gradins en arc de cercle, la vaste scène est à hauteur raisonnable, et la barrière de sécurité point trop éloignée. L’accueil des responsables et du personnel du Forum est chaleureux et bienveillant, et l’on s’y sent choyés. Les spectateurs ont répondu en nombre pour cette dernière date des Norvégiens en France pour l’année 2023, et si ce n’est complet, c’en a tout de même l’air. C’est donc avec 20 petites minutes de retard que LEPROUS investit l’espace scénique sous les acclamations d’un public chauffé à blanc par l’attente. "Running Low", avec ses notes façon cordes de piano frappées, est le morceau d’ouverture, et il n’en faut pas plus pour que le public se déchaine. Le solo de violoncelle exécuté par Raphael Weinroth-Browne sur disque est ici repris à la guitare lead par l’excellent Robin Ognedal. Les cinq musiciens, que ce soit Einar Solberg au chant et claviers, les deux guitaristes Tor Oddmund Shurke et Robin, le batteur Baard Kolstad ou bien le bassiste Simen Børven semblent vouloir en découdre sérieusement et l’énergie et la rage qu’ils déversent durant le concert sont comme une catharsis qui canalise la frustration et l’énervement accumulés tout au long de la journée. Loin d’être négative, cette puissance se fait l’écho d’une joie de vivre et d’être sur scène retrouvée, pour un partage de tous les instants. Comme un fait exprès, c’est "Illuminate" qui vient ensuite et fait rayonner les sourires sur les visages. Einar prend la parole pour expliquer les soucis qu’ils ont rencontrés et remercie le public pour sa patience, ce à quoi ledit public répond en ovationnant le groupe de plus belle.

Lorsque change la nuance de lumière, passant d’un rouge passion à un vert malsain, on sait que "The Valley" sera la suivante sur la setlist. Quel plaisir de réentendre ce morceau issu de « Coal » (2013) avec son superbe solo de basse de Simen Børven, et avec son final dansant éminemment jouissif ! Petite pause douceur avec "Castaway Angels", dont la partie acoustique sera jouée, pour les raisons que l’on connait, à la guitare électrique. Et ma foi, le résultat est carrément excellent. Cela confère du punch supplémentaire à la chanson, ce qui n’est pas pour nous déplaire. Et au rayon punch, "From The Flame" est sans doute la chanson du groupe qui fait le plus  danser la fosse, tant la vivacité qu’elle dégage est communicative. Tor Oddmund  et Robin prennent possession des claviers sur "Alleviate", afin de laisser le vocaliste se concentrer sur son chant sur ce morceau exigent au final ébouriffant. Et il n’y a pas à dire : Einar Solberg est vraiment un chanteur hors-norme, passant avec une facilité apparente de sa voix de poitrine à un falsetto à la pureté cristalline à nulle autre pareille. Toujours en équilibre entre fragilité et puissance rageuse, il arrive à transmettre mille émotions contradictoires qui chamboulent les sens, désorientent l’esprit et nous incitent à nous laisser guider dans son univers. "Out Of Here" est un autre extrait du dernier album en date, « Aphelion » (2021), avant que n’arrive son successeur sur lequel le groupe est en train de travailler, d’après les indices que les musiciens ont laissé filtrer. Ce morceau est touchant, avec son démarrage en apesanteur pour finir sur une montée en force de toute beauté.

Einar Solberg demande à l’audience si elle est prête à entendre un morceau vieux de plus de dix ans, d’autant plus si c’est un morceau qui semble n’avoir aucune structure. Et d’enchainer illico sur un "Forced Entry" d’une puissance extraordinaire, joyau de metal progressif débridé, complètement dingue et addictif. Baard Kolstad, phénoménal batteur, fait une démonstration de son immense talent en s’acharnant sur ses toms avec ce grain de folie caractéristique. Il va même jusqu’à perdre ses deux baguettes l’une après l’autre, mais pas déstabilisé pour deux sous, continue de marteler ses fûts comme s’il avait le diable à ses trousses ! Près de dix minutes de tension survoltée entre les musiciens et les spectateurs font de ce moment l’un des points forts de la soirée. Inoubliable ! Le public hurle sa joie à plein poumons, mais pas le temps de reprendre son souffle que LEPROUS nous assène "Slave" dans la face avec un final tout aussi explosif qui recueille comme à l’accoutumée tous les suffrages des fans. Place ensuite à un peu de délicatesse avec "Below". Avec ce titre sublime, l’émotion gonfle la gorge, les sanglots se retiennent de justesse et les yeux brillent de larmes tout juste contenues. Il s’agit du morceau qui a permis au groupe, lors de sa sortie en 2019 sur l’album « Pitfalls », de gravir plusieurs échelons en terme de popularité. A juste titre, tant il remue les tripes profondément, pour peu que l’on ait des blessures à l’âme qui peinent à se refermer. "Below", c’est l’histoire et le passé d’Einar. Mais c’est aussi l’histoire de toutes les personnes qui ont eu à traverser les épreuves et les souffrances intimes que la vie leur a infligées.

S’il est une chanson que les fans raillent gentiment à chaque fois, comme une blague récurrente, c’est bien "The Price". Non parce qu’ils ne l’aiment pas, mais juste parce qu’elle est devenue la seule et unique chanson à ne JAMAIS quitter la setlist du groupe, indéboulonnable. Certes, on l’a entendue maintes et maintes fois, mais il faut bien reconnaitre qu’elle est particulièrement entrainante avec ses « Ohoh Oh Ohoh » que la foule s’empresse de reprendre en chœur à tous les coups. Et l’on ne boude pas son plaisir de participer à notre tour. LEPROUS termine son show avec "The Sky Is Red", morceau à l’ambiance inquiétante, rampante et malsaine, tout à fait approprié pour finir d’achever les spectateurs par KO. Quelle tour de force de la part des cinq artistes qui jamais ne lâchent une note de travers. Robin vient même filer un coup de main à Baard pour matraquer le tom basse, de concert avec le batteur, pour un effet surpuissant et grisant. Démonstration brillante de technicité et d’instinct primaire, le groupe absorbe l’énergie du public et la renvoie décuplée. Nous ne sommes plus que des marionnettes suspendues à leur fils d’émotions que les musiciens s’amusent à manipuler. Une espèce de transe collective, mais qui ne porte pas atteinte à l’intégrité des personnes. Une transe musicale dans laquelle on se laisse aller sans retenue : le pouvoir libérateur de la musique.

Sur la note finale, le public se lâche et ovationne bruyamment le groupe, pendant de longues, très longues minutes. On ne peut croire que c’est déjà fini ! On en réclame plus, on en veut encore, on ne veut pas partir. Pas maintenant. Pas de suite. Mais hélas, rien n’y fait. Les musiciens, après nous avoir chaleureusement remerciés et gratifiés de sourires éclatants, quittent la scène pour de bon.  LEPROUS vient de prouver de façon magistrale, une fois de plus, que rien ni personne ne peut se mettre en travers de son chemin, et ce, quelles que soient les circonstances. Preuve d’un talent indéniable et unique en son genre, d’une sincérité et d’une générosité à toute épreuve et d’un amour du partage sans faille. Messieurs, on ne sait comment vous remercier de tout ce que vous nous donnez !