21 octobre 2023, 23:59

TYRANT FEST

@ Oignies (9-9 bis - Jour 1)

Pour sa sixième édition, le TYRANT FEST a gardé son âme malsaine, fruit d’une fureur extrême exprimée dans le cadre mystérieux de l’ancien site minier du 9-9bis à Oignies. Les 12 concerts principaux, sur deux jours, se tenaient au Métaphone, salle à l’excellente acoustique, quand l’Auditorium de taille réduite accueillait six formations – MÜTTERLEIN, NATURE MORTE, WITCHING puis YAROTZ, VIRGIL, QUEEN(ARES). Au menu aussi, des expositions, des tatoueurs, une conférence et une projection cinématographique. Les plus téméraires pouvaient même affronter la pluie pour une randonnée nocturne, pour les plus curieux découvrir l’histoire de l’extraction du charbon. Ornés de braseros du plus bel effet, les chemins permettant de se rendre d’un lieu à l’autre offraient une circulation fluide ; quel plaisir de vite arriver à l’espace qui accueillait un bar et de nombreux stands de merchandising... dangereux pour la carte bleue !

Cette année, l’affiche était moins prestigieuse que précédemment, malgré la présence d’ENSLAVED. Pas de légende comme MAYHEM, de formations établies comme WATAIN ou NILE, entre autres, faute, semble-t-il d’un budget suffisant. Ainsi les fans ont-ils été moins nombreux en ce mois d’octobre, notamment le dimanche, pour répondre à l’appel d’une affiche variée, du death au black en passant par le post-hardcore ou le sludge, qui faisait la part belle au metal français. Tant pis pour les absents : la messe noire a été une réussite avec, bien sûr, des hauts et des bas.

DELIVERANCE (France, 16h-16h45) a inauguré le week-end avec une intro inquiétante et répétitive avant de plonger la salle dans l’ambiance poisseuse et violente d’un black teinté de sludge. Audacieux, le quatuor n’hésite pas à proposer de longs morceaux aux climats variés, comme le final "Odissey" qui glisse du rock à un doom froid tendance TYPE O NEGATIVE en navigant sur un océan aux vagues floydiennes. Pierre, le chanteur maquillé de façon originale, ajoute à ses vocaux d’outre-tombe (le très old-school "Venereal") des notes de clavier tantôt sinistres, tantôt mélancoliques. Étienne, qui reviendra sur scène derrière la batterie de KARRAS, livre une prestation impeccable à la guitare, assène ses riffs lourds enrichis de nombreux effets pour un résultat oppressant sur la puissante paire "Saturnine" / "God In Furs", les deux morceaux non tirés du dernier album du groupe, et le fort recommandé "Neon Chaos In a Junk-Sick Dawn". Concentrés sur leur jeu, entourés de toiles qui se marient à merveille à la musique, la bande a séduit les spectateurs qui ne les connaissaient pas forcément.


PÉNITENCE ONIRIQUE (France, 17h15-18h) baigne son concert d’une lumière rouge inquiétante, reflet parfait de "V.I.T.R.I.O.L". Les musiciens, jusqu’alors de dos, se retournent et lancent ce morceau qui feint la mélodie pour mieux agresser la salle de riffs rapides, d’une batterie déchaînée et de vocaux emplis d’une haine innommable. Derrière leurs masques étranges, d’où perlent un chapelet de croix, devant les deux visages fermés – issus de la pochette de « Vestige » qui ornent la scène – ces moines du mal oscillent entre un black rageur somme toute classique, dopé par la présence de trois guitares, comme sur le blasté "Souveraineté Suprême", et des ambiances froides. Sinistres, empesées, aux fragrances progressive, elles invitent à une cérémonie païenne, à des sacrifices sur des autels de pierre glacée ; tel est ainsi le magnifique "Les Sirènes Misérables" où la lenteur entoure d’un suaire de peur l’accélération centrale. Le groupe conclut sa prestation envoûtante avec le lourd "Pharmacos" tiré de « Nature Morte », son dernier album, pas encore sorti au moment de ce concert.


Après deux groupes qui n’ont guère sollicité le public, KARRAS (France, 18h30-19h15) va animer la fosse avec son grind/death cuisiné à la suédoise des années 90, assaisonné au crust et au punk. Dès les balances, un fan, en se dandinant, ne cesse d’inciter le groupe à venir « lui fouetter les fesses ». Nous voilà bien loin des ambiances poisseuses et ésotériques qui ont précédé... Sérieux sans se prendre au sérieux, le trois pistoleros vont dégainer leurs chansons aussi brèves qu’efficaces. Un "Fuck You" inscrit sur un ampli donne le ton de cette prestation sans concession.
Diego (basse/chant, torse nu tatoué sous sa veste en cuir), Yann (MASS HYSTERIA, guitare, veste en cuir sur T-shirt black metal de VENOM et cheveux mouillés) et Étienne (ex-AqME, FREITOT, DELIVERANCE), qui a troqué sa guitare pour la batterie, chevauchent à cent à l’heure leurs destriers morts-vivants, ne s’accordent une brève pause que lorsque retentissent des samples tirés de films d’horreur, composante essentielle de l’univers des Parisiens. « Allez, approchez-vous ! », « Bougez ! », ou encore « Foutez le bordel durant 8 secondes, pas 7, pas 9 ! », avant "Demons Got Rythm", qui dure... 8 secondes, exhorte un frontman prêt à en découdre.
Les comparses prennent un immense plaisir à asséner leurs compositions ultra violentes, comme l’imparable "The Hermit’s Anger" ou les très grind "Dark Days" et "Life grinder". Les titres défilent à une allure folle, les premiers pogos du festival éclatent, un circle-pit naît sur "My Aim Is Violence" et l’on se dit que, avec ses deux albums au compteur et des concerts d’une telle intensité, KARRAS est déjà une valeur sûre de la scène extrême française. Récompense de son talent, le trio partira en janvier au Japon avec OBITUARY : KARRAS, c’est la classe !


Avec OTARGOS (France, 19h45-20h30), le brutalité extrême demeure, cette fois dans une veine black/death magnifiée par la voix démoniaque aux accents d’apoclaypse de l’impressionnant Dagoth, stature de colosse, crane rasé et barbe, derrière un pied de micro sinistre qui évoque une colonne vertébrale dégénérée. D’un morceau à l’autre, après l’énorme "Incursion Of Chaos" initial, mélange sulfureux de vitesse et de pesanteur, l’intensité, enrichie de lights au laser, du vert au blanc en passant par le rouge, ne baisse pas, à l’image de la performance remarquable du batteur qui multiplie blasts et roulements de pédale. Un solo bienvenu par là ("Apex Terror", 10 ans d’âge et pas une ride), un effet vocal par ici, un bref interlude et les Bordelais offrent aussitôt une nouvelle rasade de violence pure (quelles claques que ces "Larva Venom" et "Cyclones Of Steel" à la férocité constante !) qui s’achève par le dépressif et magnifique "Nullabsolut".


Après ces quatre concerts d’excellente facture, place à CULT OF FIRE (République Tchèque, 21h-21h55, au lieu de 22h )... et à des avis contrastés. Si de nombreux spectateurs sont entrés dans l’univers du groupe, d’autres, dont votre serviteur, ont trouvé ce set profondément ennuyeux. Après une longue préparation, masquée par un drap, la scène apparaît enfin... Les guitaristes sont assis en tailleur sous deux cobras assez kitschs. Gantés et masqués, ils resteront ainsi durant tout le rituel mené par le chanteur qui arbore un masque orné de deux immenses cornes et une couronne surmonté de crânes. Il prend place derrière un autel qui ressemble à un rayon de supermarché dans lequel un employé atteint de démence aurait tout mélangé : des fruits – bananes, raisins, pommes, oranges... – côtoient des chandeliers, des bibelots vaguement hindous, des statuettes de serpent et des coupes dans lesquelles le maître de cérémonie verse un liquide ressemblant à du lait tandis que de fortes odeurs d’encens envahissent la salle. Sans bassiste, à grands coups de tremolo picking et de blasts, les Pragois balancent un black poussif, qui s’apaise parfois en moments planants. Ce spectacle me laisse indifférent et sa fin sonne, pour moi, comme une délivrance.


Place maintenant au légendaire ENSLAVED (Norvège, 22h30-23h30) pour une heure de pur bonheur, entre voyage dans le passé et découverte sur scène de trois merveilles tirées de « Heimdal » son 16e et dernier album dont l’envoûtante pochette en miroir orne le backdrop. Après une intro tirée de Orange Mécanique, le groupe ouvre son coffre à bijoux pour en sortir un "Kingdom" progressif, complexe, entre mer black déchaînée et escales dans le calme des ports.
De son récent album sont aussi tirés "Forest Dweller", composition puissante sublimée par des claviers 70’s et une voix claire, et un "Heimdal" torturé et mystérieux, qui invite à des rêveries contrastées, à se perdre dans les forêts norvégiennes où errent des esprits inquiétants avant de trouver une clairière où se glisse un timide soleil. Grutle, le charismatique chanteur-bassiste, malgré quelques hésitations quand il manipule son boîtier électronique, est avenant et souriant, voire taquin. Il précise ainsi, avant l’épique, épileptique et antique "Allfáðr Oðinn", tiré de la démo « Yggdrasil » (1992), que son claviériste n’était pas encore né quand cet enregistrement est sorti.
Tel ses compères, à l’image de l’intenable guitariste Arve Isdal qui multiplie les poses metal, qui arpente sans relâche la scène, sans négliger d’assurer ses parties avec maestria, comme sur le solo de "The Dead Stare", il prend un plaisir évident à partager sa musique avec un public étourdi de bonheur. Il rappelle aux gens du Pas-de-Calais sa collaboration avec le label Osmose pour « Below The Light » (2003) avant de lancer l’agressif "The Dead Stare" et "Heavenless", incontournable hymne viking, voile du drakkar déployée dans le vent du Nord . L’indispensable "Isa", son refrain inoubliable, son souffle, ses claviers, ravit des spectateurs extatiques. A l‘image du mariage des growls et des voix claires, ENSLAVED a uni le meilleur de deux mondes, a relié par un fil magique la colère black et l’ensorcellement progressif. Une prouesse.
 


Blogger : Christophe Grès
Au sujet de l'auteur
Christophe Grès
Christophe a plongé dans l’univers du hard rock et du metal à la fin de l’adolescence, au tout début des années 90, avec Guns N’ Roses, Iron Maiden – des heures passées à écouter "Live after Death", les yeux plongés dans la mythique illustration du disque ! – et Motörhead. Très vite, cette musique devient une passion de plus en plus envahissante… Une multitude de nouveaux groupes a envahi sa vie, d’Obituary à Dark Throne en passant par Loudblast, Immortal, Paradise Lost... Les Grands Anciens – Black Sabbath, Led Zep, Deep Purple… – sont devenus ses références, comme de sages grands-pères, quand de jeunes furieux sont devenus les rejetons turbulents de la famille. Adorant écrire, il a créé et mené le fanzine A Rebours durant quelques années. Collectionneur dans l’âme, il accumule les set-lists, les vinyles, les CDs, les flyers… au grand désarroi de sa compagne, rétive à l’art métallique.
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