
Après sa prestation ébouriffante au Hellfest 2023 et son passage tout aussi explosif au Trabendo en février dernier, nous avions hâte de poser enfin une oreille attentive sur le dernier méfait en date des Texans NOTHING MORE. « Carnal » (charnel en français... Tout un programme !) est le septième album du quatuor en activité depuis 2003, qui a commencé à se faire réellement un nom après le transfert de Jonny Hawkins du poste de batteur à celui de chanteur. Depuis lors, NOTHING MORE a enchaîné des albums de fort bonne facture, dont l’avant-dernier, « Spirits » (2022) au ton bien agressif, nous a particulièrement réjouis.
Précédé par plusieurs singles, dont les trois premiers titres du disque (ah, cette fâcheuse tendance de tout dévoiler en avance, de sorte qu’au moment de la dégustation, il ne reste que quelques miettes à picorer... C’est d’un pénible ! ), « Carnal » se révèle être un album solide avec de beaux temps forts. Accompagné de ses alliés de toujours, le compositeur et guitariste Mark Vollelunga, le bassiste Daniel Oliver et le batteur Ben Anderson, le frontman libère ses démons intérieurs et dévoile ses traumas à travers des textes intimes à visée thérapeutique. Ou comment canaliser ses émotions et soigner son âme blessée à travers le processus créatif. Ainsi, après la courte intro "Carnal", place à l’excellent "House On Sand" sur lequel Eric Vanlerberghe, chanteur d'I PREVAIL fait une apparition. Morceau idéal pour entamer un nouveau chapitre de la carrière de NOTHING MORE, avec son rythme puissant, ses guitares heavy, son break metalcore et son refrain efficace et sans équivoque : « I built my house on sand / Hoping it would stand the storms that come my way / And now I'm left to face the weight of my mistakes / And a chance to start again » (« J'ai construit ma maison sur le sable / En espérant qu'elle résisterait aux tempêtes qui viennent à ma rencontre / Et maintenant, je dois faire face au poids de mes erreurs / Et à une chance de recommencer »).
Tenter de reconstruire sa vie lorsque les fondations ont été posées sur des sables mouvants, c’est hélas le travail de toute une vie, sans jamais aucune garantie de réussite... Question refrain qui tue, le groupe s’y entend particulièrement bien, comme c’est le cas avec le tout premier single à avoir été révélé, "If It Doesn’t Hurt", devenu un véritable tube outre-Atlantique. Il faut bien avouer que si le morceau a des airs de déjà-entendu dans la discographie du groupe, il est tout de même rudement addictif, avec ses paroles qui abordent le thème de la séparation et des dégâts que cela peut causer : « Knives in the back ready to attack » (« Poignards dans le dos prêts à attaquer »). En effet, cette chanson fait directement écho à la relation toxique et extrêmement conflictuelle que le chanteur a vécue avec son ex-compagne : « If it doesn't hurt at all / Then it doesn't mean a thing / I never knew that I / Could feel this way / If it doesn't hurt at all / There's nothing left to save / 'Cause holding on to hope is / A different kind of pain » (« Si ça ne fait pas mal du tout / Alors ça ne veut rien dire / Je n'ai jamais su que je / Pouvais ressentir ça / Si ça ne fait pas mal du tout / Il n'y a plus rien à sauver / Parce que s'accrocher à l'espoir est / Une autre forme de souffrance »).
Avec son rythme martial tendance indus et son refrain poppy, "Angel Song", qui voit David Draiman de DISTURBED pousser la chansonnette en compagnie de Jonny Hawkins, change radicalement de style et s’avère également un très bon morceau, avec un solo de derrière les fagots signé Mark Vollelunga. On est un poil moins enthousiaste pour le très radio-friendly "Free Fall", même s’il n’est pas mauvais pour autant, mais que l’on trouve plus convenu. On sent le groupe bien à l’aise dans sa zone de confort. Mais à l’inverse, on adhère complètement à "Blame It On The Drugs" dont les paroles peuvent s’appliquer à maintes personnes de nos entourages qui préfèrent se réfugier derrière une certaine lâcheté : « Don’t you blame it on the drugs / For every time you’d give up / Don’t you blame it on the drugs / Apologies are not enough » (« N’accuse pas les drogues / Pour toutes les fois où tu as baissé les bras / N’accuse pas les drogues / Les excuses ne suffisent pas »). Articulé autour de cinq interludes musicaux avec des extraits de voix du philosophe britannique Alan Watts ("Carnal", "Head", "Heart", "Sight" et "Sound") qui représentent les cinq sens, le format de l’album rappelle ce que NOTHING MORE a déjà fait par le passé sur « The Stories We Tell Ourselves » (2017) et « Spirits » (2022). Ce n’est donc pas une surprise, on reste dans la droite lignée du metal alternatif et moderne du groupe qui mêle étroitement psychologie et musique. Si cela sert de guide pour le thème général de « Carnal », il n’empêche que cela casse un peu le rythme de l’ensemble, et nous aurions préféré quelques morceaux supplémentaires à la place.
De ce fait, la deuxième moitié du disque pâtit un peu de ce manque de fluidité, malgré la présence de morceaux forts tels "Existential Dread" au rythme syncopé et djent, à tendance électro, le groovy "Down The River", ou le très énervé "Stuck", façon coup de boule, avec en bonus les hurlements de Sinizter. La lecture du disque s’achève avec "Run For Your Life", titre mid-tempo à l’ambiance atmosphérique doté d’un gros break metalcore, somme toute assez classique, et d’un final électro un poil longuet... qui se poursuit avec le dernier interlude, "Sound". Final en demi-teinte, donc, pour cet album qui aurait mérité un dernier morceau plus punchy et incisif qui nous laisse pantelants, comme si l’on venait de se taper le marathon de New York, à la manière du génial "Spirits" qui clôturait l’album du même nom.
Mais que l’on ne se méprenne pas : « Carnal » est un bon cru et la musique ultra énergique de NOTHING MORE, infusée de multiples influences (du nu-metal à l’indus, en passant par le djent et la pop) est toujours aussi plaisante et revivifiante. La sincérité du groupe n’est pas à remettre en question, car chacune de ses chansons aborde des thèmes très personnels et son originalité est faite de ces attaques brutales couplées à ces mélodies imparables et à la vulnérabilité émotionnelle que les musiciens ne craignent pas d’exposer au grand jour. C’est ce qui rend NOTHING MORE profondément attachant et unique en son genre.