C’est con mais on sait qu’il y a par ici, injustement, des réfractaires et des frileux quant au cas GREEN DAY. A cause de quoi ? De toutes ces couvertures de magazines pour young boyz and girls ? A cause du maquillage autour des yeux ? A cause des fringues un peu trop flashy et propres pour la street credibility keupon ? A cause du merchandising teenage à outrance ? A cause des stades remplis à ras-bord d’un public globalement plus pop que rock ? A cause de la gueule d’amour de Harry-Potter-doigts-dans-la-prise du chanteur ? A cause de tous ces posters certes un peu trop posés qui ornent des chambres de midinettes, de Manchester à Orlando, et de Milan à Hong-Kong ? Je vais vous faire une confession : oui, même ma fille, à neuf ans, nous avait confié, dans un grand moment de gênance, être tombée amoureuse de Billie Joe. En effet, même pour des personnes concernées – et, semblerait-il, ''rockeurs purs et durs'' – face à ces liesses de fans aux yeux cerclés de khôl pourtant à peine sortis du Club Mickey, ça fait beaucoup d’arguments contre. Comme si on pouvait oser défendre BLINK-182 face à des punks à chiens d’un antique squat berlinois déjà actif avant la chute du Mur. Mais tout est possible dans un monde harmonieux heureusement basé sur la communication.
Ahem...
Et à cinquante balais, ce n’est pas tant se ramollir que de (continuer à) pouvoir écouter GREEN DAY. Parce que au terme d’une journée à s’être passé du NEUROSIS ou du ELECTRIC WIZARD, eh bien il peut être récréatif et apaisant que de s’enfiler quelques tubes feel good sans autre arrière pensée que de prendre du bon temps. Et même que tiens : on n’aurait même pas à se justifier si on voulait se réécouter pour la énième fois le chef d’œuvre « American Idiot ».
Allons : ''chef d’œuvre'', vraiment ? Tu délires ?
Non, on assume : sorti il y a tout juste vingt ans, « American Idiot » est un authentique chef-d’œuvre, capable de tenir les comparaisons avec des monuments du rock universels et indiscutables. Allons : GREEN DAY à égalité avec un PINK FLOYD, un Neil Young, un LED ZEPPELIN ou même un NIRVANA ??? On ne cillera pas et ne baissera encore moins les yeux : puisque c’est un « OUI ! » éclatant, bruyant, assumé et définitif. Parce que dans la série des « parce que », « American Idiot » sonne comme une véritable collection de tubes – et ce bien après l’empressement initial et promotionnel de vouloir déjà décider qu’il était un Greatest Hits à lui seul, certes un peu hâtivement de prime abord. Mais vingt ans après, les faits sont presque insolents : « American Idiot » s’écoute en effet d’une traite comme un Best Of, avec la fluidité et la cohérence des plus grands albums concepts pop-rock. Le travail de composition derrière est tout simplement phénoménal, et creuser la démonstration en osant balancer des titres de singles risquerait d’être presque aussi insultant – autant pour vous que pour moi.
GREEN DAY, c’est une équation de morveux aussi talentueux que bosseurs, avec comme dénominateur un sens inné de la mélodie conjuguée à l’énergie : nous le savons, le trio est élevé aux BEATLES, aux KINKS, aux RAMONES, au garage-rock américain des sixties, et à la power-pop avec un petit je-ne-sais-quoi de SOCIAL DISTORTION pour la caution punk-rock californienne.
Il y a tout juste trente ans, ils s’étaient déjà imposés comme une relève quasi immédiate à NIRVANA, tant en terme d’image que de marketing hautement présent à travers la surpuissante MTV et les radios mondiales, alors que le corps de Cobain était encore tiède : ce n’était pas vraiment de leur faute, mais celle des décideurs qui ont dû fissa se dépatouiller de l’affaire en trouvant dans leur bac à cassettes un substitut au Gourou blond de la génération alternative. Banco : il y avait « Dookie » sous la main, prêt à exploser comme une grenade. Bilan : carton plein avec un album générationnel déjà culte – et toujours réévalué comme tel, sans la moindre altération, à l’aide d’une splendide édition fortement augmentée pour ses trente ans : c’était l’année dernière, et on vous disséquait le cadeau (ICI).
En 2004, le trio impertinent célébrait malgré lui l’entre-deux des mandats George Bush, clown absurde à la tête du pays : on ne pensait alors pas qu’il pourrait y avoir pire. Et cet « American Idiot » de fustiger tant avec humour, dérision, honnêteté, discernement et vérité l’état de l’Amérique, dépeinte par des observateurs iconoclastes et farceurs – mais pas moins lucides et accusateurs. Vingt ans plus tard, le constat est dix fois pire, mais au moins l’album n’a pas vieilli : (attention spoiler), il se savoure toujours autant comme ce Greatest Hits et, hourra, les boys nous l’ont à nouveau garni comme une belle piñata pour en célébrer l’anniversaire.
Alors au menu de la box, à peu près la même chose que pour le miracle « Dookie » : outre des goodies comme premiers gadgets, on trouve dedans un joli lot de différents CDs. L’un compile des bonus, B-sides et lives divers (notamment à Tokyo ou sur VH1), l’autre des démos déjà super abouties qui précèdent l’album avec un son forcément plus cru mais où l’essentiel est dit ; un autre concert de l’album joué en intégralité à l’Irving Plaza de New York le 21 septembre 2004 – soit le jour même de sa sortie... tandis que deux Blu-rays viennent compléter l’ensemble, avec des live TV d’époque à la BBC, un documentaire de près de deux heures sur ses vingt ans, et surtout le film Heart Like A Hand Grenade, sorti en 2015, et qui vient raconter tout le travail de composition et d’enregistrement sur l’espace de quinze mois de labeur, ici condensé en 97 minutes de compte rendu in vivo.
Bref : soyons de bonne foi et trouvez-nous d’autres groupes qui auront pondu au moins deux chefs-d’œuvre aussi fédérateurs dans une carrière – deux en dix ans, et qui plus est, ponctués d’autres gâteries aussi savoureuses avant, entre et après. La tournée de 2024 dans les stadiums et biggest arenas l’a démontré : le groupe pouvait déployer une set-list de greatest hits, en se contentant de ne jouer que ces deux albums – et une poignée d’autres sucreries.
Parce que : GREEN DAY est un immense groupe.
PS 1 : On n’a pas menti : on a vraiment pu écrire cette chronique de « American Idiot » sans s’assujettir à mentionner le moindre titre de chanson. C’est dire.
PS 2 : Update post-traumatique du lendemain : c’est d’actualité, il serait temps d’écrire une suite. Suggestion de titre : « American Piece Of Shit ».