
Après l’excellent concert de DARK TRANQUILLITY la semaine précédente et la merveilleuse et incroyable prestation de NE OBLIVISCARIS fin octobre, voilà que Garmonbozia nous régale pour la troisième fois cet automne avec encore une fois une programmation des plus alléchantes. Nous voici donc de retour sur notre péniche favorite à Paris, la bien nommée Petit Bain, pour le passage d’EVERGREY, groupe suédois de metal progressif et mélodique on ne peut plus attachant qui a sorti plus tôt cette année son quatorzième album, le très bon « Theories Of Emptiness ».
Afin d’éviter de galérer une fois de plus sur les routes franciliennes, on n’hésite pas à partir un poil plus tôt que prévu en ce dimanche après-midi, d’autant plus qu’un mouvement de grève des agriculteurs a été annoncé en amont. Arrivée sur les quais de Seine en avance, on en profite pour flâner un peu, puis on se joint aux fans déjà présents, ce qui nous amène à échanger au sujet de notre passion commune, le metal et toutes ses ramifications. Et de la transmission intergénérationnelle avec le papa, la maman et leur fille, tous trois férus de musique. Le genre de discussion impromptue et tellement enrichissante que l’on adore. Du coup, on ne voit pas le temps passer et l’on en oublie le froid qui pourtant se fait pénétrant. Fort heureusement, la température dans la salle est bien plus agréable. Elle va même se réchauffer encore de quelques degrés supplémentaires au cours de la soirée.

Concernant la première partie, ceux qui ont vus EVERGREY au même endroit deux ans auparavant ne seront pas surpris par le premier groupe, car il s’agit encore de VIRTUAL SYMMETRY, combo Italo-Suisse de metal progressif qui présente son nouvel album à paraitre en décembre, « Veils Of Illumination ». De facture plutôt classique et très influencé par DREAM THEATER, la musique du groupe se veut certes technique mais particulièrement mélodique. Il y a un côté épique plaisant mais parfois un peu redondant, et si le jeu des musiciens ne souffre aucun reproche, il nous manque toutefois une étincelle qui allumerait vraiment la flamme. On les sent sympathiques mais quelque peu empotés sur scène, d’où cette impression persistante d’avoir affaire à un groupe amateur, alors qu’il existe depuis 2009 ! Le groupe récolte toutefois quelques acclamations encourageantes de la part du public.

Venu d’Italie, KLOGR (NDJ: à prononcer Kay-Log-Ar) se charge de la suite avec un metal alternatif assez brut, à l’atmosphère un peu glauque qui n’est pas sans rappeler le grunge des années 90. Quant au son, on est en présence d’un style entre nu metal, hardcore et gros rock huileux. Avec quasiment le même décor scénique que les précédents, c’est-à-dire deux écrans de part et d’autre de la scène diffusant des images de clips vidéo, on a toutefois droit à une tout autre ambiance. A commencer par la rampe de fumigène placée juste devant la batterie, qui crache toutes les cinq minutes un épais brouillard de fumée (et par conséquent, masque le batteur pourtant talentueux avec son jeu très groovy), un jeu de lumières étudié fort bien fait, et pour le chanteur/guitariste, Rusty, un pied de micro pour le moins original, entouré de sisal et faisant penser immanquablement à un... arbre/griffoir à chat ! On s’attend presque à ce qu’un félin arrive en trombe sur scène pour s’acharner sur la chose en question (Et au passage, une petite pensée émue pour mon matou qui aurait sans doute apprécié que je lui ramène un souvenir du concert...) Cependant, musicalement, ça tient la route. La proposition est forte et le quatuor possède une vraie présence scénique et un charisme certain. On peut ne pas adhérer à leur musique, tant elle semble éloignée de ce qui nous amène ce soir, mais on ne peut nier qu’il y a là de la matière. Une bonne partie du public semble réceptive quand d’autres se font plus timorés. Mais le groupe ne démérite pas et termine son set par le très dérangeant "Guinea Pig", un morceau écrit en support à Sea Shepherd (dont le guitariste Crivez, possède le nom inscrit très visiblement sur son instrument), et ce pendant que les écrans diffusent des images de braconnage, de pêche excessive, de bains de sang à l’encontre de la faune marine. Rusty termine en criant « Free Paul Watson » (« Libérez Paul Watson »).

La scène se vide alors pour faire place au décor de scène des Suédois. La batterie de l’excellent Simen Sandnes (TEMIC, SHINING, ARKENTYPE...), qui remplace Jonas Ekdahl depuis la sortie de l’album, se trouve placée sur une estrade côté cour, et de profil, de manière à ce que tous les spectateurs puissent admirer le jeu subtil et puissant du talentueux norvégien (et ami d’un autre batteur norvégien exceptionnel : Baard Kolstad de LEPROUS). Côté jardin sont disposés les claviers de Rikard Zander, tandis que trois grands écrans sont disposés au fond et de chaque côté de la scène. Ecrans qui vont diffuser des images relatives aux chansons interprétées, et dans l’habituel univers graphique coloré et poétique d’EVERGREY, qui offrent ainsi les ambiances propices et des effets visuels de toute beauté. Le light-show est à l’avenant, coloré, chaud et très bien travaillé. Le couac vient plus du son, loin d’être parfait, avec des problèmes de micro récalcitrant pour le chanteur/guitariste Tom Englund, et des guitares parfois en retrait dans le mixage (un comble pour un groupe qui possèdent deux guitaristes hors pair tels que Tom et Henrik Danhage !).

Mais qu’à cela ne tienne, le public sort de sa semi-léthargie dès les premières notes de "Falling From The Sun", premier morceau de l’album et parfaite mise en condition pour la soirée. L’énergie est là, tant sur scène que dans la salle, et ce ne sont pas les petits soucis sonores qui vont gâcher le plaisir des fans. Le groupe embraye directement avec le très bon "Say" et l’irrésistible "Mindwinter Calls" (issu de « A Heartless Portrait (The Orphean Testament) » - 2022) avec ses « Ohohohoh » repris en chœur par la foule alors même que le groupe n’a pas commencé à jouer, et que seul le bassiste Johan Niemann a gratouillé les premières notes de la chanson. A voir la tête des musiciens et leurs regards ébahis, on se doute qu’ils ne s’attendaient pas à une telle ferveur. Les sourires rayonnent encore plus à la fin de la chanson, alors que le public, comme un seul homme, continue de chanter pendant un bon moment.

Tom Englund prend la parole pour introduire "Distance" et nous inciter à ne pas laisser celle-ci s’installer dans le cœur de chacun, dans ce monde de plus en plus autocentré. Le groupe à la discographie fournie dégaine ensuite des classiques aussi incontournables que "Eternal Nocturnal" et "A Silent Arc", qui entraînent les spectateurs dans l’univers à la fois dynamique et mélancolique du groupe. Si Tom Englund semble parfois un peu en peine avec sa voix, la fatigue de la tournée se faisant probablement ressentir, au moins nous avons la satisfaction de ne pas entendre de bandes préenregistrées. En effet, les chœurs et le soutien vocal sont assurés par Rikard, Johan et Henrik. Et le public, bien sûr, dont une bonne partie connait les paroles des chansons sur le bout des doigts. Et l’émotion, elle, est bien présente, le frontman excellant dans ce domaine. Il réussit sans peine à transmettre à travers son jeu, son attitude et son charisme, toutes les émotions qui se bousculent en lui.

"Call out The Dark" permet d’admirer le jeu délicat de Rikard Zander, responsable de certaines des plus belles mélodies du groupe. Simen Sandnes nous gratifie d’un court et superbe solo de batterie, mettant en valeur son incroyable technique, sa frappe hallucinante et son groove inné en préambule à "One Heart", une composition écrite pour les fans, dixit le chanteur, et qui donne encore l’occasion de se péter les cordes vocales sur ses chœurs. Puis vient alors l’un des plus beaux morceaux de tout le répertoire du groupe, le préféré de Tom Englund selon ses mots, le magnifique "Where August Mourn" tiré de « Escape Of The Phoenix » (2021) et ses paroles toujours aussi poignantes : « If I'm just aching this can't go on / I came from chasing dreams to feel alone / There must be changes, miss to feel strong / I really need life to touch me / There must be reasons I'm on my own / I really need life to find me / There must be changes, miss to feel strong / I really need life to touch me » (« Si je ne fais que souffrir, ça ne peut pas continuer / Je suis revenu de la poursuite des rêves pour me sentir seul / Il doit y avoir des changements, il me manque de me sentir fort / J'ai vraiment besoin que la vie me touche / Il doit y avoir des raisons pour lesquelles je suis tout seul / J'ai vraiment besoin que la vie me trouve / Il doit y avoir des changements, il me manque de me sentir fort / J'ai vraiment besoin que la vie me touche »). Encore un tube avec le génial "Weightless" qui fait monter la température dans la salle. L’énergie ne relâche pas sa pression et le rythme du concert est soutenu avec peu de temps morts.

Le chanteur profite néanmoins d’une courte pause pour laisser libre cours à son sens de l’humour piquant et taquin. Ainsi, se fait-il un plaisir vers la fin du set de nous demander quelle chanson nous souhaiterions entendre, et chacun y va de son propre choix. Tant et si bien qu’il finit par demander à trois personnes du premier rang (dont fait partie votre humble chroniqueuse) leurs souhaits personnels. Tout cela pour nous moquer gentiment en nous déclarant qu’il ne dérogerait pas à la set-list. Même si mon voisin de droite insiste en disant que nous avons la nuit devant nous. Ce à quoi Tom répond qu’il ne le connait pas suffisamment pour passer la nuit avec lui ! Moment touchant aussi lorsqu’un papa lance à Tom Englund que son fiston de 9 ans, Naël, est un fan absolu. Tom invite alors le petit bonhomme à monter sur scène. Intimidé, presque tétanisé, mais cependant aux anges, le garçon se retrouve alors entre Tom Englund et Henrik Danhage, avec la guitare de ce dernier entre les mains. Il se verra même remettre le médiator de Tom à la fin du concert, en mains propres.
Le show arrive sur sa fin avec "Misfortune" puis "Save Us". L’ovation est forte et chaleureuse, le public est heureux mais ne compte pas s’en aller tout de suite. Alors, on fait le plus de bruit possible pour le rappel, en criant, en clappant des mains, en chantant. Le groupe ne tarde point à revenir pour les trois derniers morceaux, les indispensables "A Touch Of Blessing" et "King Of Errors", mais aussi le poétique "Our Way Through Silence" extrait du dernier album pour clore le chapitre sur une note plus récente et moins convenue. Une bien belle fin pour un concert passé à la vitesse de l’éclair avec un groupe proche de son public, qui se donne sans compter. Et les applaudissements sont à la hauteur de la joie ressentie. Avec son talent, ses compositions superbement construites et addictives et son expérience de la scène, il ne serait que justice qu’EVERGREY puisse à l’avenir remplir une salle de plus grande capacité dans la capitale. Si ce jour arrive, et comme tous les spectateurs présents ce soir, nous y serons bien évidemment !
Photos © Benjamin Delacoux - Portfolio

Evergrey © Benjamin Delacoux | HARD FORCE