29 octobre 2024, 23:59

NE OBLIVISCARIS + WALKWAYS + FREEDOM OF FEAR

@ Paris (Petit Bain)

Parfois, quand le concert auquel on vient d’assister nous a porté si haut, la dure tâche du chroniqueur est de trouver les mots justes, ceux qui décriront au mieux l’expérience vécue, ceux qui transporteront le lecteur dans la même sphère, dans le même état de joie pure, éclatante et réconfortante, ceux qui pourront vous donner cette sensation d’avoir, vous aussi, vécu et partagé cette intensité. Sans avoir la prétention d’y parvenir, j’aimerais, chers lecteurs, vous prendre par la main pour vous emmener avec moi, et vous faire goûter la saveur de ce 29 octobre 2024 à Paris, sur la fameuse péniche Petit Bain, en compagnie de NE OBLIVISCARIS, accompagnés des Israéliens de WALKWAYS et des Australiens de FREEDOM OF FEAR.

Si le soleil n’est pas au rendez-vous, contrairement à ce qu’a pu annoncer Météo France (virez le stagiaire, Crébondiou !), du moins ne pleut-il plus. C’est toujours ça de pris, et puis le soleil, nous y aurons droit ce soir en provenance directe d’Australie. Après les avoir vus l’an dernier au même endroit, puis au Hellfest où ils ont retourné l’Altar, on retrouve le sextet Australo-Franco-Italo- Américain avec un bonheur non feint. Cette fois, avec le retour du batteur historique Dan Presland, les australiens Tim Charles (voix claire et violon) et Matt Klavins (guitare) se sentent moins esseulés. Et bien évidemment, toujours fidèles au poste, le français Benjamin Baret (guitare), l’italien Martino Garattoni (basse) et l’américain James Dorton (voix gutturale) rajoutent des couleurs à ce groupe tout sauf ordinaire. James remplace une nouvelle fois le chanteur officiel du groupe, Marc "Xenoyr" Campbell, qui pour des raisons personnelles et familiales a souhaité rester en retrait des tournées cette année encore, avant un retour aux affaires en 2025. L’arrivée sur les lieux se fait tôt en vue d’une rencontre avec le groupe. Cela permet de savourer ces instants fugaces mais ô combien précieux en petit comité avec quelques passionnés, d’échanger avec des musiciens proches de leurs fans, chaleureux et abordables et de récolter des sourires qui font chaud au cœur.

On y retrouve également les amis, ceux de longue date, ceux plus récents, on bavarde, on s’amuse, on partage. Et c’est tellement plus vivifiant d’être véritablement ensembles à cette époque où les réseaux sociaux prennent le pas sur les vraies relations entre êtres humains ! S’ils nous servent à maintenir le contact, ils ne remplaceront jamais le plaisir d’un face à face. Avant NE OBLIVISCARIS, ce sont leurs compatriotes FREEDOM OF FEAR avec leur premier album sous le bras (« Carpathia » - 2022) qui sont en charge de réchauffer les spectateurs déjà présents en masse sur cette date qui affiche complet, pour la seconde fois consécutive. Avec leur death metal mélodique à la limite du black metal, véloce et agressif, le quartet composé de la paire de guitaristes virtuoses, Matt Walters et Corey Davis, du batteur Liam Weedall et de la growleuse en chef Jade Monserrat, attaque de plein fouet. Ça rentre dans le lard, option brise-nuque offerte à tous les participants, ça ne fait pas de quartier, et ça a le mérite de nous mettre de suite dans le (Petit) bain. Jade hurle comme une possédée, le visage la plupart du temps caché derrière le rideau de sa chevelure qu’elle secoue en tous sens, tandis que les guitaristes tricotent des soli mélodiques en diable et que le batteur maltraite son kit comme un forcené. On apprécie toutefois lorsque la chanteuse module sa voix parfois trop monolithique vers des sons plus graves, comme sur les deux derniers morceaux, "Entities" et "Zenith". Le son est à l’avenant, brut de décoffrage, mais les lumières, et ce sera le seul point à regretter de toute la soirée, proviennent bien trop souvent du fond de scène, et pas assez de la façade. Un problème récurrent, quel que soit le groupe ou la salle. Et si cela participe à l’esthétique dark de notre musique préférée, ce n’est quand même pas terrible d’un point de vue visibilité, même au premier rang. Au fond, c’est pire (mais virez le stagiaire, Crébondiou !). Quant à la prestation du quatuor, elle met tout le monde d’accord : c’est un sans-faute pour la toute première venue de FREEDOM OF FEAR sur le sol français. Belle ovation à l’applaudimètre et mini circle-pit en prime (les deux larrons qui ont eu le courage de se lancer si tôt dans la soirée, alors que la majorité des spectateurs était encore en plein échauffement, nous ont particulièrement réjouis).


Après cette belle mise en bouche, on apprécie la petite pause du changement de plateau, histoire de souffler un peu. WALKWAYS, le suivant à monter sur scène, est un groupe dont nous vous avions déjà parlé lors de la sortie de son deuxième album, « Bleed Out, Heal Out » en 2019. Comme la pandémie est passée par là et qu’elle a eu, pour certains, l’effet d’un lavage de cerveau, mais aussi parce que je vous aime et prends soin de vous, voici la chronique dudit album, qui nous avait, à l’époque, fait une forte impression.
Influences nu-metal marquées pour le quintet originaire de Tel-Aviv, qui pose pour la première fois, lui aussi, ses flight-cases dans l’hexagone. Et changement de style radical par rapport à FREEDOM OF FEAR. En effet, pour ceux qui les découvrent, la musique des Israéliens a de quoi décontenancer. Des à-coups furieux, des breaks et changements de rythme à tout-va, des mélodies qui tranchent avec le reste, des passages parlés... Nous avons ici un groupe qui a mis toutes ses influences dans un shaker et a créé son propre son. Mais c’est précisément ce genre d’attitude qui ne peut que plaire au public de NE OBLIVISCARIS, spécialiste également du mélange de styles, avec pour résultat un son unique et inimitable.


Le chanteur, Ran Yerushalmi, qui sur album nous avait épaté, est aussi possédé par sa musique que nous l’imaginions. Possédé et torturé. Il vit son chant avec une telle intensité qu’on a l’impression que c’est un poison qu’il faut qu’il expulse de lui pour ne pas y laisser sa peau, pour ne pas devenir fou. Ses camarades de jeu sont tout autant investis, notamment Avihai Levy, le bassiste, qui n’hésite pas à communiquer avec  le public en gueulant sans micro, ou à sauter dans la fosse pour un mosh pit endiablé lors du dernier morceau, "Actions". Les guitaristes Bar Caspi et Ohad Stavi (en remplacement de Yoni Menner qui n’a pu se joindre au groupe) balancent des riffs assassins, boostés par les coups de boutoirs de Priel Horesh sur sa batterie, et ce, dès les premières notes de "Humane Beings au final toujours aussi prenant. La setlist est équilibrée entre trois extraits de « Bleed Out, Heal Out » et deux du premier album, « Safe In Sound », avec une petite surprise qui s’est glissée au milieu : "A Reminder", beau mid-tempo poignant issu du nouvel album à paraitre, à priori vers la fin du premier semestre 2025, dixit les intéressés. C’est un beau panel proposé par le groupe qui permet de découvrir sur un temps assez court ce dont ils sont capables. Et à entendre les réactions du public, il semblerait bien qu’ils aient remporté des points ce soir. Un groupe qui délivre des prestations dotées d’une certaine force théâtrale et habitée, à découvrir absolument !


Deuxième pause et changement de plateau lors duquel on découvre l’imposante batterie à double grosse caisse de Dan Presland qui trône en fond de scène. Les retours installés au bord pour les deux groupes précédent sont dégagés, ce qui libère l’espace scénique et le rend (un peu) moins exigu. Au vu de la popularité croissante de NE OBLIVISCARIS à Paris, il serait peut-être temps de leur offrir l’opportunité de se produire sur une plus grande scène. Et cela ne pourra que ravir les malchanceux qui ont raté le coche cette fois-ci. Cependant, les Français n’ont pas à se plaindre avec cinq dates programmées sur le territoire. Si vous êtes dans les environs des villes visitées (Wasquehal, Lyon Colmar), foncez avant qu’il ne soit trop tard, car pour Nantes, c’est déjà foutu : c’est complet ! Mais revenons sur notre péniche, ou la foule compacte est maintenant chaude à point pour être dévorée toute crue. Etant donné la durée du set (plus de deux heures), les stars du jour ne se font point trop attendre. En effet, cette tournée les voit présenter les albums « Citadel », dont c’est le dixième anniversaire et le petit dernier, « Exul » (2023) en entier, de A à Z. Intro et outro incluses. Et pas sur bandes, qui plus est ! C’est donc seul en scène que Tim Charles entame la soirée avec l’intro ( "Part I : Wyrmholes ") de la longue pièce "Painters Of The Tempest", qui dépasse allègrement les vingt minutes. Charismatique et lumineux, le violoniste chanteur attire à lui seul les regards et fascine l’audience en faisant sonner son instrument de manière antiacadémique au possible. Rien de traditionnel ni de folk dans son jeu, quelques touches de musique classique, certes, des parties dansantes, des sons parfois crissants et dissonants comme pourrait le faire un guitariste, et surtout, une émotion à fleur de peau. A de multiples reprises durant le show, le silence se fait religieusement par un public absorbé et attentif lors de ses passages solo, ou en duo avec Benjamin « Benji » Baret (la fin acoustique et gipsy de "Painters", "Part III : Reveries From The Stained Glass Womb", est d’une beauté renversante). Avec ses compositions à tiroirs, le groupe est passé maitre dans l’art de bouleverser les ambiances en un clin d’œil. C’est un roller coaster émotionnel continu, entre la puissance abrupte des passages black/death metal, les moments de douceur pure et soyeuse, les minutes joyeuses et festives, les soli de basse groovy à se damner d’un Martino Garattoni éblouissant de talent et de maitrise, la puissance terrassante des blast beats de Dan Presland (cet homme est une machine de guerre !), et les deux guitaristes aux doigts en or que sont Benji et Matt qui délivrent mélodies envoutantes et riffs d’acier.

Les voix de James Dorton et de Tim Charles s’opposent et se complètent, s’attirent et se repoussent, à l’image de deux aimants. Positif et négatif. Lumière et ombre. Tendresse et violence. Velours et granit. C’est cet équilibre délicat que maitrise le groupe. Les moments intenses et mémorables sont légion : le break explosif de "Painters", la montée en puissance de "Pyrrhic", le final galopant de "Devour Me, Colossus (Part I) : Blackholes", qui voit le public clapper dans ses mains avec ferveur. Tim, le maitre de cérémonie, n’a pas à se forcer : les spectateurs suivent le mouvement avec un naturel désarmant. Son enthousiasme et sa sincérité font le reste. Avant d’attaquer la deuxième partie du concert et le récent « Exul », le frontman prend la parole pour nous remercier chaleureusement, tout en glissant un mot sur la relation particulière que le groupe entretient avec la France. C’est en effet en 2015, au Hellfest, qu’a eu lieu leur premier concert sur le sol Clissonnais, avant d’y retourner cette année, avec un succès décuplé. Il laisse ensuite la parole à Benji qui se fait un malin plaisir de présenter ses compagnons, mais en francisant leurs noms. Eclats de rire assurés en l’entendant ainsi dire (attention, accent franchouillard de rigueur) « Mathieu Kla-vingt à la guitare, Martin Gare-à-tony à la basse, Daniel Presse-lent à la batterie, Jean Dors-t-on au chant et bien sûr Timothée (NDJ : Tim au thé ? Tim Oté ?) au violon » Si les susnommés n’ont pas trop compris ceux qui leur arrivait, le public, lui, en pleure presque de rire. Et quand Tim s’essaie au français, on a droit à un vocabulaire aussi coloré que « chocolatine », « centrifugeuse » ou « putain » (il semblerait que celui-là soit plus facile à retenir et à prononcer…). Vient alors "Equus", le morceau qui a marqué le grand retour du groupe après six ans d’absence, tube imparable (si l’on peut appeler « tube » un morceau de plus de 12 minutes !) pour lequel la fosse est soudainement prise de remous. Les circle-pits et joyeuses bousculades s’enchainent avec encore plus d’énergie que lors de la première moitié du show. L’émotion, elle aussi monte encore de plusieurs crans durant "Misericorde", chanson en deux parties qui évoque la violence et la douleur d’un être humain à l’article de la mort, en proie à une maladie dévastatrice. Le solo de Benji durant la deuxième moitié, "Anatomy Of Quiescence" est toujours aussi époustouflant. Les notes de Tim Charles vibrent de sensibilité, comme autant de larmes arrachées à l’instrument, et l’on ne peut s’empêcher de penser que chaque soir, il rend ainsi un poignant hommage à sa maman, décédée en 2021.


Mais la vie l’emporte sur la tristesse, les sourires et la joie reprennent leurs droits. A voir comme le frontman s’amuse, saute et danse à la moindre occasion, comme il distille cette énergie folle aux quatre coins de la scène, on se dit que le soleil brille quand même derrière les nuages, quoi qu’il advienne. James Dorton, bien que malade ce jour, n’en demeure pas moins lui aussi un frontman exceptionnel, avec sa voix puissante, sa stature imposante, sa présence et son regard impressionnants  qui font merveille sur "Suspyre". Après un "Graal" dansant aux sonorités orientalisantes, on approche déjà de la fin, avec cette sensation que le concert est passé à toute vitesse, alors que les musiciens se donnent à fond depuis près de deux heures. Preuve qu’un groupe généreux peut embarquer le public dans une bulle spatio-temporelle qui nous fait perdre tous nos repères. Dernier morceau issu de « Exul », "Anhedonia" laisse Tim Charles seul en scène une nouvelle fois. De sa voix délicate et profonde émane un cri, une complainte, qui provoque une vague de frisson dans l’assistance, hypnotisée par les mains graciles du violoniste qui fait frémir les notes, suspendues dans l’air. Le silence qui gagne la salle pendant ces trois minutes est hallucinant. Puis les applaudissements pleuvent, l’ovation explose, la joie se libère. Tous ont la conscience aigüe d’avoir vécu un moment  exceptionnel, de ceux qui ne peuvent s’oublier. Et qu’importe les quelques problèmes techniques et les rares petits ratages inhérents à tout concert. Après ces deux albums en entier, le public en redemande encore. C’est sous les acclamations déchainées des spectateurs que revient le sextet, Tim Charles nous disant qu’il se demandait s’il fallait inclure un rappel sur cette tournée après un show aussi long. De toute évidence, la réponse est oui. Un oui franc et massif pour des fans encore affamés malgré ce concert gargantuesque. Ainsi, c’est le sublime et incontournable "And Plague Flowers The Kaleidoscope" qui achève ce concert, et fini d’achever les dernières forces des spectateurs dans une valse tournoyante, chatoyante et surpuissante, enfin repus et bienheureux. Comblés d’un bonheur indicible. NE OBLIVISCARIS est un groupe qui donne une valeur supplémentaire à la notion de spectacle vivant : la vie est là, on la touche du doigt, dans toute sa splendeur et son intensité, dans sa force mouvante, son élan, sa respiration. Les musiciens rayonnent, le public aussi. On sert les mains, on laisse éclater sa satisfaction, on rit, on s’embrasse, on traine un peu pour repartir, puis on se sépare enfin, comme à regret… Jusqu’à la prochaine fois.


Photos © Christian Arnaud avec nos remerciemens.

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK