C’est le printemps, le ciel est bleu, le soleil brille et les oiseaux cuicuitent… Et les vacanciers, touristes d’un moment partis envahir une autre région, sont de retour dans la capitale. Avec les conséquences routières que l’on connait. Enfer et damnation ! Partie un poil trop tard de la maison, me voilà à bouchonner sur la route en regardant l’horloge égrener ses minutes trop vite. Et les kilomètres défiler trop lentement. Ce soir, les Ecossais de SAOR jouent à Petit Bain, accompagnés par les Suisses de CÂN BARDD, les Allemands d’IMPERIUM DEKADENZ et les Norvégiens d’IN THE WOODS... Et la péniche affiche complet pour cette belle soirée black folk metal atmosphérique concoctée une fois de plus par Garmonbozia.
Autant dire qu’il me sera impossible de me retrouver dans les premiers rangs cette fois. Le temps de se poser au parking, on file fissa jusqu’au bateau où l’on arrive à peine deux minutes avant le début des concerts prévue à 18h20. Alors que je tente une percée dans la fosse pour me rapprocher de la scène, voilà que je me prends une douche de bière fraiche sur le bras, et malgré les plates excuses du "coupable" (au demeurant fort sympathique), je ne peux me résoudre à supporter les relents écœurants de la cervoise plus tout à fait fraîche qui émane de moi, et je rétrograde jusqu’aux toilettes pour un rinçage improvisé. Les lumières s’éteignent et CÂN BARDD entame son set avec son morceau le plus emblématique, "Une Couronne De Branches", donc demi-tour en accéléré pour se faufiler sur le côté droit, contre la rambarde où m’attend une petite place, quichée entre deux grands costauds, dont mon voisin de gauche à la mine plutôt patibulaire…

Le voyage commence dans les montagnes et collines verdoyantes de la Suisse avec le groupe du compositeur, chanteur et multi-instrumentiste Malo Civelli, qui nous transporte entre moments très doux et atmosphériques et noirceur black metal sur un rythme trépident. Sur album, leur musique est immersive et majestueusement orchestrée. Sur scène, desservis par un son plutôt brouillon et des lights presque exclusivement venus du fond de scène (de toute évidence, le stagiaire a dû prendre le relai, pendant que l’ingé lumière est parti boire un café…), on peine à distinguer les musiciens et les morceaux semblent un peu moins marquants. Qui plus est, lors des très nombreux passages de claviers et les orchestrations servis sur bandes (faute de moyens pour embaucher le personnel adéquat, on suppose), le groupe tourne systématiquement le dos au public, ayant pour effet un rendu scénique assez statique. Dommage car la musique, elle, est bien vivante et tout à fait réussie. On a particulièrement apprécié "Celestial Horizon" avec la participation à la flûte d’Ella Zlotos de SAOR que nous reverrons plus tard dans la soirée avec son groupe. Les harmonies vocales sont de toute beauté et auraient vraiment mérité une meilleure mise en son. L’accueil du public est très chaleureux, et Malo, vraisemblablement touché, nous remercie en français avant la photo finale. CÂN BARDD est un groupe que nous aimerions revoir au plus vite, et en tête d’affiche, tant sa musique est belle et profonde.
Le changement de plateau se fait vite (ce sera une constante durant toute la soirée) pour laisser place à IMPERIUM DEKADENZ venu de la Forêt-Noire, et son black metal bien plus brutal et martial. On y trouve même quelques relents de heavy traditionnel et de power metal. Christian "Horaz" Jakob, le hurleur en chef, présente son groupe en s’adressant en français aux spectateurs, qui apprécient fortement cet effort, même si le chanteur confesse « mon français est très mal ». Il s’agit de la première venue du groupe allemand à Paris et l’ovation recueillie leur donne le sourire. On est en présence d’un metal extrême bien exécuté, avec un côté très carré (deutsche qualitat oblige) mais c’est bien plus froid que les trois autres groupes prévus ce soir. Le son, malheureusement, fait l’effet d’une bouillie sonore dans laquelle on peine à percevoir la voix d’Horaz, noyée sous la rythmique et le mur de guitares. Mais le public n’en a cure puisqu’il applaudit copieusement les musiciens, surtout mon voisin de gauche qui semble être tout particulièrement sensible aux riffs agressifs et à l’ambiance de fin du monde du groupe.
Changement radical avec IN THE WOODS… qui, contrairement à ce que l’on aurait pu croire vu l’origine scandinave du groupe, est le plus mélodique de cette affiche avec son black/doom /metal gothique très harmonieux. Nous avons particulièrement aimé le dernier album « Otra », sorti depuis peu, et avions vraiment hâte de les découvrir sur scène. Enorme coup de cœur pour la voix de ténor extraordinaire de Bernt Fjellestad (ex-GUARDIANS OF TIME), puissante, mélodique et d’une fabuleuse justesse émotionnelle, capable également de growls bien placés. Le son est maintenant d’une belle clarté et l’on peut enfin goûter comme il se doit toutes les subtilités des deux derniers groupes. IN THE WOODS... possède ce petit truc en plus, ce sens de l’accroche immédiate et une sympathie naturelle qui recueille l’adhésion de tous les spectateurs présents, subjugués tant par la présence scénique que par la maitrise des musiciens (sauf mon voisin de gauche qui, vu son air renfrogné, semble insensible à l’aspect trop mélodieux de cette musique). Le groupe a la judicieuse idée de mettre en avant son magnifique dernier album (à prononcer « Outra ») en proposant trois extraits à l’efficacité imparable : "The Crimson Crown", "A Misrepresentation Of I" sur lequel intervient le génial guitariste de SAOR, Martin Rennie, pour un moment d’anthologie avec ce riff addictif et groovy qui donne une irrépressible envie de sauter comme un cabri, puis "The Things You Shouldn’t Know". Bernt est un vocaliste éminemment charismatique et sympathique, le seul de la soirée à communiquer ouvertement avec le public, le tout avec une touche d’humour bienvenue. Le set se conclut avec le morceau intitulé (comme par hasard) "In The Woods". Un vent de fraicheur et de joie souffle sur la péniche avec ce groupe, copieusement et fort justement applaudi après cette prestation dynamique et réjouissante.

© Sly Escapist

C’est enfin au tour de SAOR de nous transporter dans son Ecosse natale avec sa musique hautement évocatrice. Le projet d’Andy Marshall se trouve être un véritable groupe sur scène et l’expérience est toujours profondément immersive. On se souvient avec émotion de leur concert de toute beauté lors du Hellfest 2023. Venu défendre son dernier album « Amidst The Ruins », le frontman, compositeur et tenant la basse sur scène, est accompagné aux guitares de Martin Rennie et Nicolas Bz (également préposé aux voix claires), de Carlos Vivas à la batterie et d’Ella Zlotos à la cornemuse, à la flûte et aux voix féminines. Le son est parfait et le jeu de lumière s’accorde bien à l’ambiance mélodique et brumeuse de la musique de SAOR, même si l’on aurait aimé qu’Ella soit un peu mieux éclairée. Fort heureusement, elle n’hésite pas à venir en devant de scène dès qu’elle le peut pour interagir avec ses comparses. Andy, de son côté, ne décroche pas un mot mais sait communier avec le public rien qu’avec sa prestance et son attitude. Le public est de toute façon, totalement dévoué à sa cause. Et subjugué par cette musique riche, belle, émouvante et envoûtante.
Celles et ceux qui aurait souhaité que le groupe pioche dans toute sa déjà riche discographie en seront pour leur frais. En effet, le quintet a choisi de jouer en intégralité et dans l’ordre son somptueux dernier album, ne proposant que "Aura" de l’album du même nom, en guise de rappel. Cela ne nous empêche pas de savourer le concert qui, s’il nous a semblé très court (une heure tapante, et pas une seconde de plus), est cependant intense du point de vue émotionnel. Même mon voisin de gauche sort de sa réserve pour enfin laisser exprimer sa satisfaction. Les musiciens sont impeccables de justesse. Outre les interventions d’Ella, on apprécie particulièrement Martin et Nicolas aux guitares harmonisées, ainsi que les cavalcades rythmiques de Carlos qui se marie sublimement à la basse vrombissante d’Andy. Moment de pure grâce également avec l’acoustique "The Sylvan Embrace". Nous ne sommes plus dans la cale d’une péniche mais bien dans les landes et forêts d’Ecosse. C’est beau, c’est prenant et magique. Les applaudissements à tout rompre en disent long sur l’appréciation du public. Et les visages souriants des musiciens sont de ceux qui ne trompent pas.
Lorsque les lumières se rallument, on peine à croire qu’on flotte sur la Seine, car on était plutôt en train de flotter dans les airs et les lacs brumeux avec les fées, les elfes et les esprits torturés de lieux hantés par des générations de fiers Ecossais. Hantés par des fantômes et des monstres, par des légendes et des traditions séculaires toujours bien vivaces. On rentre à la maison avec une sensation de bien-être et de plénitude... malgré l’odeur persistante du houblon qui n’a pas tout à fait disparue !

© Sly Escapist