
Comme depuis leurs débuts en 2014, Amy Love (chant et guitare) et Georgia South (basse) n’hésitent pas à mêler les inspirations afin d’en faire émerger leur propre style. a quelques jours de la sortie de leur 3e album studio « Parasites & Butterflies », nous avons discuté de celui-ci avec le duo londonien...
Votre album se nomme « Parasites & Butterflies », ce qui semble réunir deux espèces animales complètement opposées. Pourriez-vous nous en dire davantage sur la signification de ce titre ?
L’album parle beaucoup du lien entre le chaos et la beauté, le chaos étant ici représenté par les parasites et la beauté par les papillons. À première vue, les deux sont séparés alors qu’en réalité, ils sont constamment mêlés et on ne peut pas avoir l’un sans l’autre. On s’en est notamment rendu compte pendant l’écriture de l’une des chansons qui se passait de façon très chaotique, mais ce qui en est ressorti est un titre vraiment incroyable qu’on aime beaucoup. Certaines chansons sont plutôt en lien avec la beauté et la joie, on pourrait croire qu’elles ont été faciles à écrire mais on a travaillé très dur pour qu’elles soient si abouties. Pour cet album, on a vraiment voulu qu’il y ait un équilibre entre les deux.
Les inspirations musicales qu’on retrouve sur l’album sont très variées : du rap sur "Drip", du R’n’B sur "Soprano", du rock sur "Monsters", du hip-hop sur "N.O.V.A.", du gospel sur "Glory" et, sur l’ensemble de l’album, vous avez une énergie très punk. Comment avez-vous intégré autant d’influences et comptez-vous en faire l’un des éléments constitutifs de votre style à l’avenir ?
Je crois que ça s’est fait naturellement. On écoute énormément de styles musicaux différents et on a grandi entourées d’un mélange de différentes cultures, ça s’est manifesté à travers la musique, la nourriture, etc... Beaucoup de gens nous posent la question de ce mélange des styles, mais pour nous, c’est aussi naturel que de respirer. On l’a toujours fait et c’est très drôle de mélanger différents genres, de les explorer et d’essayer des choses qu’on n’avait pas encore testées auparavant, c’est vraiment très drôle à faire.
La chanson "Monsters" décrit une situation assez paradoxale dans laquelle vous avez peur de vous-mêmes mais pas des monstres qui vous entourent. Comment pensez-vous que nous puissions résoudre ce problème et renouer avec la peur des monstres plutôt que de soi-même ?
Je crois qu’on est constamment confronté à ses démons. Parler peut être d’une grande aide et il faut arriver à accepter cette idée. Je crois que beaucoup de personnes ont l’impression que, quand quelque chose va mal, il faut le cacher et montrer en priorité les aspects positifs de sa vie, surtout sur les réseaux sociaux. S’entourer de sa famille et de ses ami.e.s pour donner une image présentable et tout faire pour donner la meilleure image de soi. Mais quand ça n’est pas la réalité, ça peut être très épuisant. Je pense qu’une fois qu’on est conscient.e de ce qu’on traverse, les démons font moins de bruit parce que c’est comme si on leur tenait tête, alors que ça devient vraiment horrible quand ils tournent encore et encore dans notre tête, c’est une situation très compliquée. On peut lutter contre ça en faisant beaucoup d’introspection et en luttant contre la volonté de toujours montrer le bon côté des choses. On veut encourager notre public, s’il traverse quelque chose de difficile, à en parler, à demander de l’aide aux proches, à appeler les numéros de téléphone prévus à cet effet, à trouver de l’aide d’une façon ou d’une autre.
"Soprano" est un hymne à la solidarité féminine, il est très puissant. Avez-vous vécu des situations qui vous ont inspiré cette chanson ?
On a surtout vu comment fonctionne l’industrie et comment elle dresse les femmes les unes contre les autres. On a aussi vu les gens sur les tapis rouges, la façon dont ils se regardent, dont ils se comparent les uns aux autres en se demandant qui est le ou la meilleur.e. Il y a aussi les personnes qui se disent « On a déjà eu cette artiste femme à la radio donc maintenant on va en choisir une autre », ou encore les hommes qui profitent des femmes pendant la période d’enregistrement au studio, etc... Il faut qu’on soit unies, pas qu’on succombe à ce fonctionnement et ces comportements toxiques de l’industrie. Il faut qu’on soit plus puissantes, comme quand on sort ensemble le soir dans la rue et qu’on passe de bons moments entre nous. C’est dans ces moments-là que les femmes sont magnifiques, c’est là qu’elles réussissent. Cette chanson est une représentation de cet état d’esprit, quand les femmes chantent avec leurs meilleures amies et célèbrent les succès et les réussites des unes et des autres.
Pensez-vous que les rêves apportés par "Sandman" sont un bon moyen d’explorer sa propre vulnérabilité ?
Dans cette chanson, nous nous mettons à la place du marchand de sable et c’est plutôt pour explorer la notion de contrôle : voir ce qu’il y a entre le paradis et l’enfer, l’amour et la destruction, mais aussi montrer qu’on a la capacité de faire de notre journée une journée magnifique ou une journée absolument horrible. On a ce pouvoir et on doit apprendre à le maîtriser. Cette chanson parle surtout de la lumière, même celle qui contraste avec l’obscurité et ce sont les paroles de cette chanson qui ont donné le titre de l’album.
Vous avez enregistré l’album à Vermont aux États-Unis avec le producteur Rich Costey. Comment s’est passée la collaboration avec lui ?
Il est merveilleux. On n’avait pas encore enregistré d’album aux États-Unis on ne l’avait rencontré qu’une fois ou deux sur Zoom avant d’arriver, donc on avait un peu d’appréhension car on ne savait pas si on allait vraiment bien s’entendre ou pas. Mais il est tellement adorable, calme et attentionné ! Il a été très attentif au projet, on s’est amusé à explorer différentes sonorités, c’était une expérience très drôle. Le cadre du studio était très beau aussi : Vermont est au milieu d’une forêt donc on était au milieu des arbres, c’était très calme et très apaisant. C’était génial de sortir un peu du Royaume-Uni pour s’immerger dans la nature, c’était une très bonne expérience.

La pochette de l’album est très belle. On dirait que vous êtes deux Narcisses en train de regarder votre reflet dans l’eau, mais on dirait aussi que c’est un moyen de faire votre introspection. Pourriez-vous nous en parler un peu, nous dire comment s’est passé le making-of, etc... ?
C’était très amusant à faire. On voulait quelque chose qui représente aussi bien la lumière que l’obscurité, la beauté et le chaos ensemble. On a travaillé avec un très bon directeur artistique. On voulait aussi beaucoup de papillons pour que ça soit un peu le thème principal tout au long de l’album. On se regarde dans un miroir posé sur une table, un peu comme si on se regardait en enfer mais depuis le paradis, ou comme si on regardait une autre de nos facettes pour mieux nous confronter à elle alors que cette facette regarde directement l’appareil photo. C’est tout le propos de l’album. C’était amusant d’imaginer tous ces parallèles et, quand on a vu les photos à la fin de la journée, on était très contentes du résultat.
Vous avez, dans vos clips et sur scène, des tenues magnifiques que vous fabriquez en partie vous-mêmes. Pourriez-vous nous en parler un peu et notamment de celles que vous portez dans le clip de "N.O.V.A." ?
On a toujours beaucoup aimé la mode et, dès qu’on a formé le groupe, on customisait nos vêtements. Au début, on en faisait seulement de temps en temps, puis de plus en plus jusqu’à avoir des tenues pour nos clips, des tenues de scène, des tenues pour les cérémonies, etc... On a décidé de les appeler "Bad Stitches" et notre rêve serait de pouvoir, un jour, créer une marque pour que tout le monde puisse les porter. On a aussi fait les tenues du clip de "N.O.V.A.", elles étaient très drôles à faire. On aime beaucoup faire ça, pour nous c’est une autre façon de nous exprimer et on s’inspire beaucoup de notre musique pour créer ces vêtements. Quand on a commencé à faire de la musique en portant d’autres tenues, ça ne nous ressemblait pas vraiment alors que maintenant, nos vêtements correspondent exactement à ce qu’on a envie de porter. Ça nous permet de nous sentir puissantes et uniques et de nous exprimer de façon amusante.

Il y a quatre ans, vous avez présidé à la création de l’album « Voices For The Unheard » sur lequel on peut entendre plusieurs singles réalisés par des personnes racisées issues de la scène des musiques alternatives. Comment trouvez-vous que la situation des personnes racisées au sein de cette scène a évolué depuis la sortie de l’album ? Même si c’était il y a seulement quatre ans, avez-vous remarqué une évolution ?
Oui ! Cet album remonte à 2021 et il y a vraiment eu du progrès depuis. Je crois que c’est précisément à partir de cette époque que les gens ont commencé à se parler et à se rendre compte que les personnes racisées vivaient toutes la même chose et qu’elles étaient souvent mises de côté. En-dehors de la scène alternative, les gens avaient tendance à nous cataloguer comme des artistes R’n’B ou hip-hop, ce que nous ne sommes pas. Avec cet album, l’objectif était surtout de donner de la visibilité aux artistes de la scène alternative, les mettre en lumière et diffuser leurs interviews pour nous assurer que le public puisse entendre leurs histoires aussi bien que la nôtre. Au fil du temps, beaucoup de promoteurs catégorisés comme des "gate keepers" et des labels ont réfléchi aux artistes qu’ils défendaient. Certaines personnes ont eu une phase pendant laquelle leurs habitudes ont changé, puis elles sont retournées à leurs anciennes habitudes dès que le sujet n’était plus abordé, mais d’autres ont vraiment appris. Le public de cette scène s’est aussi diversifié, il est beaucoup plus varié aujourd’hui que quand on a fait nos premiers concerts. Il y a aussi davantage de diversité dans les groupes programmés, dans ceux qui sont mis en lumière par les différents médias, etc... Au Royaume-Uni, on a les MOBO Awards (Music of Black Origin, cérémonie britannique annuelle qui récompense des artistes jouant de la musique d’origine noire, ndlr) qui récompensent les artistes noir.e.s, pour lesquels on a travaillé avec Kanya King, la CEO qui a introduit les catégories rock et alternative. Le but est que ces genres soient reconnus au même titre que les genres plus mainstream, aussi parce qu’ils ont émergé grâce à la musique faite par les personnes racisées, notamment le blues. C’était merveilleux de voir émerger cette catégorie trois ans plus tard pour voir ce que devenait cet art, on est très fières de ça et que ces genres soient représentés à la télévision.
Vous développez beaucoup d’actions pour collaborer avec des artistes et les soutenir, vous tournez avec beaucoup de groupes, mais il n’y a pas de featuring sur l’album. Pourquoi ?
On a travaillé avec plusieurs artistes sur cet album, notamment sur "Hummingbird" et "Drip" pour les parties de batterie et, plus largement, dans le processus de réalisation et d’enregistrement de l’album. On a aussi fait des tournées avec d’autres artistes, c’est là qu’on collabore vraiment. Pour l’écriture, c’est un choix de notre part de ne pas avoir impliqué d’autres personnes car beaucoup de gens partent du principe que les femmes n’écrivent pas leurs chansons elles-mêmes. On a toujours voulu montrer qu’on écrivait l’album nous-mêmes et qu’on n’avait pas besoin d’aide extérieure pour l’écriture. En plus, cet album est très personnel puisqu’il parle de nos failles et de notre vulnérabilité, donc on a préféré être les seules à l’écrire. Même si en réalité, il y avait une chanson pour laquelle on avait envisagé de faire un featuring : l’idée de départ pour "Soprano" était d’avoir beaucoup de femmes merveilleuses sur cette chanson, donc on en a contacté quelques-unes mais ça n’a pas marché aussi bien que ce qu’on avait espéré et, pour le bien de la chanson, on n’a pas voulu forcer le processus. On avait vraiment une idée très précise de ce qu’on voulait et là, ça n’a juste pas donné le résultat qu’on voulait obtenir, mais peut-être pour un remix plus tard. On collabore avec des artistes tout le temps, juste pas en tant qu'invités sur cet album. Mais peut-être la prochaine fois ! Ou peut-être pas, on verra selon ce qu’on veut.
Vous aviez beaucoup d’énergie pour votre concert au Hellfest l’année dernière. Comment vous sentez-vous à l’approche de votre prochaine tournée et, plus particulièrement, à l’idée de revenir en France ?
Le Hellfest est le meilleur festival du monde, on l’aime tellement qu’on y a joué deux fois (en 2019 et 2024, ndlr) et chaque année était meilleure que la précédente. C’était l’euphorie, c’était tellement incroyable ! On a vraiment adoré. On a tellement hâte de revenir en France pour cette tournée ! C’est un pays qui nous a vraiment acceptées dès le début. On a même été mieux accueillies en France qu’au Royaume-Uni. On aime beaucoup les différentes villes et on a eu tellement de souvenirs amusants en dix ans ! Le public nous a toujours beaucoup soutenues et on l’apprécie sincèrement parce qu’il nous a vraiment permis de monter en puissance, donc on a très hâte de revenir.

