Retrouvez la 1ère partie de cette chronique ici.
...En 1991, DARK ANGEL est à la croisée des chemins. En plus d’une nouvelle orientation musicale qui a vu Gene Hoglan et les siens explorer la face extrême de leurs compositions en les rendant toujours plus brutales et techniques, un bouleversement est intervenu dans son line-up deux ans plus tôt, et pas des moindres : le dernier membre du groupe d’origine, appelé à ses débuts SHELLSHOCK, le guitariste Jim Durkin, a quitté la formation en pleine tournée avec DEATH ! Si le départ de Durkin, remplacé depuis par l’ex-VIKING Brett Eriksen qui a coécrit sept des neuf morceaux de « Time Does Not Heal », n’a pas eu une grande incidence sur la qualité dudit album, il semble toutefois avoir préfiguré d’autres tourments au sein de la formation. En effet, malgré une réception globalement positive de la part des critiques et des fans, ce nouveau disque ne suffira pas à empêcher Brett Eriksen et Ron Rinehart de quitter leur poste un an plus tard. Les musiciens ne tarderont pas alors à abandonner définitivement les quelques tentatives, enregistrées sous forme de démo avec le guitariste Cris McCarthy de SILENT SCREAM, de donner un successeur à « Time Does Not Heal » puis à splitter. Mais nous aurons l’occasion de reparler de cet album mort-né, qui aurait dû s’intituler « Atrocity Exhibition »…
Après avoir essayé de se reformer à deux reprises, une première fois en 1999 quand le groupe a reçu une proposition de tournée européenne avec ANCIENT RITES mais l’a annulée pour des raisons de logistique, puis une seconde fois en 2002, avec Hoglan, Rinehart, Meyer et Durkin accompagnés par le bassiste Danyael Williams, pour une série de shows, notamment en ouverture de KREATOR et DESTRUCTION, ainsi qu’une reprise de "Creeping Death" pour l’album-hommage à METALLICA, « Metallic Attack: The Ultimate Tribute », reformation qui tournera court en 2005, quand Rinehart souffrira de graves problèmes de dos suite à un accident, la "L.A. Caffeine Machine" a effectué son retour en 2013. Ce qui n’était, au départ, que de simples spéculations autour d’un come-back avec Don Doty au chant s’est en effet vite transformé en reformation du line-up de l’ère « Leave Scars ».
Toutefois, après des années d’activités pour le moins erratiques, un coup du sort a encore frappé DARK ANGEL en 2023, quand Jim Durkin, absent des concerts du groupe depuis 2020 et remplacé à sa propre demande par l’épouse de Gene Hoglan, Laura Christine, est décédé de complications au foie. Alors, quand un nouveau single nommé "Extinction Level Event" est paru en avril 2025, autant dire qu’un véritable séisme s’est produit dans le petit monde du metal ! Un séisme… ou une douche froide puisque de nombreuses critiques négatives émaneront des réseaux sociaux ou des youtubeurs metal dans la foulée ! Tout comme lors de la parution du second single, "Circular Firing Squad", deux mois plus tard ! Une volée de bois vert qui persiste depuis la sortie de l’album, « Extinction Level Event », le 5 septembre dernier sur Reversed Records. Voici donc un disque clivant qui mérite d’être analysé dans les moindres détails, ce dont moi, Tonton KillMunster, vais essayer de vous faire profiter.
Que n’a-t-on pas entendu au sujet de « Extinction Level Event » ! Que l’album n’arrivait pas au gros orteil de ses illustres prédécesseurs, que les morceaux étaient boursouflés et qu’ils témoignaient du manque d’inspiration des musiciens, que Ron Rinehart était bon pour la retraite, que Gene Hoglan avait enregistré ses parties de batterie en oubliant de retirer les doigts de son nez et que sais-je encore ! Alors, qu’en est-il vraiment ? En toute objectivité, il n’en est rien. Ou du moins, il convient de nuancer ces remarques qui, pour certaines, mettent le doigt sur des défauts qui, à défaut d’être rédhibitoires, font parfois tiquer les exigeants metalheads que nous sommes. Alors, autant mettre les choses au point tout de suite : non, « Extinction Level Event » n’est pas la suite de « Time Does Not Heal » ! Comme « Time Does Not Heal » n’était pas la suite de « Leave Scars » et « Leave Scars » n’était pas la suite de « Darkness Descends ». Qui n’avait, lui, rien à voir avec « We Have Arrived »...
Selon Gene Hoglan, le groupe n’a pas voulu reprendre les choses là où elles s’étaient arrêtées avec la démo « Atrocity Exhibition » et a préféré partir d’une feuille blanche. C’est tout à l’honneur de DARK ANGEL de vouloir aller de l’avant, même s’il aurait été intéressant de voir la direction que la "L.A. Caffeine Machine" aurait prise en 1992, à une époque qui voyait les frémissements d’une nouvelle scène découlant du thrash, le groove metal. Par conséquent, on ne saura jamais à quoi ressemblaient des morceaux comme "Synchronized Horror Ballet", "Proud Flesh" ou "Dark Obsessive Bonds", que seuls Gene Hoglan et Cris McCarthy semblent détenir. Mais certains titres datent quand même du tout début de la reformation, soit il y a plus de dix ans, à l’image du titre éponyme et de "Extraction Tactics", co-écrits par Jim Durkin à la mémoire duquel l’ensemble de l’album est dédié. Autre décision - d’importance ! - de la tête pensante du groupe : celle de ne pas diffuser « Extinction Level Event » sur les plateformes de streaming telles que Spotify dans un souci de « soutenir l’artiste, soutenir l’art et soutenir l’UNDERGROUND ! ». Intention louable mais elle aussi très mal reçue par certains fans arguant qu’il fallait également soutenir les graphistes, la pochette ayant été réalisée par IA ! Là encore, il y a matière à discuter car, comme l’explique Cain Gillis, l’auteur de ladite pochette, dans une mise au point parue sur Linkedin, l’illustration a demandé des centaines d’heures de travail, avec la création de milliers d’images dont les meilleures ont dû être ensuite retravaillées sous Photoshop, l’IA ne pouvant générer un travail immédiatement exploitable.
« Quid de la musique ? », me demanderez-vous. Le premier titre et premier single de l’album, "Extinction Level Event", correspond à tout ce qu’on attend de DARK ANGEL, avec un riff accrocheur et un tempo qui change au bout de deux mesures. Du trémolo picking à la pelle pour des parties on ne peut plus frénétiques, de la double pédale en pagaille, un milieu de morceau plus lent, des chœurs vindicatifs façon "gang des rues", un solo en tapping de folie et, pour couronner le tout, une accroche vocale, les « Bury Everybody! » martelés à la manière d’une équipe de rugby pendant une 3ème mi-temps, qui semble faire écho au « The city is guilty! The crime is life! The sentence is death! » de "Darkness Descends". Le genre de cri de guerre qui devrait faire son petit effet en live ! Franchement, nous ne sommes pas si loin des grands moments de la formation de Los Angeles ! Et ce, même si la voix de Ron Rinehart a changé. Désormais plus forcée, elle se situe dans un registre proche de celui de Phil Anselmo, voire même de celui d’Alexander Krull (ATROCITY, LEAVES’ EYES). Mais à la manière de Chuck Billy de TESTAMENT, qui avait opté pour les growls à partir de « Low », cela fait encore monter la brutalité de l’ensemble d’un cran.
Quelque chose cloche toutefois d’entrée de jeu : le son, extrêmement compressé, dont le rendu froid et clinique rapproche le disque de n’importe quelle production thrash actuelle. Sans compter que la voix de Rinehart semble parfois être complètement noyée dans le mix. Et là, je rejoins les nombreuses critiques émises sur la toile. Voilà ce qui représente, également à mes yeux, la grosse faute de goût de cette nouvelle offrande de l’Ange Sombre qui aurait dû bénéficier d’une production plus sale, plus fidèle à l’esprit du groupe. Le choix du réputé Mike Fraser (AC/DC, METALLICA, RUSH) au mixage n’était peut-être pas le meilleur pour la "L.A. Caffeine Machine". Cet écueil altère l’identité de DARK ANGEL et nuit à un album par ailleurs excellent. J’en veux pour preuve le second titre, "Circular Firing Squad", qui avec un son moins propret, aurait pu être une tuerie totale : un riff bien aplatissant pour démarrer, des chœurs presque fantomatiques après le premier couplet, un solo mélodique se muant en tapping hystérique, façon Kerry King, et une section centrale rappelant KREATOR pour un résultant flirtant avec le death metal !
Difficile, par conséquent, de faire abstraction de cette production lisse qui aurait mieux convenu à des formations plus classiques. Car en toute objectivité, « Extinction Level Event » ne manque pas de morceaux marquants et varie les plaisirs en se faisant rencontrer groove metal à la PANTERA, l’entêtant "Sea Of Heads", "Terror Construct", bastonnades aux limites du hardcore, "Apex Predator" surtout, pièces du boucher flirtant avec le death metal, "Atavistic", "Scalar Weaponry" et même ambiance glauque à la NEVERMORE sur le rampant "E Pluribis Nemo", sur lequel le chant plaintif de Rinehart ressemble à s’y méprendre à celui de Warrell Dane ! Le travail aux guitares d’Eric Meyer et Laura Christine est remarquable, tout comme celui de Mike Gonzalez à la basse et Gene Hoglan… reste Gene Hoglan ! Alors franchement, si j’ai un conseil à vous donner, donnez sa chance à cet album, passez outre sa production, qui, de toute façon, ne choquera pas les plus jeunes d’entre vous, et forgez-vous votre propre opinion ! Parce qu’à l’ère des réseaux (a)sociaux, la réputation d’un disque est parfois faite par des gens qui n’ont même pas jeté une oreille dessus...