24 octobre 2025, 18:14

GRANDMA'S ASHES

"Bruxism"

Album : Bruxism

Le bruxisme désigne l’action de frotter ses dents les unes contre les autres, en réaction à certains états comme le stress et l’angoisse. Nombreuses sont les personnes qui en font sans s’en rendre compte, le jour ou la nuit, évacuant ainsi la crispation provoquée par les micro-agressions subies à longueur de journée, les contradictions, le bruit trop fort, les regards de jugement, les emplois du temps chargés, la stimulation constante, les exigences hors norme, les injustices, le capitalisme et tout ce qui s’ensuit. Derrière cette action presque anodine, se cache en réalité un mal-être profond et une auto-censure pour ne pas être rejeté.e en criant trop fort contre les dysfonctionnements d’un système qui nous trie, nous broie, nous détruit mais nous définit malgré tout. Le deuxième album de GRANDMA'S ASHES part de ce constat : celui qui s’aperçoit que nous avons besoin de crier le mal-être que nous réprimons trop souvent pour faire croire, à tort, que nous allons parfaitement bien. Le broyage est quotidien, la boucherie est omniprésente et les chaînes, si elles ne sont pas toujours visibles, sont bien réelles.

Quoi de mieux pour se rebeller contre ces contraintes constantes qu’un album davantage tourné vers le grunge, l’esthétique façon métal rouillé qui imprègne aussi bien l’image que le son de "Saints Kiss", premier single de l’album ? Le sanatorium désaffecté qui abrite le trio dans le clip associé est à l’image d’une partie de cette nouvelle identité : dérangeant, trouble et à l’écart du monde. On retrouve alors le chant clair et la basse puissante d’Eva Hägen, la guitare envoûtante de Myriam El Moumni et la batterie incisive d’Edith Seguier qui semblent avoir retrouvé un nouveau souffle. « Bruxism » est l’album de la frustration d’une vie qu’on n’a pas complètement choisie : celle des transports en commun qui ne fonctionnent jamais comme on en a besoin, celle de la vie qui ne va pas à notre rythme, des gens entassés les uns sur les autres, d’un contact physique trop rapproché par rapport à nos propres limites, et bien d’autres encore. C’est l’histoire de "Sufferer" : on courbe l’échine et on baisse la tête pour se plier aux exigences et aux contraintes du quotidien, sans que l’envie de résister ne parvienne jamais à vaincre la force de l’habitude de la soumission.

Nous faisons chaque jour des concessions qui nous empêchent souvent de ressentir les plus belles émotions que l’on puisse vivre. "Nightwalk" et le Vocoder appliqué à la voix d’Eva Hägen forment ainsi la chanson romantique la plus douce de l’album, comme un chant éthéré sorti tout droit de la nuit noire éclairée d’un fin croissant de lune. On y retrouve aussi le chant lyrique polyphonique caractéristique du trio, distillé à plusieurs endroits dans l’album, comme une complainte chantée à l’être aimé qui est peut-être déjà trop loin pour l’entendre. Le corps occupe également une place majeure dans les réflexions du trio. Vaisseau de l’âme, il est aussi source d’une inévitable souffrance exprimée dans "Flesh Cage". L’occasion pour le groupe d’incorporer un peu de metal industriel à sa nouvelle identité en poussant la voix jusqu’au growl pour exprimer la colère et la frustration de ne pouvoir vaincre les limites d’une enveloppe physique. La nouvelle identité visuelle du groupe, élaborée par Salem Lasselin et Jeanne Meens, rejoint ces réflexions : vêtements serrés, choker à clous, latex et vinyle qui compriment les chairs. Tout est là pour transmettre l’idée d’inconfort, de douleur et de répression.

GRANDMA'S ASHES crie son désamour pour le monde tel qu’il est organisé autour de nous, source éternelle de souffrance et de mal-être. Plutôt gothique comme attitude, non ? C’est l’un des piliers de la nouvelle identité du groupe. En puisant directement dans le metal gothique à la TYPE O NEGATIVE, le trio renouvelle son style auparavant plus orienté vers le stoner et le rock progressif. Les thèmes sont sombres, la tristesse est là et, peu importe les efforts, impossible de la faire partir. C’est l’histoire de "Neutral Life Neutral Death" : la vie passe, neutre et imperturbable, sans que notre existence individuelle ne change quoi que ce soit au monde dans lequel nous sommes. C’est aussi celle de "Cold Sun Again" : la dépression chronique qui revient inlassablement, comme un.e ami.e dont on a tellement l’habitude qu’on ne fait presque plus attention à sa présence.

Tous les ingrédients sont là pour que l’alternative gothic-rock, nouveau style de la formation, prenne son plein essor dans les dix titres de ce deuxième album de 43 minutes. Après le vent de douceur soufflé par les claviers et les synthétiseurs de "Calix" et "Duality", place au dernier titre de l’album, "Dormant", dans lequel culminent les évolutions et innovations stylistiques. Après une première partie à la guitare acoustique au cours de laquelle on se dit que le groupe a été gagné par la tentation ultime du calme, on s’aperçoit que celui-ci précède la tempête de black metal à la guitare et de growl dont la puissance vous donne des frissons de terreur. Si « Bruxism » est déjà riche de références et d’ambiances différentes, il gagne encore en force de frappe lorsqu’il est joué en live et que la scénographie concoctée par Alexia Alexi prend tout son sens : les lumières contrastent, les chaînes dérangent et la musique rend triste autant qu’elle fédère, transformant les concerts en claque visuelle et émotive inoubliable.

Blogger : Ivane Payen
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