
Et nous voici à Lille, à L’Aéronef, pour cette seconde journée du Tyrant Fest 2025. La salle nordiste, dont les balcons resteront fermés, accueille toutefois un public nombreux.
« Ça va doomer ! », annonce Jonathan, le bassiste-chanteur d'ATARAXIE... qui n’est pas un menteur ! Les Normands, privés de l’un de leurs trois guitaristes, proposent deux morceaux en 35 minutes de présence. Si l’on note quelques brèves accélérations, le rythme reste lourd et lent, enveloppé de timides lumières rouges et bleus. Les variations du chant, où passages narratifs et growls cohabitent en bonne harmonie, offrent un relief appréciable aux chansons engluées dans une marée noire, dans un marais fangeux. Un monolithe oppressant de funeral doom s’est posé, massif, sur les planches.

Corpse-paint et vêtements sombres déchirés, les membres de FIRTAN semblent sortis d’un improbable mélange entre Mad Max et La Nuit des Morts-Vivants. La violoniste, robe blanche laissant bras et épaules nus, évoque une âme possédée par la musique de ses comparses, un fantôme tissant des notes mélodieuses au fil de son archet. Entre black et pagan, le quintette allemand oscille entre passages atmosphériques ("Hrenga" en introduction vaporeuse, "Wenn Sich Mir Einst Alle Ringe Schliessen", magnifique conclusion instrumentale à deux violons) et décharges d’agressivité ("Wermut Hoach Am Firmament") dans une quasi obscurité rompue par des lumières blanches et bleues. Le groupe, féru de headbanging, assène ses chansons avec une réelle conviction, entraînant sans mal les spectateurs dans son riche univers aux éclats ténébreux.

Si les deux premiers concerts ont brillé, le troisième est bien terne. ASAGRAUM délivre un black metal fade et sans inspiration, souvent délivré sur un mid-tempo poussif, qui lorgne sur la scène norvégienne des 90’s. De ce naufrage, émerge seulement un habile "De Verloen Tidj", entre arpèges, chant clair puis blasts brutaux avant que ne règne une certaine lourdeur. Le groupe féminin, à l’exception du guitariste live dont le t-shirt proclame un caricatural « I Hope You Die », s’ébrouent tristement durant près de 70 minutes qui donnent un avant-goût de l’éternité - vous savez, celle qui est longue, surtout vers la fin. Que cette prestation semble inter-minable... Ce ne sont pas les quelques notes de clavier glissées entre les morceaux qui permettent au temps de s’écouler plus vite ! Et soudain, presque à l’improviste, la chanteuse Obscura, leader de la horde, salue Satan, remercie et le groupe quitte, enfin, les planches.

Si Frédéric Leclercq (KREATOR, LOUDBLAST...) est l’âme de SINSAENUM, la présence du local de l’étape Stéphane Buriez (LOUDBLAST), toujours prêt à demander « de foutre la merde », à réclamer « un putain de bordel », électrise le public lillois. La formation aligne aussi le très expressif Aires Pereira (MOONSPELL) à la basse et André Joyzi à la batterie ; ancien technicien-drum de Joey Jordison, il le remplace avec brio. Le chant est assuré par l’Américain Sean Zatorsky, dont les vocaux hurlés impressionnent. Le groupe, en transe et en communion, livre un concert impeccable, assène son blackened death groovy avec une folle énergie, visite différentes contrées des musiques extrêmes, du black norvégien de "My Swan Song" au quasi thrash "Final Resolve" en guise de final qui voit la foule hurler « Crush ». Les gaillards courent, headbanguent ; ils vivent et vibrent. Entre deux déflagrations, la bande assène un "Last Goodbye" dédié aux disparus, pause émouvante, entre désespoir et colère, au cœur d’un maelstrom diabolique.

Après les vagues déchaînées d’un océan furieux, place au calme d’une mer apaisée. MESSA livre une prestation bien trop brève (45 minutes) : les Italiens, qui se sont produits au Desert Fest d’Anvers plus tôt dans l’après-midi, sont arrivés tardivement... Alors qu'ils semblaient devoir jouer l’intégralité de leur dernier disque, le chef d’œuvre « The Spin », ils livrent une set-list raccourcie qui fait deux brèves escales sur « Belfry » avec "Babalon" et « Feast For Water » avec "Leah". Peu importe au final tant la magie plane sur L’Aéronef. L’ensorcellement merveilleux naît de la fusion magique entre la voix de Sara et la guitare d’Alberto. De noir vêtus, la femme fatale et le dandy sont tour à tour enveloppés d’une lumière blanche qui souligne leur élégance, leur charme. Témoin privilégié de cette union ancrée dans les 70’s, la section rythmique forme un socle puissant, une ossature parfaite au stoner/doom teinté de gothique ("At Races") du classieux quartette. Les six longues compostions jouées ce soir sont des pépites sorties d’un fleuve bluesy (le solo de "Leah"). De l’eau tamisée sont nées des splendeurs comme l’immense "The Dress" aux délicates teintes jazz, ou un "Thicker Blood" à la montée en puissance éblouissante qui explose à l’orée du black pour un final qui laisse hébété.

PARADISE LOST a la difficile tâche de succéder à MESSA. Les Anglais prennent l’option d’insister sur leur dernier album, le solide « Ascension », dont ils jouent trois titres, et de visiter leur discographie post « Icon ». Huit extraits de huit disques différents sont donc proposés, sans omettre les controversés « Host », avec "Nothing Sacred" et « One second » avec "Say Just Words", annoncé avec un sourire taquin par un Nick Holmes de bonne humeur, qui n’hésite pas, entre deux titres, à savourer une bière.
Ce désormais classique est repris par les spectateurs, par ailleurs assez passifs mais attentifs. "Once Solemn" est toujours aussi jouissif, "Beneath Broken Earth" est une brûlot sacrément efficace, quand les compositions les plus récentes, comme l’obsédant "Serpent On The Cross" ou le ténébreux "Silence Of The Grave", montrent que, malgré les années qui filent, le Paradis Perdu n’a rien... perdu de son talent. "Silence Of The Grave" porte bien son nom puisque, sa dernière note jouée, le concert s’achève. Onze chansons, moins d’une heure sur scène... et les lumières se rallument laissant un goût amer de trop peu tant la prestation des légendes britanniques était de qualité.
Cette édition de transition du Tyrant Fest, moins extrême que les précédentes, mais riche d’une grande variété de styles, a une nouvelle fois séduit. Certes les durées allouées à chaque groupe ont été surprenantes mais le week-end a été intense, riche en émotions musicales : les émerveillements ont été bien plus nombreux que les déceptions.
