Madrid, samedi soir. Il est 18h30, à peine atterri qu’il faut faire fissa fissa avant le rendez-vous bar à tapas. Tout juste le temps d’aller faire un tour chez mon disquaire espagnol favori, Bangladesh Discos (ce n’est pas une blague : allez-y et vous pleurerez), et de parcourir les bacs à vinyles en faisant galoper mes doigts agiles sur les tranches poussiéreuses. J’ai bien trois quatre idées en tête (je recherche de bonnes vieilles merdes), mais par acquis de conscience, j’effleure la section BLACK SABBATH / OZZY OSBOURNE. Obligé, quand on est collectionneur depuis 25 ans, même si on a quasi TOUT. Et là, stupeur. Un vinyle flambant neuf, mint, scellé. Un pirate. Un fucking bootleg. « Ozzy Osbourne : Ozzmosis Sessions ». « London 1992 » nous annonce le verso, comme seule indication. De mémoire immédiate, les sessions « Ozzmosis » ont été réalisées à Paris en 1995, tout juste précédées de quelques séances de pré-production à New York en décembre 1994. Gros doute alors… On ne peut pas écouter l’objet - scellé vous dis-je. Après examen minutieux du recto et du verso du LP, il apparait tout de même qu’il s’agirait là de chansons INEDITES. Il y a bien 3-4 chansons présentes sur la version définitive de « Ozzmosis » comme « Ghost Behind My Eyes », « Perry Mason », « Old L.A. Tonight » ou « Denial », mais les sept autres sont inconnues. INCONNUES !!!!
De retour à la casa, c’est en 4ème vitesse que je me précipite sur ma chaine pour découvrir le contenu, en croisant les doigts pour que tous ces rêves de trésors inconnus ne s’avèrent finalement pas être des chansons d’un autre artiste (!!!), mélangées à celles -connues- d’Ozzy, comme cela arrive tant sur des bootlegs dépourvus de crédits ou de notes informatives explicites…
Et… NON !
Mes enfants, en ce mois de mars 2015, je peux donc vous dire qu’il existe bien des morceaux inédits datant d’entre 1992 et 1995, soit destinés à son opéra-rock avorté « Rasputin », soit composés pour le successeur de « No More Tears », finalement laissés de côté. En effet, deux autres projets de disques étaient alors entamés entre 1992 et 1995 : « Ozzyland » et « X-Rays », sans compter la très forte probabilité d’un nouvel album de BLACK SABBATH, les quatre musiciens s’étant retrouvés sur scène en novembre 1992 à Costa Mesa pour un rappel de quatre titres lors du tout dernier concert de sa tournée. Au final, bon nombre d’idées écrites par Tony Iommi et Geezer Butler en vue de grand retour déjà très médiatisé à l’époque (et franchement trop anticipé…) finirent par alimenter leur album « Cross Purpose » en 1994, avec l’éternel remplaçant Tony Martin au chant, toujours par dépit...
On sait qu’en mars 1995, alors qu’il entrait dans les studios Guillaume Tell pour plusieurs semaines, Ozzy avait déjà finalisé l’écriture d’une trentaine de morceaux, pour la plupart en compagnie de Zakk Wylde, du batteur Deen Castronovo et de Geezer Butler, de retour à la basse. Mais d’autres contributeurs comme l’inépuisable et bien patient Bob Daisley, Jim Vallance, Jack Blades, Tommy Shaw, Michael Hudson, John Purdell & Duane Baron (ses producteurs pour « No More Tears » en 1991), Lemmy ou encore Steve Vai pour une tentative de collaboration hélas éphémère en 1994, avaient largement contribué au songwriting de tous ces morceaux, tous destinés à divers projets.
Le son provenant de ce bootleg est incroyablement bon : sans aucun souffle et bénéficiant d’une clarté irréprochable, la grande partie de ces démos semblerait provenir des mêmes sessions dont est issue la maquette « Aimee » que l’on pouvait déjà retrouver sur le maxi-CD de « See You On The Other Side » en 1995. Même maquette explicitement datée de juin 1992… à Londres. Selon son planning d’époque, il bénéficia d’un court break lors du "No More Tours", afin d’enregistrer quelques idées - son ambition d’alors étant d’arrêter complètement les tournées et de ne se concentrer que que d’éventuels disques. Suite à une sévère chute dans une douche au tout début de cette tournée venant promouvoir « No More Tears » à sa sortie, Ozzy fit de nombreux examens médicaux afin qu’il puisse poursuivre ses concerts dans les meilleures conditions possibles (ce que l’on a bien pu constater lors de son show apocalyptique à la Cigale le 5 mars ’92). Mais les médecins suspectèrent alors les premiers signes d’une sclérose en plaques, ce qui le décida à annoncer sa retraite sur les planches… Maladie qui, après moult contre-expertises, ne fut pas avérée...
Pour revenir à ces sessions londoniennes, elles affichent une inventivité et un souci d’expérimentation qui s’inscrivent dans la lignée de son chef d’oeuvre « No More Tears » en 1991 : plus rock, gorgé d’arrangements inédits, voire de choeurs soul. Ces sept morceaux jusqu’ici parfaitement cachés s’intitulent donc : « Feels So Good To Be Bad », « Too Far Gone », « Frustrated Yes I’m Hated », la ballade complètement BEATLES « Dream For Tomorrow », « Say Yeah Yeah », l’hystérique et speedé « Oh No The Bitch Won’t Go » et enfin « My New Rock And Roll ». Auxquels s’ajoutent les versions ’92 de « Denial » et « Ghost Behind My Eyes », puis « Perry Mason » et « Old L.A. Tonight », elles dans des versions assez proches des définitives.
Il apparaît donc que ce soit Michael Wagener qui fut responsable de la production de ces sessions destinées à un nouvel album imminent, notamment avec Randy Castillo à la batterie et Mike Inez à la basse. Mais Wagener, désireux de produire ce nouvel album dans la droite lignée de « No More Tears », a jeté l’éponge en plein chantier : en effet, la maison de disques Epic Records le sommait avec insistance de faire sonner les enregistrements dans un style plus proche de celui de SOUNDGARDEN, alors très en vogue… A sa place, c’est donc Michael Beinhorn, responsable de « Superunknown », qui reprit les rênes pour un résultat final considérablement plus heavy et massif, avec Geezer Butler à la basse et Deen Castronovo aux fûts.
Quant à l’objet, splendide, il récupère le visuel du single « Perry Mason ». Vinyle rouge et en bonus la version CD, rehaussée d’une démo supplémentaire (celle de « See You On The Other Side », déjà disponible dans le coffret « Prince Of Darkness »).
Pour des fans hardcore et collectionneurs d’Ozzy, ce disque est une bénédiction. Avec quelques renseignements glanés sur le net, l’objet peut se trouver ici et là, en cherchant bien : entre autres eBay, soit en version CD japonais, soit dans ce splendide vinyle issu sur le label allemand Way Of Wizard Records.
Avec un peu de chance, d’autres enregistrements pourraient voir le jour dans les années à venir : on sait par contre qu’il existe un paquet de morceaux finalisés justement enregistrés en vue de « X-Rays », de « Ozzyland » ou de « Rasputin » entre 1992 et 1994, mais également quelques démos datant d’avant « The Ultimate Sin » en 1985, ainsi que d’autres titres élaborés avant « Down To Earth » autour de 1999. A suivre donc...