Ainsi donc, voici « Dystopia », nouvelle livraison d'un MEGADETH très prolifique depuis son vrai-faux retour en 2004. Ceux qui ont toujours vu le groupe comme un projet solo de Dave Mustaine argueront du fait qu'il n'y a jamais vraiment eu de break, mais ceci est une autre histoire. D'autant que le grand roux à la Flying blanche nous a pondu un sacré album et qu'il serait conséquemment déplacé de vouloir refaire l'Histoire. Avec un grand H, cette fois. Ben oui, il s'agit de MEGADETH, quand même ! METALLICA, « Mechanix », coup de latte dans le teckel de Mustaine, j'en passe... et pas forcément des meilleures ! Ca vous revient ?
Bon. « Dystopia », disais-je. Un album attendu au tournant après un « Super Collider » pas forcément mauvais, mais manquant cruellement de brûlots thrash. Oui Dave, tu sais écrire de très belles choses, mais MEGADETH n'est pas JOURNEY, hein ! Le disque débute par trois morceaux déjà connus des fans puisque dévoilés sur le ouèbe dès la fin 2015 : "The Threat Is Real", "Dystopia" et "Fatal Illusion". Trois titres à l'opposé de « Super Collider », dans la droite lignée du MEGADETH de « United Abominations » ou « Endgame », voire du classique parmi les classiques « Rust In Peace ». Rassurants, donc. Presque trop ! L'auditeur est clairement en terrain connu et ce n'est pas l'intro arabisante de "The Threat IIs Real, clin d’œil appuyé aux notes en son clair de Marty Friedman sur "Holy Wars… The Punishment Due", qui va le persuader du contraire. Tout juste remarque t-on la coloration power metal des nombreux soli qui émaillent ces trois titres, une influence à laquelle l'arrivée de Kiko Loureiro n'est certainement pas étrangère ! Kiko Loureiro, justement, qui s'affiche comme l'homme providentiel de « Dystopia », mais de cela nous reparlerons plus tard…
Au bout de ces trois morceaux, on en vient assez logiquement à se demander si le reste de l'album va être du même tonneau. Ce à quoi les deux compositions suivantes n'apportent qu'une réponse partielle. "Fatal Illusion" et "Death From Within", en dépit de leur efficacité, peinent à se démarquer du lot et plongent l'auditeur dans une certaine routine. Certes, ça joue bien, et même très bien, les refrains sont accrocheurs en diable, Chris Adler (LAMB OF GOD) assure des parties de batterie d'une précision quasi chirurgicale, et le chant de Mustaine, plus grave qu'à l'accoutumée - l'âge, sûrement ! - réussirait presque à le faire passer pour un chanteur de premier ordre ! Que demander de plus, alors ? Eh bien, un peu de folie, un soupçon d'originalité… Revenir à de bonnes intentions, c'est bien, le faire de manière créative, c'est encore mieux ! N'est-ce pas, Mr Mustaine ? Il suffisait de demander ! Dès le titre suivant, "Bullet To The Brain", on entre de plein fouet dans une autre dimension, et l'on n'en sortira pas avant que les dernières notes de « Dystopia » ne viennent poser leur ultime souffle sur des tympans qui ne s'attendaient pas à un tel ravissement. Aaaaahh, je me sens tout lyrique d'un coup !
Oui, il eut été inconvenant d'émettre un jugement hâtif sur un album qui est loin, à ce niveau, de nous avoir révélé tous ses secrets. Comme je le mentionnais plus haut, "Bullet To The Brain", premier morceau d'une salve vengeresse, étonne, séduit, même, par sa construction alambiquée. S'ensuit "Post-American World", morceau sombre aux paroles prophétiques, qui se fait oppressant pour mieux nous enlacer avec un premier solo aux débuts jazzy ! Le titre s'emballe ensuite pour, à nouveau, "sombrer" dans la lourdeur et se conclure comme il avait commencé. Fou, fou, fou ! "Poisonous Shadows", à la tension dramatique marquée, convainc par ses arrangements variés. Des chœurs discrets accompagnent l'ouverture de chaque couplet tandis que des nappes de clavier suivent la trame d'un refrain qui ferait pleurer le plus aguerris des thrashers ! La délicate outro au piano finit de faire de cette chanson l'un des moments forts de « Dystopia » ! Autre - énorme ! - baffe : l'instrumentale "Conquer… Or Die !", intermède à longue introduction acoustique débouchant sur un solo virtuose qui n'aurait pas dépareillé sur un disque de SAVATAGE ou du TRANS-SIBERIAN ORCHESTRA !
À ce stade de l'écoute, il est important de noter le rôle joué par la recrue brésilienne de Dave Mustaine. Et pour cause : les trois bombes sus-mentionnées ont été co-écrites par Kiko Loureiro ! Pas de doute, le grand roux à la Flying blanche (euh… je ne l'ai pas déjà faite, celle-là ??) a eu le nez creux, et ce pari osé (nombreux étaient ceux qui doutaient de la légitimité d'un tel guitariste au sein de la Méga-mort) a été réussi de manière magistrale ! À tel point même que Kiko est peut-être le soliste le plus important à avoir intégré le groupe depuis un certain Marty Friedman ! Fin, intelligent, racé. Bref ! À mille lieues du jeu hyper-technique mais un brin robotique de shredders comme Chris Broderick ou Glen Drover. Mais revenons à « Dystopia », et plus précisément à "Lying In State", autre pépite aux paroles engagées et acérées. L'urgence dégagée par ce titre rappelle les meilleurs moments du MEGADETH old school et se rapproche en cela du début de l'album. Une impression qui ne s'installe pas, toutefois, puisque la chanson suivante, "The Emperor", prend rapidement des allures de… skate punk ! Nul besoin pourtant que le thrasher, déjà honteux des larmichettes versées sur "Poisonous Shadows", ne prenne ses jambes à son cou puisqu'il s'agit ici de skate punk quand même bien burné ! À la manière des grands albums du gang de Vic Rattlehead, « Dystopia » comporte une reprise, en l’occurrence celle de FEAR, "Foreign Policy". Histoire sans doute de rester dans le ton politisé d'un disque qui s'annonce d'ores et déjà comme l'une des sorties majeures de 2016, et comme le meilleur MEGADETH depuis… « Youthanasia » ! Oui. Rien que ça !
Enfin, sachez que l'édition limitée de « Dystopia » se présente sous la forme d'une luxueuse long box qui, outre deux titres bonus au moins aussi passionnants que le reste du CD, "Look Who's Talking" et "Last Dying Wish", renferme une paire de lunettes 3D permettant, via un iPhone, de s’immerger dans une réalité virtuelle MEGADETH ! Seule ombre au tableau : votre serviteur n'est pas parvenu à faire tourner l'appli et en appelle à la diligence de ses formidables lecteurs (un peu de lèche ne fait jamais de mal !) afin de lui signaler si cela fonctionne correctement de leur côté. La première ou le premier d'entre-eux se verra remettre son poids en spiruline par Christian Lamet lui-même ! Elle n'est pas belle, la vie ? Hein ? Franchement !...