7 juin 2017, 18:38

ANATHEMA

• Interview Vincent Cavanagh

Trois ans après « Distant Satellites », ANATHEMA revient en force avec « The Optimist », un album très noir. Sous l'impulsion de John Douglas (batterie), le groupe s'est attelé à donner une suite à « A Fine Day To Exit » (2001) dont le sort du personnage central était resté incertain, continuant l'exploration des thèmes les plus sombres qui hantent sa discographie. Vincent Cavanagh (guitare/chant) s'en est expliqué intimement, dans un entretien d'une franchise désarmante.


Vincent, avant d'en venir au nouvel album, j'aimerais avoir tes impressions sur le « Resonance Tour » (2015) qui permit à ANATHEMA de revisiter son histoire avec la participation de quelques figures emblématiques tels Darren White ou Duncan Patterson. Rétrospectivement, tu en penses quoi ?
(rires) C'était une super idée ! On le referait tous avec grand plaisir ! Peut-être pas en Europe mais en Amérique du sud par exemple. Partir si nombreux là bas serait bien cool. Ce fut une vraie fête pour Duncan et Darren, qui étaient là au début du groupe, mais ce fut aussi le moyen de célébrer notre parcours musical, et nos titres les plus anciens que l'on aime toujours. Cela nous a permis de revendiquer notre héritage, de montrer d'où on vient, et surtout que l'on ne renie rien. Souvent les gens pensent que parce que l'on change on voudrait effacer notre passé. Il n'y a rien de moins vrai. C'est comme si on nous demandait si on voulait effacer tout ce que l'on a vécu quand on avait 17 ou 18 ans. Bien sûr que non ! On a vécu de bons moments, d'autres un peu moins, mais ils font partie de notre vie. Et ces chansons en font partie, comme tout ce qu'on a vécu avec Duncan et Darren.

Vous replonger dans ce passé musical a-t-il eu une influence sur l'écriture de ce nouvel album, d'une quelconque manière ?
Non, non... Mais ce fut très agréable de jouer ces titres. On ne les avait pas joués depuis tellement longtemps, et ils nous sont revenus tout de suite.

« The Optimist », votre onzième album, est présenté comme étant très sombre, or ce n'est pas l'impression que j'ai eue en l'écoutant. J'ai même trouvé la musique plutôt lumineuse.
C'est bien si tu l'as reçu comme ça, mais pour ma part je le trouve quand même très sombre.

Si l'on s'en tient à son titre, après « Judgment », « A Natural Disaster », « A Fine Day To Exit », et autres sombres réjouissances, « The Optimist » surprend de la part d'ANATHEMA par sa connotation très positive !
Oui, il s'appelle « The Optimist »... mais c'est très ironique (rires). L'histoire en elle-même traite globalement de la dépression de son personnage central, donc - et même si la conclusion est plutôt apaisée - le titre, lui, est ironique.

La trame de l'histoire traite des troubles mentaux, c'est bien ça ?
Oui.

C'est un sujet qui continue à toucher le groupe ?
Oui. Ce sont des pathologies qui ne sont ni comprises, ni prises en compte comme elles devraient l'être dans nos sociétés. Notamment par la médecine moderne. Il n'existe pas de symptômes physiques. Le problème n'est pas tant que ce soit tabou, la grande difficulté vient du fait que pour diagnostiquer ce dont souffre quelqu'un, il faut bien le connaître, connaître sa vie, tout ce qui lui est arrivé, qui a pu l'amener à cette maladie. Cela prend du temps, demande de la compréhension, de l'empathie. Il y a de bons docteurs qui peuvent te comprendre et t'aider, mais il y en a aussi de moins bons. Il est grand temps que l'on casse le tabou des troubles mentaux. Pour diverses raisons, c'est un sujet très sensible, les gens n'aiment pas en parler...

Des troubles qui la plupart du temps restent cachés...
Parce qu'on n'en parle pas facilement. C'est gênant, tu comprends ? Je pense que nombreux sont ceux qui en souffrent, et ces troubles même s'ils sont assez courants sont un réel fardeau. Tu vois, si tu as un problème physique, on en parlera ensemble, j'essaierai de te conseiller, mais ce ne sera jamais le cas avec des troubles mentaux. C'est un travail de longue haleine. Quelle charge de temps, d'effort, d'écoute, d'attention, pour comprendre comment celui qui en souffre est arrivé là. Les variables sont tellement nombreuses...

Ce sont ces sujets qui sont à la base de l'écriture de « The Optimist » ?
Ils sont à la base de tout ce qu'on écrit depuis le début du groupe. Depuis le premier jour. « The Crestfallen » (EP sorti en 1992) en parle. Et ils ont toujours accompagné le groupe depuis lors. C'était le sujet de « A Fine Day To Exit » (2001). Et ils sont à nouveau au centre de ce nouvel album.
 

"Pour le groupe, ce personnage de "l'optimiste" est une sorte d'avatar" - Vincent Cavanagh



« The Optimist » est-il sensé être une sorte de catharsis ?
D'une façon oui... mais une catharsis implique qu'une guérison est en cours. Or la musique ne guérit rien. Tu y trouves au mieux.... (soupir)... une forme de soulagement, de satisfaction... d'avoir transformé une forme de souffrance en quelque chose de beau. Mais ça n'aide pas vraiment.

Cela te permet d'exprimer ton mal-être...
Ça n'aide en rien parce que les problèmes sont toujours là. Au travers de l'artwork de l'album « A Fine Day To Exit », tu apprends que le personnage - que l'on appelle désormais "l'optimiste" - traverse une forme de dépression qui l'amène à mettre en scène sa (fausse) mort sur une plage, face à l'océan, car il pense qu'il s'agit du seul moyen de s'en sortir. Effacer le passé. Recommencer une nouvelle vie.

Et donc au tout début de ce nouvel album, quand on l'entend sortir de l'eau et reprendre sa respiration, c'est une forme de métaphore pour cette résurrection ?
Hmmm, on peut dire ça oui... Mais je reviens à la pochette de « A Fine Day To Exit », il y a cette voiture sur la plage, mais plus personne. C'est volontairement ambiguë... Sur « The Optimist », des coordonnées GPS forment le titre de l'intro. Ce sont celles de cette plage. La dernière position connue de "l'optimiste". On reprend l'histoire à cet endroit. Il sort de l'eau, remonte dans sa voiture, et démarre. Il trace la route, et perdu dans ses pensées il s'imagine pouvoir fuir sa dépression. En fait il fonce vers l'accident.

Physiquement et mentalement.
Physiquement et mentalement, oui. Il pense que s'il arrive à conduire assez vite il pourra s'en sortir. Mais non. L'accident va survenir, et l'amènera à prendre la décision qu'il aurait dû prendre depuis le départ. Celle qui lui apportera une forme de paix. Ce n'est pas ce à quoi il s'attendait, mais il n'aura d'autre choix pour s'en sortir.

Vincent, j'ai déjà eu l'occasion de te confier que « A Fine Day To Exit » était probablement mon album préféré dans la discographie d'ANATHEMA. Tu m'avais répondu que beaucoup de gens étaient passés à côté. Pourquoi alors avoir choisi cet album précisément comme base pour « The Optimist » ?
D'abord parce que les textes sont très bons sur cet album. Mais aussi parce que le parcours du personnage principal, les raisons qui l'ont poussé à ce combat et mené à sa décision étaient aussi excellentes. On avait laissé une fin ouverte, et il nous est apparu qu'il était à la fois temps et judicieux de lui donner une suite. Pour le groupe, ce personnage de "l'optimiste" est une sorte d'avatar. Il est "nous". On pense qu'il était là aussi sur « A Natural Disaster », « We're Here Because We're Here », etc... On le voit ici sur une pochette, là dans un livret... Il a toujours été présent je crois.
 

"Je me suis beaucoup investi sur la production de cet album, et je continuerai à le faire"  - Vincent Cavanagh



Les textes ont-il été écrits avant la musique sur « The Optimist » ?
Non... Même si parfois tu écris des trucs sans savoir qu'ils deviendront une chanson.

Et la musique était-elle déjà écrite quand vous avez décidé du thème de l'album ?
Probablement la moitié je pense...et puis on a composé le reste en fonction.

Êtes-vous arrivés à la fin d'un cycle musical avec vos trois précédents albums ? De « We're Here Because We're Here » à « Distant Satellites », l'écriture est très linéaire alors que sur « The Optimist », on retrouve une plus grande variété il me semble.
Oh... Je pense que la façon la plus simple de répondre à cette question et de te dire qu'on n'a pas vraiment pensé comme ça. Ni même lors de l'écriture des autres albums. Je pense que ce qui fait la différence sur cet album, c'est probablement une collaboration accrue entre John (Douglas), mon frère Danny et moi, par rapport aux deux précédents.

La musique d'ANATHEMA m'a toujours, et encore plus ces dernières années, parue faite de boucles plus que de riffs, qu'il s'agisse de la musique et même des textes, pour un rendu très hypnotique. Cette fois-ci, il me semble que vous vous êtes ouverts au niveau des guitares notamment.
Je pense que tu as tout à fait raison. Des chansons comme "Can't Let Go", ou "Close Your Eyes" avec son passage jazzy, "Wildfires" qui est très bizarre et sombre, "Back To The Start"... Je pense, oui, qu'on a eu une approche plus diversifiée sur cet album.

Ce qui rappelle aussi « A Fine Day To Exit », du coup.
Oui, certainement. Mais je n'aime pas vraiment comparer nos albums, sauf si je considère qu'ils sont vraiment liés d'une manière ou d'une autre. « Weather Systems » et « We're Here Because We're Here » sont très intimement connectés par exemple.

Tu as notamment écrit "San Francisco" sur cet album. Faut-il en déduire que c'est toi l'expert en électro ?
Je suppose que tu peux le dire comme ça ! Ces dernières années je me suis pas mal équipé, ce qui m'a permis d'essayer beaucoup de choses, d'expérimenter, de m'entraîner,... ça a complètement changé ma vie ! Ça a changé ma façon de voir beaucoup de choses, dont la musique, comme si cela m'avait ouvert tout un tas de nouvelles portes.

Tu as pré-produit « The Optimist », écrit les arrangements, mais aussi assisté Bruce Soord sur le mix 5.1... C'est un truc qui te plairait, produire d'autres groupes par exemple ?
Je pourrais le faire, oui. En ce moment, je suis pris à temps plein par ANATHEMA, mais oui je le ferais avec plaisir. Je me suis beaucoup investi sur la production de cet album, et je continuerai à le faire. Je travaillais dans un studio il y a des années, quand on a démarré le groupe. J'ai toujours eu une oreille attentive à la production de chacun de nos albums, à voir comment ça se passait, à apprendre. J'ai toujours participé, assisté le producteur d'une façon ou d'une autre.

Donc on peut s'attendre à te voir produire d'ici quelques temps ?
Oui, absolument.
 

"Danny est un super musicien, mais il a choisi de ne pas jouer de solos, de rester proche des chansons" - Vincent Cavanagh



© Caroline Traitler​


La musique d'ANATHEMA passe-t-elle en radio ?
Je n'en sais rien.

Tu ne sais pas ?
Non. Mais c'est possible.

Je te pose la question car je trouve que sur « The Optimist », le côté pop de votre musique est accentué.
Oui, c'est vrai, je pense également qu'on y trouve des mélodies et des refrains catchy. Je ne vois pas pourquoi notre musique ne serait pas diffusée sur les médias.

C'est arrivé par le passé, rassure-moi !
Oui, mais à vrai dire je ne m'en soucie vraiment pas. Mais j'aime écouter la radio, je m'y intéresse. On a fait quelques sessions radio en acoustique, ici en France. Chez OUI FM, RTL2, c'était super. J'aime beaucoup cet exercice.

« The Optimist » se termine sur "Back To The Start", une chanson à l'ambiance très 70's. De manière générale, le son de l'album m'a paru plus organique que celui des précédents.
Oui, c'est le résultat du travail du producteur, Tony Doogan. Il a trouvé le meilleur moyen de capturer un son de groupe, en nous faisant jouer ensemble. Le son n'est ni artificiel ni surproduit. Et pourtant il est puissant, dynamique, avec un vrai impact. Les guitares notamment sonnent merveilleusement bien. Il a su obtenir un rendu complètement fou quand il le fallait, ou à l'opposé totalement contrôlé à d'autres moments. Il est allé au-delà de ce qu'on aurait osé faire par le passé. Et ça passe ! Ça m'a complètement scotché, et je m'en souviendrai quand je produirai à l'avenir. Ne pas avoir peur, pousser les curseurs à fond.

Cet album est vraiment plus orienté guitares également.
C'est incontestable. Il y a beaucoup de bon riffs. Pas trop de solo, mais c'est cool. Danny est un super musicien, mais il a choisi de ne pas jouer de solos, de rester proche des chansons. C'est ce qui lui importait.

Quelle est la version définitive de « A Fine Day To Exit » ?
Comment ça ? De quoi parles-tu ??

Et bien il y a celle sortie en 2001, et celle remaniée dans le coffret publié par Music for Nations en 2015.
Ahhh OUIIIIII !!!! Les rééditions !!!

Voilà !
Ah, et bien j'imagine que ça dépend de laquelle tu préfères ! C'est Danny qui a eu l'idée de rajouter une intro qu'on avait perdue et de changer la track-list, donc je pense que si tu lui demandes il va te répondre que c'est celle-là.


Te verrais-tu jouer sur scène « A Fine Day To Exit » et « The Optimist » à la suite ?
Non... non.... ce n'est pas une comédie musicale... Ce ne sont pas deux pièces de musique qui se complètent, c'est juste une suite thématique. Je pense qu'il faudrait jouer l'intégralité de « The Optimist », et puis quelques titres antérieurs, avec peut-être plus d'extraits de « A Fine Day To Exit », comme "Breaking Down The Barriers" qu'on n'a jamais joué live, et puis "Pressure" ou "Release", ou "Panic" ou "Looking Outside Inside", et puis d'autres chansons car elles sont toutes connectées, comme tous les albums le sont. Elles sont pour la plupart autobiographiques...

Etablir une set-list en deux parties comme sur la tournée « We're Here Because We're Here » ?
Oui, quelque chose comme ça, c'est ce que je souhaite.

La tournée se déroulera cet automne, avec un bon paquet de dates par chez nous.
Oui, on joue dix dates en France.

C'est beaucoup !
Oui. Ca ne nous est pas arrivé récemment. Je suis content de cette tournée, c'est cool !

Ces dernières années, on a vu fleurir des festivals à thème. Que penses-tu de ces festivals, ou croisières, "prog'" dans lesquels ANATHEMA a l'occasion de se produire ?
Je crois que KScope Music a créé son propre festival et c'est une bonne idée, ils ont tellement de bons groupes dans leur catalogue. Je pense que c'est une bonne idée de célébrer une scène ou un style de musique sur une manifestation. Même si on ne connaît pas grand chose à ce genre musical, on est très heureux d'être associés à ce genre car on y trouve d'excellents groupes et musiciens, et on aime l'état d'esprit qui y règne. L'idée d'être "progressif" en tant qu'être humain ou artiste, d'avoir l'esprit ouvert, de posséder une large palette et de pouvoir faire ce qu'on veut, c'est bien...

Ca ne signifie pas juste venir des années 70 !
Oui, voilà, ça c'est le problème du genre. Que certains groupes ne soient associés qu'à une époque. En ce qui nous concerne, nous sommes passés complètement à côté, on ne connaît aucun des albums qu'ont sortis ces groupes ! Mais on connaît très bien les PINK FLOYD, les BEATLES, RADIOHEAD,... donc dans ce sens là, on est progressifs effectivement. On écrit des chansons, on ne cherche pas à épater la galerie, les solos interminables de guitares, de claviers, de batterie, de basse ne nous intéressent pas... pour toutes ces raisons, je pense que nous sommes juste un groupe de rock alternatif, et non un groupe progressif.

Sur la fiche promo fournie par votre label, il est dit que vous êtes un groupe de "rock alternatif post-progressif".
(rires) Ca veut dire quoi ça ??

Je ne sais pas !
(rires) "Alternative rock band", ça suffit, arrêtons-nous là ! Ca devient complètement débile à ce niveau, quand on met trois mots avant rock, je veux dire, c'est bon quoi...

Pop-rock ?
On peut dire alternative-rock car c'est ce que sont RADIOHEAD, MUSE, COLDPLAY, ELBOW, SUPER FURRY ANIMALS,... Tout ça est alternatif parce qu'on ne fait partie d'aucun genre, et qu'on a toujours des guitares. « Rock, with a twist ! » (rires)


Blogger : Christophe Droit
Au sujet de l'auteur
Christophe Droit
Animateur radio chevronné de la région toulousaine, fidèle partenaire de HARD FORCE depuis toujours, Christophe, alias "Godzilla", a participé à l'élaboration du projet Radio Force (CD & Musique) encarté dans le magazine jusqu'en 2000. Depuis 2008, il supervise l'équipe et l'actualité dans HARD FORCE et sur Facebook et anime de très nombreuses émissions sur HEAVY1, notamment NOISEWEEK tous les vendredis soirs, consacrée à l'actualité discographique de la semaine.
Ses autres publications

1 commentaire

User
Toto El Baxxozorus
le 07 juin 2017 à 22:01
Merci pour cette interview !
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