29 mars 2019, 13:32

Devin Townsend

• "Empath"

Album : Empath

Devin Townsend, le canadien prolifique au style inclassable est de retour avec un nouvel album. Pour le novice qui ne connaîtrait pas encore l’énergumène, et si je devais citer un autre personnage illustre du pays des caribous à feuille d’érable, Devin Townsend est au metal ce que Deadpool est à l’univers Marvel : un trublion délirant à l’humour omniprésent mais au talent indiscutable (l’un pour distribuer des baffes, l’autres des riffs). Il est donc de retour avec « Empath », mais à quoi faut-il s’attendre ? Cet album est-il bon, est-il progressif, est-il full-metal (jacket) ou planant à l’instar de « Ghost » (l'album de Devin Townsend Project sorti en 2011, pas le groupe de suédois), ou bien est-ce un album concept comme un « Ziltoid The Omniscient » qui venterait les bienfaits du café dans la gestion des conflits intergalactiques engendrés par un alien né d’une mère caféinomane et d’un percolateur ? 
Et bien mes chers amis, c’est un peu de tout ça à la fois, car Mr Townsend a réalisé avec ce nouveau disque un kaléidoscope de sa propre schizophrénie musicale et nous livre ici un véritable condensé, un nectar, une mosaïque de tous les styles qu’il a exploité au cours de ses quinze derniers albums faisant suite à feu STRAPPING YOUG LAD dont l’activité prit fin en 2007, pet à son âme. 

Devin s’est d’ailleurs entouré de tous nouveaux copains de jeux après la dissolution du DTP (Dans Ton Postérieur ? Non, du Devin Townsend Project) l’année dernière. On retrouvera donc entre autre Steve Vai, Anneke van Giersbergen habituée à venir poser sa voix sur de précédentes productions, une chorale, se permetant même de faire participer trois batteurs au style de jeu distinct pour mieux faire sonner les différentes ambiances que vous découvrirez tout au long de l’album. Pour les détails concernant la réalisation du dit album nous vous invitons à découvrir très prochainement une émission lui étant consacrée sur Heavy1.

Alors sans plus attendre, passons en revue « Empath » et ses 15 titres, mais qui en fait n’en a que 10 (oui, il va falloir prendre des notes), et sautons dans la navette à chronique pour une visite guidée. Attachez vos ceintures, relevez la tablette de votre siège, 3, 2, 1, allez Chewie, passe en vitesse lumière !
Ouverture tout en douceur sur le bruit des vagues d’une plage qu’on imagine paradisiaque avec "Castaway", quelques notes de guitare aériennes au son pur, enveloppées d’une profonde réverbération, la mélodie est douce, planante et agréable, quelques mouettes complètent le tableau sonore. Une mélodie hawaïenne s’invite quelques secondes avec du steel-drum et autre steel-guitar puis c’est la chorale de l’Elektra Women's Choir qui ouvre le bal et nous annonce la paix de l’âme et l’amour de ton prochain en concluant ses cinq vers d’un « receive this love » (reçois cet amour) en guise de bienvenue et "Genesis" démarre sans transition avec la montée progressive de la grosse caisse, changement d’ambiance et sons electro accompagnant la section rythmique et enfin Devin se fait entendre avec ce titre qui pour faire simple résume le projet à lui tout seul. Des riffs de guitare brefs et espacés, des voix, des chœurs, des voix claires, des voix puissantes, des breaks calmes, du synthé 8 bits et le refrain qui envoie du lourd, du scream et du death côté batterie sur le « genesis » hurlé à toutes cordes vocales dehors. C’est une véritable montagne russe, ça va vite et ce n’est pas sans rappeler "Deconstruction" par sa multitude de changement de phases musicales, de variations de vitesse et de rythme car pour ce titre on retrouve justement derrière les futs : Morgan Ågren (KAIPA, Mats/Morgan Band, Dweezil Zappa, Fredrik Thordendal), Anup Sastry (ex-MONUMENTS) et Samus Paulicelli (DECREPIT BIRTH, ex-ABIGAIL WILLIAMS), autant vous dire que ça part dans tous les sens et ce n’est pas le chaton qui me contredira, oui, un chaton, on ne peut pas faire plus amour et paix que ça, désolé, on est au maximum là. Ché Aimee Dorval avec qui Devin avait enregistré son album « Casualities Of Cool » en 2014 apporte sa contribution vocale pour les passages légers à la voix claire tandis qu'Elliot Desgagnés de BENEATH THE MASSACRE enfonce le clou quant au growl. "Genesis" c’est heavy, death, pop, bluegrass, electro,  c’est même disco mais bon sang ça fonctionne, ça fonctionne même très bien.
Après la tornade qu’on vient d’essuyer, "Spirits Will Collide" permet de se poser un peu avec une structure plus conventionnelle et un thème plein d’espoir, un rythme mid-tempo bien soutenu et l’Elektra Women's Choir qui emporte le tout dans un élan épique qui sent bon l’entraide, l’amour fraternel et la force intérieure. Une ambiance qu’on retrouve dans les trois derniers albums du Devin Townsend Project, on est sur du Devin simple et efficace.

"Evermore" suit un peu la même idée mais avec une touche plus progressive (Anup tient les baguettes), au break psychédélique, on sent bien que Mike Keneally, producteur, directeur artistique et instrumentiste a participé à la direction musicale de l'album car ici on imagine bien Frank Zappa passant la tête derrière la porte du studio, les deux hommes ayant longtemps travaillé ensemble. Devin parle de son moi intérieur, ou de ses moi intérieurs car il faut être plusieurs là-dedans pour pondre de tels morceaux, il est aussi question de voyage spectrale… bref, la routine me direz-vous.

"Sprite" commence tranquillement comme un conte pour enfant pour ensuite partir sur un style pop-electro-mystico aérien, bande originale d’un tour du monde psychédélique tout en douceur, Morgan Ågren a su improviser des rythmes calmes et jazzy offrant à ce titre une diversité subtile.
En revanche avec "Hear Me", Samus Paulicelli ne fait pas dans la dentelle, on me dit dans l’oreillette que la caisse claire aurait même portée plainte après l’enregistrement du dit morceau pour quotas de frappes largement dépassé, la grosse caisse n’en mène pas large non plus. Ici c’est clairement la partie speed/death/metal qui est mise en avant, bien qu’Anneke van Giersbergen vienne tenter de calmer l’animal (oui ! Comme dans le Muppet Show) durant quelques timides phases de calme avant le retour de la tempête. Mais encore une fois le mariage des différents intervenants fait mouche, le talent de chacun œuvre pour le meilleur du morceau. 

A présent un morceau très proche d'une opérette... "Why?" s’articule comme une mini-comédie musicale symphonique avec un Devin faisant montre de toutes ses prouesses vocales passant du chant clair, au lyrique à l’instar d’un ténor, au growl jusqu’à la voix de tête. Accompagné là aussi du Elektra Women's Choir, on ne peut qu’admirer le réel talent et l’extrême polyvalence du Canadien, c’est bluffant, on reste sans voix (tu m’étonnes, il a tout pris). 

"Borderlands", chanson légère au début et un brin loufoque, structure variée entre pop expérimentale et refrain heavy, entre "March Of The Poozers" et "Lucky Animals". C’est prog' mais pas trop, barré oui, le coup de corne de brume de supporter est juste dantesque dans l’ajout d’éléments burlesques du morceau. Le refrain fort en voix envoie fort (et bim tu l’as pas vu venir celle-là !). Puis, lorsqu’on pense que c’est terminé et bien non, break très calme, doux et moelleux comme un bon plaid devant un feu de bois en hiver et on repart pour un tour, les voix reviennent de plus belle, guitares qui progressent et refrain tout en couleur.

"Requiem" clos la première moitié de l’album, mené entièrement par l’Elektra Women’s Choir sur une symphonie, le titre illustrerait parfaitement une scène de film faisant un traveling sur un monde merveilleux, coloré, chatoyant baignant dans une lumière divine. Un paradis ? Qui sait...
Nous arrivons maintenant à la deuxième moitié de l’album ou plus spécifiquement la dernière chanson qui est en fait la somme de six titres, véritable voyage et essence même de l’album, "Singularity" et sa première partie "Adrift" reprend l’ouverture de "Castaway" avec cette guitare aux notes claires et planantes qui laisse place à une balade voix/guitare folk. Loin de l’être aimé qui lui manque, Devin nous raconte qu’il dérive seul mais que loin du reste du monde il n’est pas si mal. On enchaîne directement après avec "I Am I" avec un retour à son moi intérieur abandonnant toute retenue et puisant dans le noyau de son âme, libérant son instinct de rage et forcément, le titre est très puissant mais en mid-tempo. Ici la rythmique est forte mais posée renforçant le thème et la voix lors du refrain scandé « I am I », à l’image d’un homme en haut d’une falaise les cheveux au vent, du moins pour ceux qui en ont, et qu’après la rage et l’obscurité, arrivent la lumière et la sérénité mais qu’il persiste malgré tout une part animale et "There Be Monsters" nous replonge dans une ambiance plus inquiétante et là, c’est la chute dans un puis sans fin où caisse claire martelée, multitude de riffs de guitare et growls nous envahissent les esgourdes, le monstre ne se laissera pas apprivoiser, Devin se déchaîne comme à l’époque de "Namaste" ou "Juular" ou carrément la période STEAPPING YOUNG LAD. Concluant le titre comme étant son propre messie, mais non ?, mais si ! "Curious Gods" nous relaxe dans une mélodie légère aux chœurs angéliques nous invitant à goûter la papaye et être en paix avec nous-même, et les autres, charité bien ordonnée commence par soi-même comme disait Patrick Balkany. "Silicon Scientists" dérive dans le prog" et l’expérimental avec moult scénettes auditives alambiquées du plus pur style Zappa, une intelligence artificielle nous parle et nous informe qu’elle nous vient en aide car seul, nous sommes perdus et que le réveil est proche via un retour dans l’océan, là où la vie naquit au commencement du monde et pour clore ce voyage cosmique et comme une boucle qui ramènerait à la génèse de « Empath », "Here Comes The Sun" et son thème empli d’espoir, de joie et d’énergie termine le tout entre prog', pop, rythmes saccadés et phases d’envolées mélodiques avec Steve Vai à la guitare. Devin conclut avec ce refrain à la demande au combien empathique : « If you can’t shine for you friend, please shine for me! », (Si tu ne peux pas briller pour tes amis, s’il te plait brille pour moi).
The End comme on dit dans le Vercors. 

Alors finalement, après l’écoute de « Empath », est-ce qu’on crie au génie (pratique pour garder les produits au frais) ou bien l’ensemble n’est-il pas trop hétérogène. Et bien Devin Townsend nous offre là ce qu’il sait faire de mieux, c'est-à-dire de tout et de manière très bien ficelée. C’est un voyage, un partage sans concession qu’il nous livre ici. Aucune retenue, il est allé au bout de ses idées et par ce titre nous demande de faire preuve d’empathie et d’accepter l’album dans son ensemble, d’embrasser sa vision de la musique, de la liberté de l’exprimer et du chemin qu’on suit en l’écoutant, parfois incertains, bosselé, avec des côtes et des virages à fleur de ravin mais qui au final nous amène à bon port. Alors oui, « Empath » est un très bon cru et peut être l’album le plus personnel, le plus diversifié, le plus abouti et le plus vrai que Devin ait pu nous pondre à ce jour. Il faudra plusieurs écoutes pour digérer l’œuvre mais il faut bien ça pour en découvrir toutes les subtilités. Un vrai tour de manège mariant "It’s a Small World" avec "Space Mountain". Tient d’ailleurs le train est sur le point de partir, vous venez ?  En tout cas moi j’y retourne. Indeed.

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK