29 juin 2021, 19:30

AT THE GATES

Interview Tomas Lindberg

Oyez ! Oyez ! Le nouvel AT THE GATES arrive le 2 juillet ! Répondant au doux nom de « The Nightmare Of Being », l’album propose un death metal encore plus innovant et expérimental que son prédécesseur « To Drink From The Night Itself ». Les Suédois savent aller de l’avant et sortir de la zone de confort tellement à la mode. Tomas Lindberg, leader et chanteur du groupe nous parle de la théorie philosophique du pessimisme dont traite l’album et revient sur le processus d’écriture de chansons aussi riches qu’intenses...


Salut Tomas ! La dernière fois que nous avons échangé, c'était il y a trois ans pour la sortie de l'album « To Drink From The Night Itself ». A cette époque, qui paraît bien lointaine, vous pouviez faire la promotion grâce à des concerts en live. C'est bien différent pour la sortie de « The Nightmare Of Being » cette année. Est-ce que ça change quelque chose dans votre façon de communiquer ?
Oui, même s'il est difficile d'utiliser le mot "chanceux" quand on regarde la situation autour de nous, on peut dire qu'en tant que groupe, la COVID est apparue au moment le moins pire pour nous. On venait juste de terminer notre tournée pour le dernier album et en plus, elle avait été intense, comme souvent. Donc on n'était pas trop dans l'urgence de sortir un nouveau disque. On était même contents de prendre une pause. Et quand on a commencé à écrire pour « The Nightmare Of Being », la situation nous a donné un peu plus de temps pour nous y pencher et c'est peut-être d'ailleurs pour cette raison que le résultat en est cet énorme album bizarre. On avait par contre dans l'idée de le sortir dès qu'il serait fini, quoi qu'il en soit de la situation mondiale. On n'est pas un groupe commercial donc on n'a pas besoin de vendre un certain nombre d'albums pour être rentables. On espère que les gens qui aiment notre groupe aimeront l'album même s'ils ne peuvent pas nous voir en live en ce moment. On aimerait qu'ils profitent un maximum de notre musique pendant cette crise sanitaire.

Il semble en effet que tu aies eu beaucoup de temps pour lire et être créatif pendant cette période. Est-ce que ce temps de pause mondial a aidé à ton inspiration ?
Oui, je pense. Le fait d'avoir du temps pour lire, pour me balader dans la nature, pour apprécier le moment présent aide à la créativité. Et on savait que cet album serait comme une renaissance pour le groupe de toute façon car il est très audacieux. Mais on a vraiment pris le temps de nous focaliser sur le processus d'écriture.

Oui, c'est un album très inspiré, comme beaucoup de ses prédécesseurs. AT THE GATES a toujours été un groupe expérimental et créatif mais cet album va encore plus loin cette fois...
Oui, je pense. Pour « The Nightmare Of Being », nous avons essayé d'introduire tout un tas d'éléments nouveaux de manière fluide et sans contraintes. Il fallait que ce soit un album d'AT THE GATES bien sûr, mais aussi une expérience au sens propre du terme. C'était beaucoup de travail mais aussi beaucoup de fun !

Et est-ce que KING CRIMSON et John Coltrane sont toujours des influences majeures pour toi et le groupe ?
Oui, mais aussi toutes les musiques que nous écoutons. Mais il est indéniable que j'ai eu une période très jazz cet hiver quand nous avons enregistré l'album. Je n'écoutais que du free jazz ! Mais les autres écoutaient d'autres musiques. On écoute bien sûr Coltrane mais aussi du death metal car il ne faut pas oublier que nous sommes un groupe de death !
 


​Peux-tu nous en dire plus sur la philosophie pessimiste de Ligotti qui semble avoir beaucoup influencé ton écriture également ?
Oui, j'ai toujours été intéressé par des auteurs comme Lovecraft mais j'ai voulu aller voir vers des écrits plus modernes et Ligotti fait partie des grands écrivains d'horreur & fantastique. Mais en dehors de ses romans de fiction, il a aussi écrit des livres plus philosophiques comme The Conspiracy Against The Human Race. C'est un peu comme une introduction à l'idée du pessimisme. C'est un peu écrit comme un essai avec des références à Schopenhauer ou d'autres philosophes. On peut prendre cette philosophie du côté sombre et dépressif mais pour moi, c'était plutôt comme un soulagement. Cela m'a rendu plus attentif à mes mécanismes de défense et finalement, cela a été plutôt positif. Pour moi, c'est une façon de vivre sa vie de manière plus entière, en étant pleinement conscient de ce que tu es. Je ne me considère pas comme un vrai pessimiste de ce point de vue mais j'y ai pris certaines idées qui ont fait sens pour moi et que j'ai voulu retranscrire dans l'album.

« The Nightmare Of Being » serait alors un album optimiste ??
Je n’irai pas si loin mais les gens ont l’habitude qu’on leur rabâche à longueur de journée que la vie, c’est de la merde alors qu’il est important de faire preuve de résilience. De toute façon, chaque personne qui écoutera l’album pourra l’interpréter à sa façon. On espère juste que les chansons qui s’y trouvent leur rendront la vie meilleure.

AT THE GATES a toujours été un groupe à la pointe de l’expérimentation et cette fois vous utilisez du saxophone dans certains passages comme sur "Garden Of Cyrus". Tu peux nous parler du choix de ces instruments peu communs dans le metal habituellement ? Dès vos débuts, vous utilisiez déjà du violon donc vous êtes plutôt familiers du fait, mais qu’en est-il du saxo cette fois ?
Oui, comme tu dis, on a toujours été très aventuriers et le précédent album avait déjà beaucoup d’orchestration. Sur celui-ci, on va encore plus loin et l’apport principal vient du saxophone mais on a fait aussi pas mal d’improvisations. L’impro et le metal ne vont généralement pas bien ensemble car le metal est assez strict et carré. Pour nous, avoir quelqu’un de si talentueux qui est venu au studio pour jouer du saxo était quelque chose de fantastique. Il a été diplômé en improvisation de jazz à l’Université et on était très heureux qu’il s’intéresse à notre musique. On aimerait d’ailleurs beaucoup réitérer cela à l’avenir, pas forcément avec du saxophone mais avec cet esprit. L’impro rend la musique plus pure, pleine d’émotions.

Il connaissait AT THE GATES avant de travailler avec vous ?
Oui, tout à fait. C’était un metalleux quand il était jeune. « Slaughter Of The Soul » était un de ses albums préférés.
 


Il semble que "Garden Of Cyrus", le titre dont nous parlions, est le premier que tu as écrit pour l’album. Est-ce que dans ce sens il a servi de base pour les autres chansons ? Est-ce que l’album tourne autour de lui finalement ?
Oui, en tous cas, il a été la base pour le côté avant-gardiste et aventurier de l’album peut-être. L’ordre des chansons est très important pour nous. C’est pour ça que nous avons vraiment du mal à sortir des singles. On veut vraiment que les gens considèrent l’album dans son intégralité. Donc quand on écrit une chanson, on prend bien soin qu’elle corresponde à une suite de la précédente. Donc, beaucoup des titres ont été écrits en pensant à "Garden Of Cyrus" et ce que le titre demandait ensuite. On est très old-school pour ça. L’album doit avoir un sens. Heureusement, on a quand même réussi à définir trois singles à sortir avant l’album. Puis, il y aura des vidéos pour la plupart des titres. On a travaillé avec différents styles d’animations et j’en suis ravi.

En plus du saxophone, vous utilisez aussi d'autres sons de cuivres sur certains passages. Cela donne une atmosphère très théâtrale, grandiloquente. C’est ce sentiment que tu voulais instiller à l’album ?
Oui, c’est clair que les morceaux ne seraient pas les mêmes sans ces instruments. Ils sont encore plus importants sur cet album que sur le précédent. L’aspect émotionnel et les paroles y sont très importants. Les différents instruments parlent aux émotions que tu ressens en toi, comme la flûte solitaire que tu entends au début de "Touched By The White Hands Of Death". Elle est inégalable, le ton y est parfait. C’est ce que j’aime.

Comment avez-vous procédé pour l’écriture de l’album ? C’est toujours toi qui amènes les idées à discuter avec les autres membres du groupe ?
Oui, comme pour le précédent album, c’est Jonas (Björler, le bassiste) et moi qui avons écrit la plupart des choses. En gros, j’ai écrit les paroles et il a écrit la musique. On s’est réuni pour en faire des chansons mais bien sûr, tout le monde dans le groupe a la main pour le produit final. On fonctionne en démocratie même si nous ne sommes que deux compositeurs. Les parties progressives ont été écrites par Jonas en pensant au jeu de batterie de Jonas Stålhammar car il a un ton un peu progressif et donc même s’il n’écrit pas les morceaux, on les écrit pour lui et sa façon de jouer. Donc il fait partie des influences que l’on a eues lors de l’écriture.

« The Nightmare Of Being » est bien sûr très heavy et très puissant, agressif et dévastateur parfois, c’est un album de death metal tout de même !
Oui bien sûr ! C’est un bon mélange de tous ces passages. Si on était juste heavy, ou juste prog ou juste death, cela ne ferait pas sens pour AT THE GATES. On a besoin de toute cette richesse pour être ce que l’on est. Chaque album d’AT THE GATES est différent et c’est ce que nos fans aiment. Ils sont très ouverts d’esprit. On a vraiment de la chance. Si on essayait de faire un « Slaughter Of The Soul » part. II, les gens seraient déçus car ils aiment l’idée que nous soyons sans cesse en évolution. Cela manquerait d’émotions.

Est-ce que tu penses que vos fans viennent d’horizons très différents : le death bien sûr mais peut-être d’autres courants musicaux également ? Est-ce que tu le vois en concert ?
Oui, je pense que déjà en tant que groupe de death, nos fans sont assez éclectiques. On a tous les âges, tous les genres. Le death a cette particularité d’être assez universel. Nos mélodies parlent aussi bien aux ados qu’aux personnes plus âgées. J’aime bien l’idée de toucher un maximum de gens. On fait la musique pour nous-mêmes mais la partager avec autant de monde est gratifiant. C’est comme ça que notre art prend vie.

Vous avez enregistré l’album à plusieurs endroits en Suède. Il semble que ce soit un gros travail de collaboration. C’est important pour toi de partager tes chansons avec des personnes qui peuvent leur apporter d’autres idées et interprétations ?
Les gens peuvent penser que c’est à cause de la situation liée à la COVID mais en fait non. On voulait vraiment enregistrer chaque partie avec une personne référente pour être sûr de faire les bons choix. On a donc un son de batterie comme jamais on a eu auparavant et on en est très heureux. Bien sûr, notre producteur Jens Bogren était toujours là en satellite. Il faisait le lien entre toutes les parties pour en faire quelque chose de cohérent. On voulait vraiment que ce soit lui qui gère l’ensemble car « The Nightmare Of Being » est un gros projet qui a besoin de toute son attention et son savoir-faire. Il est très méticuleux et c’est quelqu’un de très fiable.

Le Roadburn 2019 semble avoir été déterminant dans le tournant qu’allait prendre ce nouvel album. C’est d’ailleurs à ce moment-là que vous avez rencontré Eva Nahon, qui a réalisé la pochette de « The Nightmare Of Being » non ?
Oui, en fait au début, je devais y participer en tant que fan mais j’ai fini par y apparaitre sur l’affiche en tant que Tomas Lindberg. Cela a été l’occasion de constater que des horizons divers s’offraient à mes yeux et effectivement, c’est là que j’ai rencontré Eva. Elle y réalisait des toiles de fonds superbes. Elle a accepté de travailler avec nous et il faut dire qu’elle a réalisé exactement ce que je voulais pour la pochette de l’album. Je lui ai donné les idées mais elle en a fait quelque chose de très esthétique.

Et quand est-il de la suite. Avez-vous des concerts prévus, si la situation le permet ?
Oui, nous avons déjà des concerts planifiés, on ne sait pas s’ils seront annulés ou pas mais si on suit la théorie du pessimisme, si on ne les espère pas, on sera content que les choses arrivent. 2022 est presque pleine de concerts déjà. Les gens devront peut-être patienter un peu mais ça en vaudra la peine.

Ca te manque de ne pas jouer en live ?
Oui, ça commence. Quand j’entends les retours que l’on a du monde entier, j’ai bien envie de revoir nos fans et passer du temps avec eux sur scène et dans les salles •

Blogger : Aude Paquot
Au sujet de l'auteur
Aude Paquot
Aude Paquot est une fervente adepte du metal depuis le début des années 90, lorsqu'elle était encore... très jeune. Tout a commencé avec BON JOVI, SKID ROW, PEARL JAM ou encore DEF LEPPARD, groupes largement plébiscités par ses amis de l'époque. La découverte s'est rapidement faite passion et ses goûts se sont diversifiés grâce à la presse écrite et déjà HARD FORCE, magazine auquel elle s'abonne afin de ne manquer aucune nouvelle fraîche. SLAYER, METALLICA, GUNS 'N' ROSES, SEPULTURA deviendront alors sa bande son quotidienne, à demeure dans le walkman et imprimés sur le sac d'école. Les concerts s'enchaînent puis les festivals, ses goûts évoluent et c'est sur le metal plus extrême, que se porte son dévolu vers les années 2000 pendant lesquelles elle décide de publier son propre fanzine devenu ensuite The Summoning Webzine. Intégrée à l'équipe d'HARD FORCE en 2017, elle continue donc de soutenir avec plaisir, force et fierté la scène metal en tout genre.
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