3 décembre 2021, 16:22

LOÏS X TWAN TEE

Interview Twan Tee, Loïs Daïri & Mathieu Dassieu


Surprise avant l’heure pour ce cadeau de Noël qui arrive avec un peu d’avance donc, en l’occurrence l’album « Crossing (Metal Version) » sorti le 26 novembre chez Baco Records. Ce disque, hydre metal-reggae/dancehall, a été l’occasion pour HARD FORCE d’aller interroger les protagonistes concernés, soit le binôme LOÏS X TWAN TEE ainsi que le maître d’œuvre de Baco Rdcords, Mathieu Dassieu, qui publie l’album sur le label de son propre groupe DANAKIL, un disque ô combien audacieux à plus d’un titre. Interview croisée pour un trio qui croise le fer et envoie le bois. « Gwaan! » (C’est parti ! en patois jamaïcain)
 

Twan, toi qui es un artiste ayant établi sa carrière dans le domaine du reggae/dancehall, qu’est-ce qui t’a poussé à accepter de prendre part à un remake metal de ton album « Crossing » paru au début de cette année, un disque 100% reggae lui ?
Twan Tee :
C’est Loïs qui s’est mis à remixer nos morceaux un à un dans la nuit en version metal. J’ai trouvé la démarche originale et amusante. Certes, il vient du milieu metal et moi de celui du reggae mais je pense qu’il n’existe qu’un seul type de musique, avec différents aspects certes, mais les mélanges fusion m’ont toujours plu.

Pour ce disque, tes pistes de voix ont simplement été posées sur les rythmiques façonnées par Loïs en compagnie du batteur Morgan Berthet et du bassiste Geoffrey "Shob" Neau. Est-ce pour une question de timing, de praticité ou pour de compréhensibles questions de coût que ce choix a été fait ? N’a-t-il pas été envisagé lors de la genèse de ce projet de te faire refaire toutes les pistes vocales sur ces nouvelles toiles musicales ? Car, pour avoir également écouté la version originale de ton album, c’est bien l’un des seuls points "négatifs" que j’ai pu relever en faisant le parallèle avec les deux faces de la pièce. J’aurais apprécié de t’entendre t’adapter probablement de façon un peu différente.
Twan Tee : Non car depuis le début, nous avons convenu que ce serait un projet remix, de repartir simplement des vocaux de l’album « Crossing » pour en faire une version différente. Peut-être que si j’avais réenregistré les voix en prenant en compte l’adaptation metal, le mélange aurait été moins contrasté, moins original et ça n’aurait pas correspondu à la façon dont j’ai envie d’exploiter ma voix.
Loïs : Comme pour une face B ou un album dub dans le milieu reggae (Ndr : disque uniquement instrumental où ne subsistent que très peu d’éléments vocaux et qui sont mixés avec un ajout conséquent d’effets – échos, réverbs, etc – afin de donner naissance à de nouvelles versions de chansons), l’idée était vraiment de faire un remix hard/metal plutôt qu’une version qui se serait apparentée à de "l’auto-cover metal". On tenait à garder l’authenticité de la vibe reggae originelle de « Crossing », réalisée par Oddy, et proposer avec « Crossing (Metal Version) » un genre de monde parallèle avec pour base commune reliant les deux disque, les a cappella de Twan Tee.

Comme l’a clamé le groupe français SATAN JOKERS en 1983, es-tu quelque part de par ton éducation musicale un "fils du metal" ou bien t’es-tu complètement lancé dans l’inconnu, juste guidé par Loïs, un musicien que tu connais bien ?
Twan Tee :
J’ai moi-même été touché par cette musique plus jeune mais je n’irais pas jusqu’à dire que j’étais un "fils du metal" comme tu dis, plutôt quelqu’un qui a été influencé par ce genre.

Serais-tu prêt à réitérer l’expérience mais en partant cette fois d’une feuille blanche, écrire des textes en fonction des ambiances musicales proposées et peut-être sur des sujets moins affiliés à la sphère reggae en général ?
Twan Tee : Non, je ne pense pas.

Loïs, cela fait longtemps que tu accompagnes Twan Tee dans ses projets ? Comment en arrive-t-on à driver un projet aussi atypique et inattendu ?
Loïs :
J’accompagne Twan Tee simplement depuis le début de la réalisation de « Crossing » version reggae en fait. L’idée d’un remix metal m’est venue en premier lieu en faisant l’expérience avec mon propre groupe, NATTY CREW. Ça m’a ouvert une porte insoupçonnée qui m’a convaincu qu’une même musique pouvait avoir tellement de formes différentes. Ça m’a rendu tellement curieux de découvrir chacune de nos reggae tunes se transformer en grosse session de hard rock/metal que je suis allé fouiner dans les prises de chant de Twan à l’Odysée Records pour les extraire et tenter de surprendre les potes, Oddy et Twan, en faisant d’un titre enregistré plus tôt en reggae, une version metal improbable (Ndr : et pourtant ! Ça marche très bien !).

Comment la connexion s’est-elle faite avec Morgan Berthet et Geoffrey Neau ? Les connaissais-tu auparavant ou bien est-ce par connaissances interposées que vous vous êtes retrouvés tous les trois à travailler ensemble ?
Loïs : Je connaissais leurs têtes à travers les magazines que j'achetais plus jeune mais pas du tout personnellement. C'est "Das" (Ndr : surnom de Mathieu Dassieu) qui a charbonné pour aller les dénicher et qui leur a proposé de poser sur le projet à distance, puis qui m'a ensuite connecté avec eux.

Quelle a été leur réaction d’ailleurs lorsqu’ils ont été contactés ? Ont-ils été surpris ou émis des réserves sur le déroulé de cette aventure ? Ou bien ont-ils foncé tête baissée, que ce soit de par le contexte actuel, réduisant les possibilités de se produire ou de prendre part à quelque projet que ce soit ?
Loïs : 
Ils m'ont montré beaucoup d'enthousiasme, que ce soit venant de Morgan ou de Shob. Dès les premiers échanges téléphoniques, on sentait déjà beaucoup d'implication de leur part et la volonté de faire de la musique avant tout. Morgan n'était pas forcément sensible plus que cela au flow "toasté" rub a dub de Twan mais il était cependant hyper emballé par l'idée de fusionner ces deux univers complètement opposés. Il n'a d’ailleurs pas hésité à donner quelques directions artistiques majeures dans la création de cet album hybride.

Etant un fan de metal et de reggae/dancehall, j’ai remarqué il y a bien longtemps déjà les accointances qu’ont ces deux genres à priori opposés mais qui se marient très bien au final. Il n’y a qu’à écouter certaines chansons de STEEL PULSE, Bob Marley & THE WAILERS ou ISRAEL VIBRATION, en live surtout, où la distorsion est parfois prégnante, leur conférant à l’arrivée une saveur bien particulière et typiquement européenne. Est-ce quelque chose que tu avais remarqué et à laquelle tu as pu être sensible, même inconsciemment ? Si oui, est-il possible que cela ait pu t’orienter et t’amener à participer à « Crossing (Metal Version) » ?
Loïs : Oui complétement ! En y repensant, que ce soit les STEEL PULSE, THE WAILERS, Alborosie, DANAKIL, DUB INC., Alpha Blondy, les groupes de reggae que j'écoute et qui me font vibrer, ils ont tous en commun soit des gratteux au son bien rock soit une base organique blues/rock bien prononcée. C'est certain que d'une façon, ça m'a amené à croire qu'une réunification entre reggaemen et metalhead se tentait. C'est pour ça que lorsque Das et Baco Records m'ont proposé de produire « Crossing (Metal Version) », je n'ai pas hésité une seconde !

De ton côté, serais-tu prêt à réitérer l’expérience, mais en contactant cette fois d’autres musiciens de la sphère metal ? Si oui, as-tu déjà une idée sur les protagonistes qui pourraient être sensibles à la démarche ?
Loïs : 
Carrément ! Je n'ai pas de nom en particulier de musiciens potentiellement intéressés et disponibles pour un projet du même type, alors on verra au moment voulu si jamais l'opportunité de revivre une telle aventure se présente. En ce qui concerne un éventuel artiste reggae à détourner, ça a été tellement une expérience incroyable, pleine de rebondissements et de surprises musicales, comme faire de Twan Tee un métalleux, qu'évidemment si l'occasion se représente j'y retourne direct !

Mathieu, quelle surprise de découvrir cet album sur le label que tu as créé, Baco Records, et qui n’a pas pour vocation première d’inclure des albums metal. Pourquoi et Comment ?
Mathieu :
C’est Loïs qui est venu vers nous avec le remix d’un titre. Avec JB, mon acolyte du label (Ndr : JB Gerbaux, que certains d’entre vous ont peut-être croiser dans l’espace VIP du Hellfest, travaillant étroitement avec Replica Promotions, qui s’occupe notamment des relations presse pour les artistes à l’affiche), on a directement accroché car ça fait appel à des périodes "musicales" de nos vies respectives. On est tous les deux passés par la case metal lors de nos années lycée... J’ai trouvé qu’il y avait une évidence à réaliser ce projet, c’est hyper "frais", original... Personnellement, je n’avais jamais entendu un crossover de la sorte, et j’ai vraiment senti qu’on allait faire quelque chose d’assez unique. On a donc décidé de monter une dream-team, et de se lancer dans la production du projet. Et puis il y a le côté "challenge", ou comment allier deux genres que beaucoup voient aux antipodes... et avec des publics pas forcément compatibles. 

La conjoncture actuelle étant ce qu’elle est, bien qu’une lente reprise se soit amorcée il y a quelque mois en ce qui concerne les concerts, quelle a été la motivation principale pour donner naissance à cet hybride ?
Mathieu : Il n’y a pas vraiment de stratégie derrière tout ça, si ce n’est la volonté de produire une œuvre originale, d’être novateur. C’est toujours sympa de casser les codes et d’arriver avec un projet qui sort de nulle part et que personne n’attendait. On a travaillé ce projet à un moment où l’on était encore bien à l’arrêt... On n’avait aucune vision sur la reprise des concerts… Les confinements s’enchainaient... Franchement, sur le moment, ça nous a fait du bien de produire cet album, de s’engager dans quelque chose de nouveau.

Est-ce que ce disque est une manière de tâter le terrain, d’envisager d’autres disques de ce genre en France, ou même – soyons fous – de faire une percée dans le milieu metal avec des artistes reggae prêts à partir au front. Soyons même complétement fous, aller de l’autre côté de l’Atlantique en proposant carrément à des artistes jamaïcains de poser leurs voix sur des rythmiques originales 100% metal ?
Mathieu : Ha ha ! Mais grave !! Franchement, on verra bien ou cela nous mène. Twan est avant tout un artiste reggae. Pour l’instant, on ne fait pas de plans sur la comète. Peut-être que ce projet donnera des idées et des envies à d’autres... qui sait ? De notre côté, on attend de voir l’accueil qui sera réservé à cet album, et on s’adaptera en fonction de ce qu’il se passe !



Fabien Giroud, guitariste de DANAKIL, groupe de reggae que tu as contribué à créer et dans lequel tu es saxophoniste, est un fan de metal mais il n’a absolument pas collaboré à l’album. Quel écho ce disque a-t-il eu à son niveau lorsqu’il en a eu vent ? N’est-il pas venu te voir afin que tu le mettes en lien avec Twan Tee et Loïs pour balancer un solo ?
Mathieu : Dès le début du projet, je lui ai envoyé des bounces (Ndr : terme musical désignant les tous premiers jets enregistrés de morceaux, sans mixage poussé) pour avoir son avis. Il m’a fait plusieurs retours avisés sur la production. Loïs étant guitariste, il a assuré lui-même la composition et l’enregistrement de la totalité des guitares... Par contre, si un jour on doit monter un one shot "metal" sur un concert, on rigole souvent en se disant qu’on finira sûrement sur la scène du Hellfest avec notre armée de reggaemen, je pense qu’il faudra, à cette occasion, appeler Fab en renfort !

Les albums de reggae et de metal ne se travaillant pas de la même façon, le plaisir de créer un précédent a-t-il prévalu sur toute stratégie de promotion ou de souhait de rentabilité commerciale ? La question se pose car il est acquis que le monde de la musique n’est pas constitué de philanthropes, or je trouve que vu le propos, c’est une véritable prise de risque d’être allé au bout de cette aventure...
Oui c’est clairement le cas. Franchement, en temps normal on n’aurait peut-être pas pris le risque. Mais là, on était confinés... En quelques coups de téléphone, on a pu s’allouer les services de super musiciens, spécialistes du genre, le studio était libre... Y avait plus qu’à... C’est sûr qu’on n’est pas dans notre zone de confort... Mais c’est toujours excitant de découvrir de nouvelles façons de faire, de réfléchir à travers un nouveau prisme. C’est aussi ça, la liberté que nous confère notre statut de label indépendant. On verra ou cela nous mène !


Nous ne saurions que trop conseiller à tous ceux qui souhaiteraient en savoir (et en écouter) plus, de retrouver la chronique de cet étonnant et réussi album en suivant ce lien : « Crossing (Metal Version) ».


Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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