
Bien souvent, la vie nous malmène, nous secoue dans tous les sens comme si nous n’étions qu’un paquet de chiffons pris dans le programme "essorage rapide" d’une machine à laver en pleine crise d’hystérie. Et puis, parfois, rarement hélas, se présentent des moments de grâce qui éclairent ce parcours chaotique. Ce sont ceux-là sur lesquels il faut se focaliser, ces bouffées d’oxygène qui rendent le chemin moins étouffant...
Ce vendredi 17 janvier, ce sont nos Norvégiens préférés LEPROUS qui se sont chargés de réalimenter le "compteur bonheur" presque à sec en ce début d’année. Et pour prolonger l’esprit des fêtes, ils ont décidé de nous offrir non pas un, mais deux concerts, pour une durée totale de près de deux heures trente. Sans première partie, juste eux et leur incroyable musique envoûtante à nulle autre pareille. C’est, comme en février 2023, dans la même belle Salle Pleyel du 8e arrondissement de Paris que doit se tenir cette soirée qui a mobilisé les fans venus des quatre coins de France et d’ailleurs. Si la pluie et le brouillard qui nous empoisonnent depuis quelque jours nous ont foutus la paix, il n’en est pas de même pour le froid glacial qui transperce les couches de vêtements et congèle jusqu’à la moelle des os. Rien de bien grave lorsqu’on arrive juste avant l’ouverture des portes, me direz-vous. Mais quand on a rendez-vous en milieu d’après-midi, on a le temps de prendre en glace plus rapidement que le sorbet du pâtissier dans sa turbine. Mais que ne ferions-nous pas pour avoir le privilège de partager des expériences inoubliables avec des artistes que l’on admire au plus haut point ?
Ainsi, nous voilà sur les lieux bien avant le rendez-vous fixé par le management du groupe pour participer au soundcheck. Avant d’aller plus loin dans le récit, une petite explication s’impose à vous, chers lecteurs. On rembobine le film jusqu’à la semaine précédente. Comme certains le savent déjà si vous avez lu la chronique du dernier album du groupe, « Melodies Of Atonement », LEPROUS a invité des fans à participer à l’enregistrement des chœurs de la chanson "Faceless". Afin de poursuivre cette aventure participative, et de remercier les fans pour leur fidélité, les musiciens ont également décidé d’inclure lors des tournées prévues pour cet album un véritable chœur de fans sur scène, en chair, en os et en voix, pour les accompagner sur cette chanson. Ils ont ainsi fait un appel sur leurs réseaux sociaux pour que chacun tente sa chance en envoyant une petite vidéo, fait-maison. Avec deux autres copines, on s’est dit que ce serait marrant de le tenter, tout en étant convaincues de ne pas être retenues. Un pari un peu débile, quoi ! Deux essaient et envoient leurs vidéos, la troisième s’esquive, franchement pas sûre d’elle. Et le scénario le plus improbable se déroule alors. Le groupe me choisit parmi tant d’autre pour faire partie du chœur ! Pour paraphraser Molière dans ses fameuses Fourberies De Scapin : « Mais que diable allais-je faire dans cette galère ? » Mais pas question de se défiler pour autant, même si l’on meurt de trouille. Nous voilà de retour devant la salle Pleyel, accueillis par le fort sympathique tour-manager, Steve Inman, ainsi que par le claviériste live du groupe et non moins sympathique, Harrison White. Après un court briefing nous expliquant le déroulement de notre passage sur scène, nous pénétrons dans la salle où le groupe est en train de répéter. Comme des petites souris s’étant glissées dans les fissures du mur, on se régale et s’abreuve de cet instant privilégié. Puis on monte sur scène, dix personnes sélectionnées, ultra fans, très intimidés pour certains, mais parfaitement conscients de la chance qui s’offre à eux. Après des embrassades avec les membres du groupe, on choisit nos places sur scène, on répète une fois puis, on est invités à ressortir.

Dehors, il fait toujours aussi froid, mais on a le cœur léger, même si on a encore du mal à réaliser que ça va vraiment se produire. Devant environ 2500 personnes... En effet, même si elle n’affiche pas officiellement "complet", la date n’est vraiment pas loin de l’être. Alors que la nuit tombe, la foule commence à s’amasser devant les portes toujours désespérément closes derrière lesquelles veillent des agents de sécurité intraitables. Finalement, à 19h00, la délivrance arrive, la chaleur avec, et l’on peut rejoindre le premier rang tant convoité. Il ne nous reste qu’une heure de patience, enfin au chaud, avant que la soirée ne débute. Lorsque les lumières de la salle s’éteignent, le public est fin prêt. Le parterre de la fosse est complet, les deux balcons sont noirs de monde et l’excitation est à son comble. Avant même la moindre note, les six musiciens sont ovationnés. Ils démarrent le premier set avec "Silently Walking Alone", suivi du titre qui ne quitte jamais les set-lists, l’incontournable "The Price", qui fait toujours son effet avec ses « Ohohohohoh » et son groove qui fait remuer le popotin. Einar Solberg, le chanteur à la voix d’or, prend la parole pour la première fois. Son sourire, tout comme celui de ses compagnons est rayonnant. Depuis l’an dernier, il a décidé de confier la majorité des parties de piano/claviers à Harrison White, afin de pouvoir se concentrer sur sa voix. Cela lui réussit particulièrement bien, il peut ainsi y balancer toute son énergie et ne plus être entravé dans ses mouvements, libre d’arpenter la scène avec plus d’amplitude. Et sa voix n’en est que plus puissante. Parfaitement en place, comme à leur habitude, il flotte toutefois dans l’air un parfum de folie supplémentaire. La production est imposante, le light-show fabuleux, le son puissant et clair. Et pour la première fois de son histoire, LEPROUS fait appel à de la pyrotechnie. Après "Illuminate" et "I Hear The Sirens" les premières flammes, impressionnantes, interviennent sur "Like A Sunken Ship", morceau qui se prête parfaitement à l’exercice avec son final brutal et foncièrement metal. D’ailleurs, le ton général de la soirée sera bien plus agressif et hargneux que lors des précédentes tournées. Voilà qui n’augure que du bon pour les fans du côté plus rugueux de la musique du groupe et pour sa prestation prochaine au Hellfest !

Einar Solberg est un frontman bourré d’humour qui se révèle de plus en plus dans ce rôle au fil des années. « Est-ce que vous préférez la qualité à la quantité ? » nous demande-t-il, malicieux. Nous précisant au passage que lors de la tournée nord-américaine de 2024, les spectateurs avaient choisi la première option, tandis que nous autres, on adore les deux, mais la quantité avant tout. « Je peux vous assurer que vous allez avoir l’une des deux options avec ce prochain morceau, mais je ne vous dit pas laquelle. Et pour tous ceux qui nous ont découverts avec le dernier album, je suis désolé pour vous ! » dit-il pour introduire le génialissime "Forced Entry", une chanson délicieusement progressive à la structure alambiquée, mais tellement jouissive. Les guitares de Tor Oddmund Shurke et Robin Ognedal sont acérées, la basse de Simen Børven vrombit et la batterie du surdoué Baard Kolstad cogne avec force, subtilité et précision. L’émotion reprend ses droits quand arrive "Out Of Here", puis "Alleviate" et sa montée finale que tous les chanteurs amateurs ont tenté de réaliser avec plus ou moins de succès... Souvent moins que plus, d’ailleurs, mais on se rattrape sur les « Oh Ohohoh » finaux de la sublime "Distant Bells", c’est déjà pas si mal. L’intro au piano nous permet d’apprécier le talent et la délicatesse du discret Harrison White. Le solo de violoncelle est habilement remplacé par un superbe solo de guitare exécuté par un Robin Ognedal en état de grâce. Et puis, sur ce morceau, on sent, comme à chaque fois, les larmes monter et la gorge se nouer.

Toute la magie de LEPROUS est là : le pouvoir de nous asséner des morceaux qui buttent comme "Foe" qui va suivre et des chansons poignantes qui prennent aux tripes et sont des vecteurs d’émotions exacerbées. Laisser sortir la peine et la douleur pour qu’elles ne nous empoisonnent plus, laisser sortir la rage pour qu’elle ne nous détruise pas. La musique de LEPROUS est un formidable exutoire, un antidote pour les maux de l’âme. Einar donne le micro à Baard juste avant "Foe" et le batteur, très ému nous annonce que son père est présent dans la salle, celui qui l’a toujours soutenu pour devenir celui qu’il est aujourd’hui. Sa mère, qui déteste prendre l’avion a aussi fait le déplacement. En 2013, ils étaient contents de jouer devant 300 personnes, en 2025, nous sommes 2500 à les acclamer ! A croire que la présence de ses parents l’a particulièrement boosté, car le batteur toujours exceptionnel, se surpasse encore plus aujourd’hui. Brillant ! On achève le premier set avec "Nighttime Disguise", une composition complètement barrée qui part dans tous les sens. Rien d’étonnant à cela puisqu’elle a été écrite avec la participation des fans qui se sont fait un malin plaisir de jouer aux apprentis sorciers.

Entracte de courte durée : une vingtaine de minutes pour se remettre avant d’en reprendre une dose, encore plus forte. Effectivement, au vu de l’ovation décernée, le public français aime la quantité, mais également la qualité. Sinon, nous ne serions pas là, croyez-nous, Messieurs les musiciens ! C’est avec le magnifique "Unfree My Soul" que LEPROUS entame le deuxième set de la soirée, suivi de "On Hold", chanson qui plonge tellement profondément dans le labyrinthe des émotions humaines qu’on ne peut que fondre en larmes à chaque fois qu’on l’entend. L’interprétation du groupe est impeccable de justesse, et de toute beauté, en particulier les délicates harmonies vocales entre Einar et Tor Oddmund. Les applaudissements du public sont à la hauteur de l’intensité de ce concert. A force d’avoir gueulé plus fort qu’un oisillon qui réclame sa becquée, les cordes vocales commencent à tirailler, et soudain, je réalise qu’il va falloir me ménager un peu car je suis supposée faire partie de la chorale, non pas des petits chanteurs à la croix de bois, mais celle des petits veinards choisis pour accompagner le groupe. Et le signal du regroupement arrive bientôt. Il nous faut rejoindre le point de ralliement à la fin de "Below". Donc, on s’éclipse discrètement après le deuxième couplet en essayant de se faufiler du premier rang jusqu’à la sortie, sans écraser malencontreusement les orteils qui dépassent.

On retrouve Steve Inman, notre guide attentionné, qui nous mène jusqu’aux coulisses, dans l’aile de la scène, côté jardin, par un chemin auquel peu de personnes ont accès. Comme le châtelain faisant entrer ses hôtes par les passages secrets de sa forteresse. Impression presque surréaliste pour les privilégiés que nous sommes, conscients de la chance qui nous est offerte. Ainsi, c’est bien vrai, nous allons le faire, nous allons vivre ça ! Surexcités, nous dix nous massons sur les quelques marches menant à la scène pour profiter de la fin de "Passing", énorme, avec ses jets de flamme, sa puissance et LE growl final et brutal d’Einar Solberg : « Tonight, I’m passing awaaaaaaay ». Imparable. Frissons de plaisir le long de l’échine dorsale. Einar intervient pour expliquer aux spectateurs la genèse de ce titre, puis il présente Simen Børven et son nouvel instrument, sorte de mini "banjo" qui n’en est pas réellement un, en se moquant de ce petit truc ridicule, mais qui finalement fait un son de basse profond et jazzy. "Faceless" débute, nous chantons tous de notre côté des coulisses, rayonnants de bonheur. C’est bientôt à nous. Einar nous introduit : « Give a warm welcome to the Paris fan choir ! » (« Accueillez chaleureusement la chœur des fans de Paris ! ») Nous prenons place à nos positions respectives, comme nous l’avions fait pendant le soundcheck. Mais cette fois, la salle est impressionnante, pleine à craquer. On se jette à l’eau, on chante avec nos tripes, on danse, on profite de ce moment extraordinaire. Puis on exulte quand la foule applaudit à tout rompre. Les musiciens, souriants, nous remercient, nous embrassent, nous félicitent. Et c’est déjà fini. Mais quel expérience incroyable, inoubliable pour nous dix ! Steve prend notre petit groupe en photo, puis nous raccompagne. Retour en sens inverse à travers la foule, les yeux brillants, le cœur battant à tout rompre, pour retrouver les copines et les copains à la barrière. Finalement, les paris débiles, ça a du bon, parfois.

Quoi de mieux que la douce "Castaway Angels" pour se remettre de ce trop-plein d’émotions ? Grâce à l’état pure, cette chanson est toujours particulièrement applaudie, mais ce n’est rien en comparaison de l’accueil réservé à "From The Flame", probablement le morceau le plus entrainant et dansant que le groupe ait écrit. Les spectateurs sont en joie et s’époumonent à n’en plus finir. Le groupe s’éclipse pour quelques minutes et les applaudissements ne diminuent pas jusqu’à ce que les musiciens réapparaissent pour le premier rappel. Ce n’est rien de moins que "Slave", le morceau le plus emblématique du groupe, poignant, sombre et lourd de sens, un cri du cœur face à la violence dont les animaux d’élevage sont victimes pour atterrir dans les assiettes des humains qui n’en ont jamais assez... Ovation rugissante pour le groupe, plus affuté que jamais, qui délivre depuis le début une prestation sans faille. Deuxième rappel avec "Atonement" et son jet de flamme final qui appuie sur le côté heavy de la chanson. Einar Solberg prend la parole pour nous remercier une fois de plus et nous assure qu’ils sont en train de vivre l’un des meilleurs shows de leur vie. On confirme que cette soirée les voit encore dépasser un autre palier. Le chanteur nous annonce qu’ils nous ont concocté une petite surprise toute particulière, et ce, malgré son français hésitant : il se dirige alors vers Tor et tous deux se mettent à chanter "Sur le Pont d’Avignon", et la foule les accompagne sans se faire prier, tout en rigolant du choix de la chanson. Puis, continuant son petit discours, Einar demande si nous sommes rassasiés ou en voulons encore un peu. Rugissement d’approbation dans la salle. Cependant, taquin, il nous demande aussi si l’on souhaite qu’il continue à parler ou si l’on préfère qu’ils se remettent tous à jouer. « How do you say: shut the fuck up in french ? » (« Comment dites-vous : ferme ta gueule en français ? »). Vous vous doutez de la réponse. Espiègle, il nous demande de lui dire « Ta gueule ! » au compte à rebours. Hilare, c’est toute la salle qui se met alors à hurler « Ta gueule ! » au frontman. Epique, drôle et tellement improbable.

Le choix de clore la soirée se porte sur le final de "The Sky Is Red", non pas le morceau en entier et ses onze minutes, mais juste la partie instrumentale ultra intense de la fin. Et c’est un choix judicieux qui permet de porter la tension accumulée durant les deux concerts à son paroxysme. Bouquets de flamme et lumières rouge sang pour terminer en beauté une soirée absolument exceptionnelle et magistrale, tant par sa qualité et sa longueur que par son contenu et son intensité.
LEPROUS est arrivé à un moment charnière de sa carrière, prouvant ainsi qu’il est entré de plain-pied dans la cour des très grands. Une place hautement méritée, à force de travail acharné, gravissant les marches progressivement au fil d’albums de plus en plus qualitatifs, originaux et uniques, jusqu’à atteindre la première marche du podium des groupes de metal & rock progressif moderne actuels. Un son, un caractère, une personnalité, une marque reconnaissable entre mille. Souvent imité, mais jamais, au grand jamais, égalé !
Photos © Benjamin Delacoux - Portfolio
