Dimanche 22 juin 2014, 23 heures 10. Pour un peu, on considérerait que ce sont des habitués du Hellfest qui s’apprêtent à investir la Mainstage 1. Tony Iommi et Geezer Butler avaient déjà accompagné à Clisson le très regretté Ronnie James Dio, en 2009, pour un set d’HEAVEN AND HELL un peu court, mais resté dans bien des mémoires. Ozzy Osbourne, pour sa part, avait déjà clos les débats de la scène principale en 2011 et 2012 par des prestations… euh… des prestations, quoi. Ce qui change, cette fois, c’est que les peaux de timbre des grosses caisses de Tommy Clufetos, qui complète le line-up (et faisait déjà partie de l’aventure "Ozzy and Friends" en 2012), affichent enfin en lettres capitales deux mots révérés, adorés, vénérés, encensés, adulés, portés aux nues par tout fan de metal qui se respecte : BLACK SABBATH.
Certes, à cette même heure, bien des fans de metal, à l’image de votre serviteur, se trouvaient encore dans l’expectative quant à l’état de forme du fantasque Ozzy, probablement harassé par son dur labeur de l’après-midi : serrer la pogne aux quelques millionnaires (imagine-t-on…) qui avaient déboursé 650 euros pour croiser leur idole quelques instants et repartir de Clisson avec une photo dédicacée, plus un ou deux autres colifichets en or massif (espère-t-on…) siglés BLACK SABBATH. En revanche, contrairement aux rumeurs folles et malveillantes qui circulaient depuis l’annonce de l’organisation de ce "meet and greet" grand luxe, aucun fist-fucking n’a été à déplorer backstage, même s’il est parfaitement légitime de continuer à soupçonner le père Ozzy d’être un furieux adepte de ce genre de pratique (quelqu’un a-t-il compté combien de fois il a hurlé « Show me your fucking hands! », pendant le set ?).
Mais trêve de balivernes, voilà déjà les sirènes qui annoncent « War Pigs », la descente de toms liminaire de Tommy, les premiers power chords de Tony le survivant, les attaques initiales de Geezer… et – ô miracle – Ozzy semble relativement en voix. Son mythique « Generals gathered in their masses… » trouve en écho un «… just like witches at black masses! » surgi de quelques dizaines de milliers de poitrines gonflées à bloc pour la guerre, la messe noire. Et, mes cochons, c’est quand même sacrément bon ! Oubliées, pour l’instant, les vidéos pathétiques qui circulent sur la toile, tournées à l’O2 de Londres ou ailleurs, où Osbourne s’insulte lui-même, humilie ses camarades de jeu, outrage son public. Les vers succèdent aux vers, les couplets s’enchaînent, chantés quasi-juste ! Oh Lord yeah !
Malheureusement, dès le second morceau, « Into The Void », Ozzy est rattrapé par les démons qui habitent sa gorge. C’est faux : horriblement, douloureusement, terriblement, atrocement faux. Penser à autre chose : filtrer cette voix souffrante, se concentrer sur l’exécution parfaite d’Iommi, Butler et Clufetos, dont la tignasse et la barbe qui s’affolent derrière les fûts évoquent le Bill Ward des vieilles photos, profiter de cette dose de metal pur, surgie de la profondeur du temps – à l’échelle d’une petite vie de hardos de base.
Après la fin de ce premier calvaire, Ozzy annonce « Snowblind » et nous lance « I love you all! » – alors même que Tony Iommi déroule le riff le plus lourd, pénétrant et obsédant de l’histoire de l’humanité, qui semble porter en germe tous les riffs les plus lourds, pénétrants et obsédants composés depuis lors. « Oui Ozzy, moi aussi je t’aime : prends-moi tout entier, retourne-moi, fais de moi ta chose, ton objet, mais ne saccage pas ce moment, laisse-le seulement me conduire à l’épectase ! », serait-on tenté de lui répondre. Et là, nouveau miracle : l’immense magie opère, jusqu’à dans la voix d’Ozzy. Le petit hardos de base pourrait hurler son bonheur, fondre de joie ou simplement défaillir sous le déluge de volupté cyclique et intemporel de ce morceau, parmi les moins galvaudés de SABBATH. Aux quelques musiciens français, parfois célèbres, reconnus et très respectés, qu’on a vus, dans le sillage du Hellfest, étriller sur facebook les grands papys dont on parle ici : allez composer un tel chef d’œuvre, un seul, et donnez encore des orgasmes musicaux à votre public en le jouant dans 42 ans. Sinon : vos gueules, franchement.

Le reste du set fait écho à ces trois premiers morceaux, chacun des titres rejoignant l’une des catégories déjà dessinées : grands classiques plutôt maîtrisés (« Black Sabbath », « N.I.B », « Iron Man », qui déclencha quelques petits pogos, et « Paranoid » en guise de minuscule rappel, précédé par l’introduction particulièrement frustrante de « Sabbath Bloody Sabbath ») ; moments d’éternité absolue (« Children Of The Grave ») ; massacres désespérants imputables aux faillites de la voix d’Ozzy (à peu près tout le reste et surtout les morceaux de « 13 » qui semblent démotiver Osbourne complètement). A noter enfin : un très long – et pourtant très appréciable – solo de Tommy Clufetos, qui permet à nos augustes vieillards de reprendre leur souffle.
Globalement, en quittant Clisson, un petit hardos de base qui se trouvait là par chance considérait que le génie immémorial de BLACK SABBATH l’emportait largement sur la fatigue et le poids des années trahis uniquement par la voix d’Ozzy – et il se demandait si « Children Of The Grave » et singulièrement « Snowblind » n’étaient pas tout bêtement les deux meilleurs moments live de son existence entière. Pas mécontent d’être passé, donc.
