NERV. Ça s’écrit sans majuscule, normalement. Le groupe savoyard fête cette année ses dix ans de postcore math-metal underground. Il s’est injecté du sang nouveau, avec l’arrivée de Krys Denhez (MUR, OMRADE) au chant, avant d’autoproduire son premier LP, « Vergentis in Senium », sorti au tout début de 2015. Et donc voilà, à force d’être Charlie (ou pas, d’ailleurs), on peut passer à côté de trucs. Il n’est donc certainement pas trop tard pour se pencher sur ces "Verges en Sélénium" (c’est pas ça que ça veut dire, mais ça ressemble), minerai dense et rare, concentré de violence et de noirceur exutoires, dont s’extraient sept pépites, pour une longueur totale de 40 minutes.
Comme souvent, quand c’est de la bonne musique, on a envie de dire « on s’en fout un tout petit peu du genre », (Post Metal/Post Harcore/Mathcore, pour être précis), mais là il est fièrement revendiqué par le groupe sur sa page Facebook et puis au moins, ça évite le cliché : « catalogués Post Metal ou Post Hardcore ou Mathcore (rayez la mention inutile), les musiciens se défient de toute étiquette ». Reste que les sept morceaux proposés (tels sept pêchés capitaux, sept fils du septième fils, sept plaies d’Egypte, sept cavaliers de l’apocalypse, sept doigt de la main, vous me suivez ?) ne refilent pas leur part de rage aux chiens. Entre le mur de riffs de "Cathars", qui ouvre l’album, et les derniers râles de "Suffer", guère le temps de respirer et c’est tout un programme que dévoilent le nom des morceaux : "Tortures", "Captive", "Martyr" – avec également l’évocation de la vie de "Catherine Deshayes" et (Jérôme) "Savonarole", figures aussi riantes qu’insuffisamment célébrées mortes sur le bûcher, respectivement en 1680 et 1498.
Torturée, déstructurée, démembrée : autant d’adjectifs utiles pour qualifier la musique de NERV, souvent comparée à CONVERGE, NEUROSIS ou THE DILLINGER ESCAPE PLAN. Nos bûcherons des montagnes, Raph, David et Jeremy (guitare, basse, batterie) ont trouvé dans la voix de Krys un écho parfaitement approprié aux ambiances envoûtantes, oppressantes et mouvantes que leurs démons leur inspirent et qui peuvent aussi faire jaillir un sax à la "Lost Highway" (cette scène d’ouverture !) sur "Savonarole".
Bénéficiant d’une production soignée et équilibrée, l’album donne en effet à apprécier, de la part des musiciens, une virtuosité qui n’a jamais le temps de tourner à la démonstration, tant les enfers où nous sommes conviés sont profonds. Paradoxalement (ou pas, d’ailleurs), c’est avec le titre qui clôt l’album, "Suffer", que l’on retrouve une forme de calme, d’apaisement, de sérénité lugubre, dans des sons clairs, des arpèges simples, un espace musical éthéré où se perdent les hurlements infinis des damnés.
Et alors, « Vergentis in Senium », vous l’avez ? Difficile de trouver une traduction satisfaisante de cette locution latine. Ce qui est sûr, c’est que ce sont les premiers mots (et donc le titre) de la bulle du Pape Innocent III qui, en 1199, jeta les bases de l’Inquisition. Ah ben on saisit mieux, oui.