Il y a des signes qui ne trompent pas. Dans le cas de CULT OF LUNA l’annonce de leur unique concert français, programmé au Trianon à Paris, a suscité un véritable engouement puisqu’il affiche complet depuis plusieurs semaines. Un véritable tour de force pour un groupe de cette trempe pas vraiment réputé pour son accessibilité mais pas illogique pour autant lorsque l’on revient sur l’ensemble de son parcours. Peaufinant son metal sombre et tribal dans le sillage des grands frères de NEUROSIS avec des tonalités typiquement nordiques depuis maintenant presque vingt ans, le clan suédois a su sortir du simple exercice de style pour s’affirmer comme l’un des groupes les plus ambitieux en la matière. Chacun de ses albums témoigne d’une volonté de monter d’un cran toujours plus haut dans la tension, les atmosphères et émotions. Le résultat est là : le groupe n’a jamais sonné aussi juste et fort que sur « A Dawn To Fear », ce qui constitue un exploit au vu de la qualité de son précédent chef-d’oeuvre, « Vertikal », dont l’on ne se lasse toujours pas six ans après sa sortie.
« A Dawn To Fear » est donc à l’image de son titre : ténébreux. "Silent Man" débute d’ailleurs par un riff dissonant qui évoque la grisaille des vieux GODFLESH avant de lancer les hostilités dans un bruit diffus de larsens qui se mue progressivement en une vague de riffs inquiétants, masse rythmique aux allures de brusque mascaret. La basse est proéminente, la batterie monolithique et la voix d’écorché vif profère des incantations qui prennent aux tripes. Puis tout se brise, quelques notes planent au loin, comme pour mieux s'effacer avant de laisser la place à "Lay Your Head To Rest" qui navigue avec malice entre ambiances de fin du monde et embardées sauvages où les guitares hurlent leur détresse à qui veut bien l'entendre. Et c’est juste lorsque l’on pensait rendre les armes devant cette déclaration de guerre, qui laisse percer quelques nuances plus claires soutenues par un clavier solitaire, que "A Dawn To Fear" déboule. Ralentissement de tempo : la trêve est proclamée. Mais pas la paix car derrière cette habile montée en puissance, la tension est, elle,bel et bien présente comme en témoigne cette section rythmique nuancée par un subtil jeu sur les tempos.
"Nightwalkers" monte encore d’un ton dans les ténèbres : une vraie descente en eaux troubles qui distille un paysage sonore brumeux, inquiétant, tout en dégageant en toile de fond une véritable mélancolie, une sensibilité à fleur de peau. Cette sensibilité qui rend aussi "Lights on the Hill" émouvant. Le plus long morceau de l’album est peut-être aussi le plus beau, un triomphe subtil et maîtrisé, tout en nuances. Touchant aussi, "We Feel The End" et ses riffs en échos lointains qui en font un interlude idéal avant d’attaquer "Inland Rain". L'assaut (presque) final, le déluge annoncé mais une nouvelle fois retardé puisque les ambiances solennelles reprennent le dessus. Comme pour mieux introduire "The Fall", cette chute qui n’en finit pas où curieusement, la noirceur se voile pour laisser place à quelques rayons de lumière bienvenus. Une chute qui laisse entrevoir, à sa manière, la fin d’un voyage de près de quatre-vingt minutes dans un ailleurs dont l’on ne sait que bien peu de choses. Rien peut-être.
C’est cela « A Dawn To fear », une histoire de sensations, d’émotions, de vie. Une histoire richement illustrée par le guitariste Erik Olofsson et produite de main de maître par Magnus Lindberg, l’autre guitariste du groupe. C’est également un album sans la moindre concession, qui fascine autant qu’il envoûte. Mais ce qui interpelle au bout du compte et au fil des écoutes, c’est l’incroyable homogénéité qu’il distille de la première à la dernière seconde. Peu de formations peuvent se targuer d’une telle cohérence dans leur propos : chaque note est ici méticuleusement placée, chaque structure parfaitement réfléchie, s’imbriquant dans la suivante pour former un tout logique et implacable. Implacable, voilà d'ailleurs l’adjectif qui colle le mieux pour décrire l’expérience que propose ici CULT OF LUNA. Un adjectif auquel les mots "album de l'année" sont adossés ici comme une évidence. Forcément.