22 septembre 2020, 19:00

LETTRE A SHARON...

• ...Un Blizzard de reproches !


Ma chère Sharon,

Je me permets cette brève accroche familière : en effet, nous nous sommes déjà rencontrés et entretenu lors de l’aftershow du concert privé de ton mari à la Roundhouse de Camden en juillet 2010 : tu m’avais donné ta carte de visite et j’avais même osé faire le baise-main à ta délicieuse fille Kelly. 

Ahem.

Je me permets d’autant plus cette entrée en matière cavalière que je fais partie des quelques milliers de crétins collectionneurs qui ont largement dû contribuer à alimenter ton shopping du week-end sur Rodeo Drive avec tes copines et tes chihuahuas – je ne pense pas que tu sois ric-rac et comme nous adepte du Black Friday, encore moins du Black Shabbat.

Alors voilà l’objet de ma missive, de mon courroux, de ma protestation : c’est quoi ce bordel Sharoooon ? Comment peux-tu dignement fêter le 40ème anniversaire du « Blizzard Of Ozz » de ton époux sans RIEN nous offrir en ce 20 septembre 2020 que nous célébrons tous ? Enfin offrir – "vendre" veux-je bien-sûr insinuer. D’autant que tu le sais bien : tu manies le business d’une poigne de fer encore plus ferme et dangereuse que celle de ton adorable papa (de qui Peter Grant avait appris toutes ses méthodes mafieuses d’intimidation, voire de chaos), et souvent dans ton école, a-t-on appris à bien faire juter le citron de tes clients – encore plus prolifiques lorsqu’ils sont morts, d’ailleurs. Là, je ne comprends pas : alors que METALLICA cartonne avec ses coffrets de quatre kilos la pièce en offrant pour moins de 200 boules à ses fans l’équivalent de toutes les archives possibles d’une période donnée, là tu nous la joues veuve noire pingre, sur le modèle du non-événement « Back In Black » au début de l’été. Parce que rien de neuf non plus du côté d’AC/DC, un communiqué, trois-quatre podcasts et cent couvertures de magazine monochromes, mais aucune réédition, aucune box-set, pas UN bonus, pas un live cadeau – comme si le clan Young n’avait enregistré aucun des 144 concerts de la première tournée avec Brian Johnson entre 1980 et 1981 – ou même pas une seul répèt, outtake, démo ou que sais-je. C’est vrai qu’avec 25 millions d’albums déjà vendus rien qu’aux US, qui avait besoin d’une nouvelle copie de «Back In Black» ?

Bref.

Mais toi Sharon, cupide comme tu es, pourquoi ne pas avoir marqué le coup pour profiter de l’appétit vorace des fans et des seules six millions de copies écoulées de l’album – et ce autrement qu’avec un vidéo-clip animé réalisé en un week-end au critérium par une classe de maternelle ? C’est donc ce que mérite un morceau comme "Crazy Train" ? 

OK, c’est vrai, pour les trente ans de l’album, couplé avec le même anniversaire de « Diary Of A Madman », vous nous aviez offert un bel objet : un gros coffret épais, avec vinyles, live inédit de 1981 (une alternative digne du « Tribute » de 1987), un inédit (qui n’était autre qu’une face B de 45-tours jadis), ainsi qu’un DVD gorgé de vidéos bootlegs avec Randy Rhoads, enfin officialisées, le tout dans un écrin façon velours avec un splendide coffee table book gorgé de photos d’époque et d’une croix en acier doré, réplique de celle que porte notre homme autour du cou. Bref, un VRAI coffret de malade : même si le fan collectionneur avait tout (quel flambeur celui-là), eh bien c’était beau à voir et à avoir.

Septembre 2020, dix ans plus tard, on peut donc s’assoir sur un truc repensé, chiadé, complémentaire – même pas le maxi-45 tours picture-disc de "Mr. Crowley" avec l’inédit joué en répète "You Said It All", jamais édité en CD, qui aurait pu faire un chouette truc pour un Record Store Day de hipsters cette année. Alors, selon l’email promo envoyé par Legacy Recordings, la branche rééditions de Sony Music, avec quoi allions-nous pouvoir nous régaler pour ce quarantième anniversaire ? Eh bien, outre ce dessin animé pourri, nous avons droit à une interview d’Ozzy en direct sur la chaine radio numérique payante SiriusXM, le documentaire "30 Years After The Blizzard" qui était déjà au menu du DVD d’il y a dix ans mais cette fois disponible sur Youtube (you-hooouuu !), une listening-party avec Ozzy sur Twitter (mais qu’est-ce que c’est que cette merde ?) et enfin, attention, spoiler, une vraie réédition en vrai en dur et qui tourne de « Blizzard Of Ozz » en vinyle rouge – mais à paraître dans un mois. Oh, et ce n’est pas fini, « Blizzard Of Ozz » est enfin aussi disponible en digital, avec sept extraits en concert du même « Ozzy Live » disponible dans la box de 2010 – et aussi sur un vinyle exclusif vendu seul. 

Non, c’est ballot, en guise de cadeau bonus pour les 40 ans de « Blizzard Of Ozz », et quand même en avant-première d’une journée, on a eu droit à la mort de son batteur Lee Kerslake, que l’on a laissé crever tout seul avec son cancer et son désoeuvrement, après au moins quinze ans de bataille judiciaire avec le clan Osbourne pour qu’il puisse espérer récupérer des droits d’auteur. Epuisé par le double combat, il avait fini par lâcher l’affaire, et s’était vu envoyer par UPS sa première série de disques d’or et de platine des deux albums sur lesquels il avait joué, « Blizzard Of Ozz » et « Diary Of A Madman ». Sympa Sharon : c’est vrai qu’en terme de cancer, t’étais plutôt solidaire, vu que tu t’es laissée filmer une saison entière des Osbournes sur ton lit entre deux chimios.



Et ce n’est pas tout, Sharon. 

Vu que tu es aussi executive producer de tout ce qui touche aux rééditions de BLACK SABBATH, et que tu co-manages plus ou moins le groupe avec ceux qui représentent Tony Iommi maintenant que tous vos procès respectifs sont eux aussi réglés, pourquoi avoir fait des 50 ans de « Paranoid » un tel non-événement aussi ? Bon, OK, c’est l’année noire du COVID, il n’y plus de sous dans les caisses et la troisième reprogrammation de la tournée "No More Tours 2" (!!!) d’Ozzy va encore être annulée (c’est dans un mois, hein...), les temps sont durs. Pourtant, même n’importe quel groupe underground de Newcastle ressort ses archives de l’époque NWOBHM : les rééditions, y a que ça qui marche on te dit !

Alors, oui, tu avais fait un bel effort avec le coffret « 30h Anniversary Collector’s Edition Box Set » en 2010, ainsi qu’un truc vraiment chouette avec « Memoirs Of A Madman » en 2014 avec cette intégrale des clips en solo (mais les stagiaires avaient cependant oublié d’inclure "Shot In The Dark", je me permets de le souligner), doublée de ce second DVD d’archives live/TV/bootlegs de 81 à 2001... Mais ce n’est pas suffisant.

Parce que rayon SABBATH, tu nous l’as aussi mis profond : oui, les rééditions du back catalogue chez Universal Music en 2009 était super réussies, avec pour les trois premiers opus un deuxième, voire un troisième CD d’inédits, outtakes donc, et autres versions instrumentales. Parce qu’après, entre Universal qui a repris l’exploitation de tous les labels qui géraient jadis SABBATH en Europe (Vertigo, Nems, Castle Communication, Sanctuary et j’en passe), et Warner qui avait l’exclusivité pour les US, eh bien des coffrets, des rééditions, des tours de passe-passe, il y en a eu des dizaines et des dizaines, la plus belle étant « The Ten Year War » en 2017 chez BMG – qui n’était que l'énième réédition des huit albums de SABBATH avec Ozzy, agrémenté d’un livre classieux, de reproductions de tour-books et de 45-tours. 

Deuxième coup de gueule donc : pour les 50 ans de « Paranoid », sorti le jour même où Jimi Hendrix est mort (18 septembre 1970 pour les historiens-matheux), BMG, conjointement avec Sharon, n’a pas d’autre idée que de ressortir en version vinyle le coffret « Paranoid » paru dans l’indifférence totale en 2016 en format CD uniquement, mais alors dans une jolie box épaisse, format 10x15. Un gros livret richement illustré, une mini-repro du programme de la tournée « Paranoid », un poster, l’album remastérisé, l’album en version quadriphonie (comme sur le digipack d'Universal donc), mais surtout le concert de Bruxelles en octobre 1970 (et qui n’a donc JAMAIS été enregistré à l’Olympia en décembre comme on peut le lire PARTOUT, mais bien dans le théâtre 140 de la capitale belge, capté alors par la RTBF), ainsi qu’un concert à Montreux en août de la même année (et qui n’a donc pas brulé non plus avec un tir de fusée de détresse – merde, je mélange tout…). Voilà, c’était donc acquis en 2016 en import, production Rhino/Warner et ça avait de la gueule pour commémorer au milieu de nulle part les 46 ans d’un des albums les plus magistraux de l’histoire du rock. En 2020, on a donc droit à la même chose, au même contenu, mais format XL en vinyle, avec rien, strictement rien de neuf ni de plus pour satisfaire les fans exigeants – et pour que les plus pointus puissent enfin se dire « ah ben voilà, on ne nous a pas pris pour des cons cette fois ».   

Ça, cette douce pensée, je la laisse aux hypothétiques fans d’IRON MAIDEN qui pourront un jour se l’entendre dire aussi, après en avoir eu ras-le-bol de racheter pour la seizième fois les mêmes rééditions, tour à tour en CD puis en 33 tours (et parfois en alternance), de cette sempiternelle même discographie à jamais surexploitée, sans jamais se délester d’un petit live bonus proprement nettoyé. 

Voilà Sharon, c’est tout pour aujourd’hui ; je t’embrasse bien fort sur tes petites joues qui feraient passer celles d’une cougar ukrainienne pour de vieilles poires flétries. Je t’embrasse, mais je reste quand même fâché. N’oublie pas que j’ai ton numéro, sur la carte que tu m’as laissée il y a dix ans, et un soir bourré, je pourrais bien t’y laisser des flots d’insultes. Parce que j’ai beau avoir amassé plus de 800 pièces de collection sur ton mari, je me dis que pour marquer le coup, offrir (pardon, proposer) quelque chose de neuf à ses fans serait un beau geste. 

Et en éternel candide, j’attends la réédition de « Bark At The Moon » pour ses quarante ans en novembre 2023 – peut-être auras-tu entendu mon message d’ici là. 

Allez, on se claquera la bise à l’avant-première de votre biopic sur lequel tu dois bosser comme une folle : on en déjà aperçu le teaser avec le clip de "Under The Graveyard". 

Bisous, et, tiens, "Goodbye To Romance".

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
Ses autres publications
Cookies et autres traceurs

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l’utilisation de Cookies ou autres traceurs pour mémoriser vos recherches ou pour réaliser des statistiques de visites.
En savoir plus sur les cookies : mentions légales

OK