27 mars 2021, 10:32

SMITH/KOTZEN

Interview Adrian Smith

C’est sûrement la collaboration qui marquera l’année 2021, Smith/Kotzen, l’union de deux monstres sacrés du heavy metal et du hard rock pour un album à quatre mains qui fait la part belle aux inspirations heavy rock et blues. Si on connait bien évidemment Adrian Smith pour son poste au sein d’IRON MAIDEN, cet album lui permet de renouer avec son rôle cumulé de guitariste et chanteur comme à ses débuts avec URCHIN à la fin des années 70 ou plus tard dans A.S.A.P.. Les neuf titres témoignent du respect mutuel que se portent les deux artistes, mais surtout du plaisir de jouer ensemble, une alchimie qu’ils ne pouvaient pas laisser dans un coin. Résultat, du power rock teinté de blues, comme un hommage au genre et aux grands noms qui ont œuvrés avant eux. Adrian nous raconte la genèse du projet, son parcours, ses influences et son amitié avec Richie Kotzen, un surdoué à la discographie longue comme le bras et qu’on a pu voir au sein de THE WINERY DOGS, MR BIG et POISON.


Comment est venue cette idée d'enregistrer un album avec Richie Kotzen.
Bonne question : qui est fautif dans cette histoire (rires) ? En fait, j’ai acheté une maison ici à Los Angeles il y a quelques années maintenant, car j’ai de la famille dans le coin. Avec ma femme, on passe pas mal de temps ici et il y a aussi beaucoup de musiciens qui habitent là. Avec le temps, on finit par se connaître les uns les autres. J’ai rencontré Richie il y a sept ou huit ans. Nous avons fait quelques jam sessions ensemble ; on s’amusait à reprendre du BAD COMPANY, du FREE et du HUMBLE PIE. Un jour, ma femme nous a suggéré d’écrire des chansons ensemble et c’est comme ça que tout à commencé. Ça faisait au moins quinze ans que je souhaitais enregistrer un album de hard rock blues et ça a été l’opportunité que j’attendais, car Richie est un expert en la matière.

Il fallait aussi avoir le temps de le faire, ce qui doit être délicat avec l’agenda d’IRON MAIDEN ?
Tu sais, quand je suis revenu dans IRON MAIDEN en 2000, on faisait des tournées mondiales, on passait sept, huit, neuf mois sur la route, puis je rentrais pour me reposer un mois ou deux, mais j’aime rester occupé. J’aime jouer de la guitare. Alors, je réunissais quelques potes et on jouait quelques standards de blues : tout le monde connait Albert King ou B.B. King. Quand tu joues ces morceaux-là, tu les attaques directement. Tu n’as pas besoin de les répéter. Donc reprendre ces titres me permettait de garder la forme. J’ai commencé à écouter plus d’artistes dans le genre, principalement Gary Moore puis Joe Bonamassa. J’ai grandi en écoutant FREE, BAD COMPANY et HUMBLE PIE. J’adore Steve Marriott, c’est l’une de mes idoles. Et puis, j’écoutais aussi THIN LIZZY, DEEP PURPLE, tous ces grands classiques du rock et j’aime toujours autant ça aujourd’hui. Ca fait partie de moi, j’ai grandi avec, c’est une musique qui coule dans mes veines, ce sont mes racines. Faire un album dans cette même direction a été une chose assez naturelle pour moi.

Néanmoins, il n’a jamais été question pour toi de faire un album de reprises. Il fallait que ce soit un album original, non ?
J’aime beaucoup tous ces grands noms du blues rock : Eric Clapton et CREAM, Gary Moore, Peter Green et je voulais faire que ce soit dans cet esprit hard rock blues. C’est le genre de musique intemporelle que j’aime. J’aime l’écouter, j’aime la jouer et j’ai senti le besoin de produire de nouvelles chansons pour apporter en quelque sorte ma pierre à l'édifice dans ce style, rendre hommage à cette musique. Beaucoup de gens écoutent encore cette musique. C’est juste qu’elle ne passe pas à la radio aux heures de grande écoute, mais il y a beaucoup d’amoureux de cette musique. C’est une scène très vivante encore aujourd’hui.
 

"Je ne suis pas du genre à me plaindre : je suis combatif, car il faut se bouger et se dépasser pour obtenir les meilleurs résultats"
 


Est-ce que la pandémie de Covid, arrêtant toutes sortes de concerts, a été le déclencheur de l'enregistrement de cet album ?
En fait, nous avons commencé à enregistrer l’album au début de l’année 2019, avant la pandémie. Nous avons composé, mais vu que nous avions tous les deux des agendas très chargés, on a dû arrêter en cours de route, pendant pratiquement un an. Puis, on a repris début 2020, là où nous nous étions arrêtés, pour enfin achever l’enregistrement. Ce n’est donc pas un album que j’ai fait pour m'occuper, parce que je m’ennuyais, mais parce qu’il avait réellement de l'importance pour moi. La seule difficulté concernait les concerts, en dehors du fait que la pandémie a tout arrêté alors qu'on pensait faire des dates ensemble, jouer les titres en live, au mois de mars autour de la sortie de l'album. On croit fortement en cet album. Nous en sommes très fiers et cela aurait été vraiment sympa de pouvoir interpréter les morceaux sur scène, mais bien évidemment, la pandémie a tout stoppé. Nous avons malgré tout décidé de maintenir la date de sortie de l’album. Je dois te dire que la musique a été très importante pour moi durant cette crise : j’ai beaucoup composé, beaucoup joué, beaucoup chanté et cela m’a fait énormément de bien de me focaliser là-dessus. Je pense qu'il en a été de même pour beaucoup d’autres musiciens.
 


Tes chansons parlent beaucoup de la vie qui passe et des expériences que nous vivons, bonnes ou mauvaises. Si tu devais faire un premier bilan sur ta carrière et sur ta vie, quel serait-il ? Souhaiterais-tu changer quelque chose ?
Je ne sais pas trop… Je pense que j’ai plutôt été chanceux pour être honnête. J’ai eu des hauts et des bas au fil du temps évidemment mais bon, j’ai rejoint IRON MAIDEN quand j’avais 23 ans et j’ai passé les dix années suivantes à faire des tournées exténuantes, je suis parti et revenu et là aussi j’ai eu beaucoup de chance de pouvoir revenir et j’apprécie bien mieux maintenant d’en faire partie. J’étais un gamin quand j’ai  intégré le groupe et si je devais avoir des regrets durant la première période où j’étais dans le groupe j’ai finalement pu la revivre en quelque sorte quand je les ai rejoins à nouveau en 2000. Donc, tu vois, j’ai été chanceux de pouvoir vivre deux fois cette expérience. Je ne suis pas du genre à me plaindre : je suis combatif, car il faut se bouger et se dépasser pour obtenir les meilleurs résultats. Je n’ai donc pas vraiment de regret. Les choses sont ce qu'elles devaient être, tu vois ?
 


Chanter sur cet album te permet de te faire plaisir, de t’exprimer davantage par rapport à ton rôle habituel de guitariste. Cela t’a sûrement rappelé tes premières années avec UNCHIN.
Est-ce que ce retour au chant s’est fait tout naturellement ou as-tu été confronté à des moments où tu t’es dit : "c'est tout de même plus facile de jouer de la guitare que de chanter".

(rires) Ouai ça m’est arrivé parfois. Pour la petite histoire Dave Murray (guitariste et fondateur d’IRON MAIDEN avec Steve Harris NdJ) et moi, nous nous connaissons depuis l'âge de quinze ans. Il jouait déjà de la guitare depuis un moment et on vivait dans le même quartier. Alors, avec d’autres gamins, on écoutait des groupes comme BLACK SABBATH et DEEP PURPLE et je me disais que si je voulais faire partie d’un groupe, je voudrais être un chanteur. Alors, j’ai commencé à chanter et j’avais plutôt une bonne voix. Dave et moi avons grandi ensemble et j’ai appris à jouer de la guitare pour jouer avec lui. Pendant les cinq premières années de ma carrière, c’est ce que j’ai fait : chanter et jouer de la guitare dans un groupe. Mais ensuite, lorsque j’ai rejoint IRON MAIDEN, j’ai dû mettre mes compétences de chanteur de côté et me concentrer sur mon jeu de guitare. Pouvoir chanter à nouveau aujourd’hui alors que ça fait… on va dire un sacré bout de temps, ça me fait réellement plaisir. Mais face à Richie, qui est un excellent chanteur, il a fallu que je travaille dur pour retrouver un bon niveau. On possède la même gamme vocale, lui et moi, alors ça se marie bien : on partage nos idées de lignes de chant. J’aime chanter, ça fait aussi partie de moi et comme je te le disais, l’une de mes idoles est Steve Marriott d’HUMBLE PIE et si je pouvais avoir ne serait-ce que 10% de son talent vocal je serais le plus heureux des hommes... mais bon, ce n’est pas le cas (rires). En tout cas, il m’a été d’une très grande inspiration, car c'était un excellent guitariste et un excellent chanteur en même temps. Mais c’est dur tu sais de faire les deux et une fois que tu te mets vraiment dans ton rôle de chanteur, tu réalises que si tu laisses la guitare de côté ça devient bien plus facile. Quand tu joues de la guitare et que tu chantes en même temps, ça te limite dans tes capacités. Mais j’ai vraiment apprécié faire les deux. Et pour répondre à ta question initiale : oui, c’est plus facile de jouer de la guitare (rires).

Sur le clip de «Taking My Chances», on peut te voir marcher près de la Batterseau Power Station, surtout connue pour avoir été utilisée pour la pochette de l'album « Animals » de PINK FLOYD. J'imagine que ce n'est pas un hasard, car tu es un fan notoire du groupe.
L’idée principale pour la vidéo, c’était de filmer des lieux mythiques de Londres. Richie, lui, était à Los Angeles. Moi, à Londres, sans possibilité de voyager, donc on ne pouvait pas tourner la vidéo ensemble. On a filmé différents endroits de la capitale et aussi le long de la Tamise juste en face de Batterseau Power Station. J’avais déjà tournée une vidéo à l’intérieur-même du bâtiment, quand je faisais partie du groupe de Bruce Dickinson en solo. On avait tourné l’un de ses clips là-bas. Je crois qu’ils sont en train de transformer ça en appartements de luxe maintenant, comme à peu près tous les travaux immobiliers à Londres aujourd’hui. Ouais, je suis un grand fan de PINK FLOYD. Ils ont réalisé des musiques incroyables et j’adore David Gilmour, j’adore son jeu, sa manière de construire ses solos, sa façon de chanter. Je suis un grand fan, oui.
 

"J’ai croisé beaucoup de musiciens depuis des années et parfois tu t’assoies avec l’un d’entre eux dans une pièce et tu essaies de jouer un truc (...) avec Richie ça a été comme électrique"


Remontons le temps. Te souviens-tu quand tu as réalisé que tu voulais devenir musicien ?
Oui ! Quand j’étais gosse les BEATLES sont apparu, je devais avoir huit ou neuf ans et j’avais une petite guitare en plastique et une perruque des BEATLES. Je sautais partout dans la maison me prenant pour l’un d’eux, comme beaucoup de gamins faisaient à l’époque. Mais quand j’ai eu quinze ans, j’ai découvert DEEP PURPLE et ça a tout déclenché. J’ai entendu “Highway Star” et je n’en revenais pas. C’est ma grande sœur qui avait l’album. En fait, elle sortait avec un gars qui jouait dans un groupe et l’album était à lui, mais ils ont rompu et il a laissé l’album chez nous. Je suis alors rentré dans la chambre de ma sœur et je l’ai mis sur sa chaine stéréo. Ça a littéralement changé ma vie.

Si tu avais, dans le passé, pu jouer avec un artiste que tu admires, quel aurait été la collaboration de tes rêves ?
Waouh… Alors là, comme ça, je dirais Steve Marriott ou Phil Lynott (THIN LIZZY). Forcément, ça va être dur de réaliser ce rêve... Je suis parti en tournée une fois avec Steve Marriott. C'était en 1980 aux Etats-Unis quand on avait fait la première partie d’HUMBLE PIE pour notre première tournée outre-Atlantique avec IRON MAIDEN. Je le voyais jouer tous les soirs, mais je n’ai pas eu l’occasion de pouvoir partager la scène avec lui. C’est tellement frustrant quand j’y repense...

En parlant de guitare, tu joues principalement sur ta Jackson signature, mais tu aimes aussi jouer sur Gibson Les Paul. Tu as utilisé les deux pour cet album, mais en as-tu essayé d’autres ?
Pour cet album, je n’en ai pas utilisé beaucoup. J’en ai à peu près cinquante dans un entrepôt en Angleterre, mais je ne les avais pas avec moi. Tout ce que j’avais, c’était une LesPaul Standard et ma Jackson signature que j’utilise sur tout l’album, car elle est très simple, directe dans l’ampli pour ainsi dire et avec elle, je peux avoir n’importe quel son souhaité. Elle peut sonner heavy, ses micros double bobinage donnent un son net et droit, c’est une guitare vraiment polyvalente ; tandis qu'avec la Les Paul, tu as le son classique Gibson. Quand tu as un son en tête, c’est souvent le son d’une Les Paul. Donc, en effet, je n’ai utilisé que ces deux guitares pour tout l’album.

Micros simple bobinage pour Kotzen l'Américain et des Humbckers pour toi l'Anglais. Le choix était évident lors de l'enregistrement pour définir clairement votre son respectivement ? Pour être sûr que lorsque vous ne chantez pas tous les deux, nous pouvons reconnaître le son et le style de la guitare de chacun ?
Oui, c'est exact. Même s’il y a eu quelques échanges parfois. J’aime bien aussi le son des micros simple bobinage dans certaines situations. Quand j’étais jeune, je n’aimais pas du tout. Je me demandais comment on pouvait avoir un son correct avec ça. Le son te paraît petit, trop fluet, c’est juste horrible… et puis en vieillissant et en améliorant ton jeu, tu découvres qu’il y a des astuces pour faire sonner une Fender. Mais c’est vrai que Richie est plus identifiable avec sa sonorité très Fender justement. Il n’utilise pas beaucoup de gain, il aime garder un son clean et il a une technique assez inhabituelle. Sur la majeure partie du disque, tu sais clairement qui joue. Lorsque tu entends cent notes à la seconde, c’est forcément lui. Moi, je suis plus dans la mélodie.

Sans compter le fait que Richie joue aux doigts et que toi, tu utilises un médiator. Ça aussi, ça joue sur le son.
Oui ! Richie pince les cordes, un peu comme… je ne sais pas… c’est une technique très personnelle, il a son jeu bien a lui, il n’utilise pas de médiator, il a ce son de cordes pincées.

Qu'est-ce que tu apprécies le plus chez Richie en tant que musicien ?
Je pense que c’est la combinaison de nos deux jeux et il a une très belle tessiture vocale. Je proposais une chanson, je chantais le premier couplet de "Running" ou "Scars" et Richie poursuivait, car il s’adapte sans problème. Il possède une voix incroyable et c’est pareil pour son jeu de guitare. C’est comme si on avait une toile blanche devant nous et qu’on devait peindre à deux. Nos deux styles de jeux et de chant nous ont permis d’avoir une étendue très large de possibilités. J’ai croisé beaucoup de musiciens depuis des années et parfois tu t’assoies avec l’un d’entre eux dans une pièce et tu essaies de jouer un truc ensemble, mais l’alchimie n’est pas forcément là même si le mec est talentueux. Parfois, ça ne le fait tout simplement pas, mais avec Richie ça a été comme électrique. On n’arrêtait pas de se renvoyer la balle : c’était un échange continu pendant une heure et ce n’est pas le genre de combinaison que tu rencontres tous les jours •


​A retrouver sur le site : interview Richie Kotzen par Aude Paquot.
 

Blogger : Benjamin Delacoux
Au sujet de l'auteur
Benjamin Delacoux
Guitariste/chanteur depuis 1991, passionné de musique, entré dans les médias à partir de 2013, grand amateur de metal en tous genres, Benjamin Delacoux a rejoint l'équipe de HARD FORCE après avoir été l'invité du programme "meet & greet" avec UGLY KID JOE dans MetalXS. Depuis, il est sur tous les fronts, dans les pits photo avec ses boîtiers, en face à face en interview avec les musiciens, et à l'antenne de Heavy1, dont l'émission MYBAND consacrée aux groupes indépendants et autoproduits.
Ses autres publications

1 commentaire

User
Jérôme Sérignac
le 27 mars 2021 à 17:31
Ex-cell-ente interview ! J'adore le fait d'avoir remarqué la Batterseau Power Station dans le clip de "Taking My Chances" et la petite virée dans le domaine technique de leur matériel respectif. :)
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