16 juin 2021, 17:38

RED FANG

"Arrows"

Album : Arrows

Attendions-nous réellement impatiemment un nouvel album de RED FANG auparavant ?
Non.
Désormais si. 

En une douzaine d’années et cinq albums, le si sympathique combo graisseux chemise-à-carreaux-de-bûcherons de l’Oregon (et antidote atomique aux hipsters qui s’en approprieraient les mêmes codes apparents) a aujourd’hui dépassé le stade de la révélation dénichée dans le cosmos stoner par une poignée de happy fews vraiment heureux de se garder le meilleur secret caché du genre depuis les QUEENS OF THE STONE AGE... en 1998. 

Le quatuor barbu nous ayant aussi habitué à des artworks de dingues (cet album « Whales And Leeches » façon hologramme en 2013 !!!), quelle ne fut pas notre surprise de découvrir cette pochette énigmatique, fluo et post-Kozik qui, derrière une telle audace graphique néo-punk, confirme qu’il fallait s’y attendre : RED FANG n’en ferait qu’à sa tête. 

Rigolos de service coupables de clips hilarants qui redéfinissent l’esprit candide et what the fuck de Jackass (entre autres "Wires" il y a déjà dix ans !), on ne percevait de ces grands attardés middle-aged qu’une copie plus vulgaire, brute et simpliste de MASTODON – la dimension prog forcément en moins, soit une redéfinition in-your-face et abordable d’un sludge dont on aurait misé que sur la concision, la densité et l’efficacité de refrains très aisément assimilables – ou à une version moins belliqueuse de HIGH ON FIRE. 

En guise de "drôle" d’intro pour le coup aux antipodes du coup de maître directement dans la poche, "Take It Back" traine quelques mesures de basse désaccordée à faire passer les solos de Gene Simmons pré-"God Of Thunder" pour de la virtuosité à la RUSH, sur lesquelles se hérissent quelques vagues sons électriques et de lointains beuglements revanchards. Et au terme de ces quelques 120 secondes menaçantes (peut-être pas à tant prendre au sérieux finalement...), j’ai envie de dire : et qui dit KISS, dit les MELVINS. Si l’association n’est pas évidente pur certains, elle l’est néanmoins pour les connaisseurs de l’ADN du trio de Buzz Osborne : car c’est bien du MELVINS tout craché tout dégobillé qui se dresse derrière le premier véritable morceau "Unreal Estate". Des MELVINS bien underground de la charnière des années 90, sans filtre, sans applicateur, et dans toute leur glorieuse rusticité – et un dépouillement bien méchamment heavy. 

Vient ensuite le morceau-titre "Arrows", déjà bien connu des fans purs et durs qui l’ont découvert en avant-première lors des derniers concerts du groupe : aucun doute a-t-on affaire ici à un monumental nouveau tube, dans la trempe d’un "Blood Like Cream" au refrain qui tue, à faire spontanément gueuler les plus réfractaires jusqu’au dernier rang d’un stadium. Et par dessus le power-sludge metal pop de ce "Arrows" miraculeux se glisse déjà des arrangements inattendus comme ils savent en pourvoir – ici un jeu de cordes discrètement orchestré, et que l’on retrouvera ailleurs. Mais ce que l’on retient le plus de ce cinquième opus, c’est le parti pris d’une production autrement plus rêche et sourde, plus brute ou quasiment lo-fi – même si le tout est maitrisé dans un mix qui rend le tout évidemment fort et vigoureux – mais peut-être encore trop boueux. Un parti pris donc qui semblerait à la fois tendre vers une facette plus sombre et tourmentée, et à la fois horrifier les nouveaux arrivés, restes de hipsters donc, et de trentenaires branchés – genre nouvel auto-Sabotage ? Mais si l’approche sonore semble indiscutablement s’aligner sur une certaine rusticité et un ton moins joyeux, la vidéo de "Arrows" saura gommer les doutes : dans un nouveau délire DIY, il sert de suite directe au délire destruction clip de "Wires" en mode sabre de Samuraï. 

S’entremêlent ensuite des morceaux plus ou moins intéressants ou obscurs ("Rabbits In Hives", "My Disaster" sensiblement plus punk), pas forcément apprivoisables immédiatement, et qui selon les sensibilités s’avèreront plutôt classiques ou anodins. "Anodyne" ne l’est pourtant pas : son refrain fait donc appel à cet art primitif qu’expriment ces rednecks du pays de la weed pour fomenter des chorus imparables, alors que le morceau s’appuie sur des structures plus nébuleuses : c’est lorsqu’il survient, à chaque coup, et plus martelé encore dans une dernière partie über-heavy, qu’il est des plus redoutables. 

L’intermède "Interpop-Mod" introduit la face B dans un torrent de Fuzz en ébullition, ou façon geyser de lave acidulée. Miam. Car la sacro-sainte Fuzz est bien ici au centre de tous les sons, idéalement cradingue et vintage. Et heavy, encore et toujours : "Days Collide" s’offre explicitement une petite leçon de doom (réitérée quelque part sur l’apocalyptique "Dr. Owl", particulièrement tempétueuse), tandis que "Fonzi Scheme" (!) fait partie de ces autres nouvelles pépites, entre cette même lourdeur accentuée, refrains harmonieux (encore une fois proche de MASTODON), et la richesse de ces arrangements à cordes, qui se glissent tout aussi esthétiquement au final. "Why" est l’autre merveille de l’album, pendant face B du fameux "Arrows" avec cette fois une portée épique qui emprunte aux grande heures du heavy-metal, et qui les installerait ici du côté du "Gods Of The Earth" des texans de THE SWORD. Un grand titre qui aurait peut-être mérité d’être un peu plus étiré pour parachever son envergure – au moins bénéficie-t-il d’un nouveau court-métrage absolument jouissif et imaginatif.

Après un "Funeral Coach" qui achève « Arrows » avec un dernier énervement encore bien pétri du sludge rock des MELVINS, nul doute que ce cinquième album viendra diviser les nombreux fans prétendument acquis d’un groupe qui a encore à démontrer toute l’étendue de son talent – et à accoucher d’un chef d’oeuvre. Alors qu’encore une fois, leurs immanquables prestations lives et surtout leurs clips délirants offrent un univers rafraîchissant bien loin des poncifs, RED FANG n’étant au fond qu’un groupe de potes bien terre à terre, miraculeusement réunis par un sens de l’humour contagieux et par une propension si naturelle à pouvoir faire fredonner du sludge, voire à le faire chanter à gorge déployée.

Blogger : Jean-Charles Desgroux
Au sujet de l'auteur
Jean-Charles Desgroux
Jean-Charles Desgroux est né en 1975 et a découvert le hard rock début 1989 : son destin a alors pris une tangente radicale. Méprisant le monde adulte depuis, il conserve précieusement son enthousiasme et sa passion en restant un fan, et surtout en en faisant son vrai métier : en 2002, il intègre la rédaction de Rock Sound, devient pigiste, et ne s’arrêtera plus jamais. X-Rock, Rock One, Crossroads, Plugged, Myrock, Rolling Stone ou encore Rock&Folk recueillent tous les mois ses chroniques, interviews ou reportages. Mais la presse ne suffit pas : il publie la seule biographie française consacrée à Ozzy Osbourne en 2007, enchaîne ensuite celles sur Alice Cooper, Iggy Pop, et dresse de copieuses anthologies sur le Hair Metal et le Stoner aux éditions Le Mot et le Reste. Depuis 2014, il est un collaborateur régulier à HARD FORCE, son journal d’enfance (!), et élargit sa collaboration à sa petite soeur radiophonique, HEAVY1, où il reste journaliste, animateur, et programmateur sous le nom de Jesse.
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