26 septembre 2022, 20:27

MALEMORT

Interview Xavier Malemort

Après un « Ball Trap » salué par les fans, MALEMORT quitte ses chères années folles pour plonger dans un monde fantaisiste, afin d’y narrer avec délicatesse et nostalgie la fameuse histoire du château d'Hérouville. Ce célèbre et désormais mythique studio français qui, dans le bouillonnement des années 70, a vu passer d’immenses pointures de la musique. Et dont les frasques et la fin tragique de son rocambolesque propriétaire Michel Magne fera entrer ce lieu dans la légende du rock'n'roll. Un splendide hommage et une source d’inspiration sans fin pour ce « Château-Chimères », paru le 9 septembre, qui devrait ravir les fans et bien au-delà. Toujours aussi peu avare en détails et magnant la langue de Molière avec subtilité, Xavier vous dit tout sur ce nouvel album.
 

Salut Xavier, très content de te revoir, c’est le 9 septembre qu'est sorti « Château-Chimères », et j’ai cru comprendre que vous avez mis la barre très haut pour cet album ?
Je ne te le fais pas dire (rires). Comme je l'avait dit aux gars, je voulais vraiment que l’on fasse ce disque comme si cela devait être le dernier. Tu sais, tu évolues dans la vie, tu vois des événements qui se produisent autour de toi qui te font prendre conscience de ta mortalité. Je mesure la chance que c’est de pouvoir graver un disque, et c’est quelque chose qu’il ne faut pas gâcher. Donc, oui on a mis la barre haut ; on voulait que chaque élément qu’on allait proposer soit d’une exigence absolue, vis-à-vis de nous-mêmes pour commencer. Et si un jour quelqu’un devait se dire « MALEMORT c’était ça », on a mis tout ce que l’on est dans ce disque. J’aime ce côté jusqu'au-boutiste.

Cet album a pour thème central le château d'Hérouville, d’où est venue cette idée ?
J’habite à 3km d'Hérouville, dans le très joli village d’Auvers-sur-Oise, c’est d’ailleurs là où est enterré Vincent van Gogh. Quand j’y ai emménagé il y a une dizaine d’années j’ai découvert l’histoire de ce château, qu’en arrivant je ne connaissais pas. Je me pointe donc dans le coin et je rencontre des anciens qui me disent, après leur avoir expliqué que je fais de la musique, qu’ils ont vu défiler Elton John, David Bowie ou Iggy Pop... c’est à ce moment que je me suis passionné pour ce château. Il y a encore 10 ans, il n’y avait pas beaucoup de sources, il fallait aller chercher cela chez les musiciens qui l’avaient vécu. Fascination aidant, je me suis dit qu’il avait sûrement une source d’inspiration et au moment du deuxième album je n’avais pas encore trouvé les clés qui me permettraient de mettre cela en scène. Car cette histoire est compliquée, celle d’un studio d’enregistrement avec des musiciens des années 70 évoluant dans des styles différents de celui pratiqué par MALEMORT. Il fallait donc trouver un biais, et je ne voulais pas gâcher cette occasion de faire quelque chose de très beau. Donc sur « Ball Trap » je suis parti sur un autre de mes dadas à savoir les années folles, et là je l’avais trouvé.

On retrouve d’ailleurs dans le livret du CD le visage de Michel Magne, grand compositeur de musique de films français et ancien propriétaire du château, en quoi son œuvre vous a influencés ?
Je suis un vrai amoureux du film Un Singe en Hiver, il est magnifique avec Gabin face à un Belmondo tout jeune. Sans oublier les dialogues d’Audiard qui sont d’une profondeur incroyable, et c’est la musique de Michel Magne. Les Tontons flingueurs c’est super marrant et ça marche aussi très bien (rires). Donc j’ai apprécié Michel Magne au début sans le savoir et sans le connaitre. D’un point de vue musical, ce qui me fascine le plus chez lui c’est sa liberté, sa capacité de passer du symphonique à la pop. Alors que lui-même était de formation symphonique et d’une précision redoutable, il fut l’un des premiers à dire qu’il traitait la pop au même niveau que le symphonique, ne voyant pas de hiérarchie. C’est aussi quelqu’un qui a fait de la musique expérimentale, et ce n’est pas étonnant qu’il ait créé sans le vouloir ce studio dans lequel des artistes sont venus justement pour expérimenter. Il y a eu des étrangers, mais dans les premiers français il y a eu MAGMA, la aussi c’est l’inventivité et la créativité débordante. A côté de cela, notre album est très diversifié, il est riche et il a plein d’influences, mais on n’est pas dans l’expérimental du tout et cela reste très chanson. Donc c’est plutôt le personnage qui nous a influencé, avec son coté génial et touche à tout, mais aussi l’aspect borderline, il y avait de l’extravagance dans tout ce qu’il faisait.

C’est plutôt cet esprit que vous voulez véhiculer à travers l’album ?
Oui, ce qui me plaît dans le château d'Hérouville c’est autant cet esprit liberté que celui chimérique. Car cette liberté a été rattrapée la décennie suivante, cela ne pouvait pas durer éternellement. Et même financièrement, c’était ruineux ! Ils ont vécu hors du temps pendant des années, lors d’une période où l’on pensait que la musique pouvait changer le monde. Et moi je trouve cela fabuleux qu’à la fin, tout cela devait s’écrouler. Comme une tragédie grecque, avec son suicide dans un hôtel de Pontoise, juste à côté des pièces du dossier judicaires, et après avoir vu discrètement pour la dernière fois son château, car il n’avait même plus le droit d’y aller.


Pour rebondir sur l’aspect diversifié de l’album, vous avez enregistré le titre "Je m’en Irai" avec le guitariste breton Dan Ar Braz et apparemment votre rencontre est un peu spéciale ?
On avait quasiment terminé l’écriture du disque, et Sébastien un de mes guitaristes fait l’achat d’un pédalier. En fait il l’achète à Dan Ar Braz et ils ont sympathisés. Il ne connait pas sa carrière, ce qui a amusé Dan qui lui a donc raconté. Le soir il m’a appelé pour m’expliquer, et il me demande si je connais cet artiste ? Je lui ai répondu que non seulement je connais très bien sa carrière, mais en plus c’est quelqu’un qui a enregistré sept albums à Hérouville pendant les années de gloire de ce studio. J’ai proposé à Seb s’il pouvait lui demander la permission que je l’appelle à propos de ses années au château. Très gentiment il a accepté, et première soirée, nous sommes resté 1h30 au téléphone. Ce sujet le passionnait, cela le renvoyait à une époque dont il parlait moins ces derniers temps, sa jeunesse et le lancement de sa carrière. Et moi aussi je me passionnais car il apportait plein de petits détails. Et le lendemain matin je me suis réveillé avec la mélodie de cette chanson dans la tête, même si on avait composé tous les titres de l’album je l’ai maquetté. Je l’ai envoyé à Sébastien pour lui demander si cela tenait la route, car personnellement je le sentais bien. Il m’a confirmé et on l’a entièrement écrite assez vite. Nous avions une maquette avancée et on s’est dit que ça serait pas mal de la faire écouter à Dan, et lui dire aussi que c’était un peu de sa "faute". C’est Sébastien qui m’a dit « pourquoi on ne lui demande pas de mettre quelques notes ? ». C’est un featuring qui n’a rien de commercial car nous ne sommes pas du même monde, mais cela a du sens car il y a un petit bout d'Hérouville dans ce disque. Il a tout de suite accepté, et quand je lui ai montré le clip avant qu’il sorte, il était ravi et il m’a envoyé plein de messages pour me dire qu’il était touché, que cela lui rappelait des émotions de cette époque, l’une des plus belle de toutes sa vie.

Est-ce que ce penchant pour la musique bretonne est récent pour toi ?
J’ai toujours écouté de la musique celtique de marnière générale. La période où j’habitais à Nantes j’écoutais TRI YANN ainsi que des groupes régionaux, et aussi du côté de la vague metal des groupes qui utilisent ce style. Je ne sais pas pourquoi mais cela m’a toujours plu, je me suis toujours dit qu’un jour il faudrait que je fasse une mélodie celtique, avec toujours la peur que ce soit forcé ou cliché ; mais là ça s’est présenté tout seul.

Niveau composition, avez-vous suivi la même façon de procéder ?
On fait toujours de la même façon. Je créé les squelettes de chanson, en étant sûr que j’ai l’idée du couplet et du refrain, ainsi que les mélodies principales vocales. Parce que je fonctionne comme cela, à partir du moment où tu fais une musique mélodique avec un chant vraiment chanté, c’est ce qui va déterminer la réussite d’une chanson. Car tu auras beau avoir le meilleur riff au monde, s’il n’y a pas une mélodie qui donne un sens, il te manquera quelque chose. C’est ce qui arrive souvent à des groupes de metal, d’avoir un très bon riff mais sans finaliser le morceau par une partie vocale un peu inoubliable. Et moi je m’assure de cela, une fois que je l’ai, je confie cela à Seb qui va réagencer et faire des suggestions, c’est comme cela qu’on fonctionne.

Lors de notre dernière interview en 2017, tu m’avais expliqué que vous aviez l’habitude de jouer vos nouveaux titres en concert pour les "essayer", est ce que cela a aussi été le cas pour « Château-Chimères » ?
Non, on ne le fait plus. Et pour le coup cela m’arrangeait un peu, car je ne voulais pas être bridé par ce que cela donne en live. J’ai évolué sur la question, par exemple si on prend un groupe comme QUEEN, ils ne se sont jamais embêtés à savoir si ce qu’ils créaient en studio aller facilement être rejoué sur scène. Ton boulot de musicien est de faire en sorte de concevoir la plus belle chose possible quand tu es en studio, et lorsque tu vas sur scènes c’est de, soit pouvoir retranscrire ce morceau le plus fidèlement possible, soit le réadapter tout en gardant son âme. Et moi en ce moment cette idée me plait. Quand je te disais que selon moi dans un album il y a un côté définitif et aussi sacré, je trouve cela malheureux de se limiter sur disque pour pouvoir le faire d’une certaine façon en live. Dans l’histoire du rock et du metal, il y a des exemples qui nous montrent que lorsqu’on veut on peut, et quand tu as de bons musiciens tu y arrives toujours.

D’ailleurs est-ce qu’une tournée est prévue ?
Nous avons décidé d’éviter de se précipiter sur 2022, c’est un bordel terrible ! Les conditions ne sont pas bonnes, et je ne veux pas sacrifier ce disque en faisant des choses qui ne me paraissent pas à la hauteur. On vise vraiment 2023 : printemps, été et automne, en essayant de bien articuler cela au niveau des festivals pour que ça ait de la gueule.


Un morceau m’a interpellé, c’est l’instrumental "Décembre", en l’absence de parole j’aimerais savoir ce qu’il représente pour vous ?
Ce titre à d’abord été conçu comme une chanson, j’avais très envie de proposer un instrumental sur « Château-Chimères » car cela permet de raconter sans mots. Et ce sont les deux Seb qui m’ont dit qu’il y avait moyen d’en faire une accomplie. Je trouve que c’est une belle réussite, j’aime beaucoup ce morceau et je trouve qu’il a d’autant plus de sens à la toute fin du disque, un peu comme un adieu au château et à Michel Magne, l’arrivé des années 80 et la fin des illusions seventies. On ne l’avait jamais fait, et je me méfie des instrumentaux car il y en a que j’aime beaucoup dans le metal, mais il y en a d’autres que je trouve très lourds. Il faut vraiment avoir la vibration du moment pour que cela fonctionne.

Encore une fois les paroles sont très recherchées et empreintes de poésie, as-tu des auteurs de prédilections ?
Cela peut paraître cliché mais j’ai toujours beaucoup aimé Baudelaire et Rimbaud. A partir du moment où je chante avec un coté plus agressif et très rythmique, ça sera plutôt le Higelin des années où il passait du funk, au punk et à la chanson. Sinon, autant j’aime beaucoup les langues très charpentées et sophistiquées à la Victor Hugo lorsque je suis un lecteur, autant pour la chanson cela ne colle pas du tout. Je suis donc plutôt intéressé à l’œuvre de Jack Kerouac, et pour le français de Céline.

Visiblement cette volonté de ne pas être classé et classable est toujours d’actualité ?
On l’a affirmé au départ parce qu’on en avait besoin, pour ne pas qu’on nous dise « est-ce que vous savez où vous mettez les pieds ? ». Quand je suis revenu dans le metal ce n’était pas juste pour me faire un tribute au groupe que j’aimais, c’est parce que j’avais le sentiment que je pouvais proposer un alliage d’influences qui donnait quelque chose de différent. Tout le monde devrait le revendiquer, le metal c’est sensé être une musique de rébellion et de liberté, et tu te retrouves avec des musiciens qui s’enferment dans des chapelles, qui s’auto-excommunient les uns des autres lorsque ça dépasse un peu. Quand j’étais adolescent dans les années 90 j’étais comme un poisson dans l’eau, tu avais tout le metal des années 80 qui se cassait la gueule, parce que le grunge était en train de tout démolir, donc, tous les groupes étaient obligés de se réinventer. Quasiment tout le monde devait repartir de zéro et créer des alliages improbables, ce sont les meilleures années.

Totalement d’accord avec toi. Pour terminer, rêves-tu de pouvoir enregistrer un jour un album de MALEMORT au château d'Hérouville ?
J’aurais aimé y faire quelque chose, ressentir cette vibration. Car il y a une acoustique très particulière, j’ai eu la chance de pouvoir le visiter. Le propriétaire a accepté à force que je le saoule avec mes propositions (rires). Autant le studio construit en bas pour les artistes français est moyen, autant le grand studio lui, est légendaire, car il y a une acoustique boisée naturelle qui est fabuleuse. Tout ceux qui sont passés par là l’on dit, et même les BEE GEES, après eux toute la scène disco voulait y aller ! Ils font partis des seuls artistes non rock à y avoir enregistré, le château souhaitant conserver son orientation.

Malemort.bandcamp.com
 

Blogger : Jérôme Graëffly
Au sujet de l'auteur
Jérôme Graëffly
Nourri dès son plus jeune âge de presse musicale, dont l’incontournable HARD FORCE, le fabuleux destin de Jérôme a voulu qu’un jour son chemin croise celui de l'équipe du célèbre magazine. Après une expérience dans un précédent webzine, et toujours plus avide de nouveautés, lorsqu’on lui propose d’intégrer l’équipe en 2011, sa réponse ne se fait pas attendre. Depuis, le monde impitoyable des bloggers n’a plus aucun secret pour lui, ni les 50 nuances de metal.
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