Décidément, quand ça veut pas, ça veut pas... Mauvaise nouvelle, en effet, pour Erik Grönwall, qui a dû quitter SKID ROW pour raison de santé. Mauvaise nouvelle pour SKID ROW, qui perd là un chanteur charismatique qui l’avait remis sur la voie du succès. Et mauvaise nouvelle pour Sebastian Bach, puisque la place laissée vacante risque de faire appel d’air... et ce serait bien dommage ! Car avec son « Child Within The Man », Bach nous prouve qu’il n’a pas besoin de ses anciens acolytes pour accoucher d’un album de tout premier plan. Ce qui ne signifie en rien que le bonhomme ne souhaite pas être – bien – entouré. Notez en effet ce casting de dingo : John 5, Myles Kennedy, Orianthi, Steve Stevens... et tous les autres ! Pas mal, pas mal. D’autant qu’on ne va pas se mentir, hein ? Se remettre avec son ex, ça n’a jamais été la meilleure des options possibles...
Dix ans. Il n’aura pas fallu moins d’une ''Decade Of Decadence'' * toute entière pour que Sebastian Bach donne un successeur à son « Give 'Em Hell ». Une décennie de gestation durant laquelle le chanteur touche-à-tout s’est aussi fait une place dans l’univers du show-biz, s’illustrant à la télé, au théâtre ou au cinéma. Mais ce que les fans de metal attendaient avant tout, c’est son grand retour dans le monde de la musique. Tout commence donc par un gros son et un tempo que l’on devine calé sur le rythme de la démarche du géant canadien : lourde. Très lourde. Étonnant de voir comment le jeune homme fluet et androgyne de MADAM X et de SKID ROW est devenu cette montagne de puissance dont on n’aimerait en aucun cas recevoir une patate en pleine poire : un colosse. Mieux, un ogre. Forcément avide de chair humaine ; tout particulièrement celle des petits enfants. « The Child Within The Man » : l’enfant à l’intérieur de l’homme... le titre de l’album n’a jamais si bien porté son nom. Mais n’ayez crainte, vous ferez très bien l’affaire aussi. Et Sebastian va se faire un plaisir de vous dévorer, 45 minutes durant. Car ce tout premier titre annonce d’entrée la couleur : rouge. "Everybody Bleeds"... et c’est à votre tour de saigner !
Pernicieuse, la guitare de Devin Bronson commence par vous cisailler, à vif, tandis que la basse de Todd Kerns se charge de vous broyer les os. La batterie de Jeremy Colson tanne ensuite ce qu’il vous reste de cuir sur le dos. Vous êtes donc en train de vous faire hacher menu-menu in vivo, pleinement conscient de ce qu’il vous arrive et, aussi étonnant que cela puisse paraître, l’expérience est loin d’être désagréable. Pour dire la vérité, elle est même carrément jouissive ! Car en réalité, l’album démarre sous les meilleurs auspices : c’est très heavy, percutant. La cadence est infernale, les couplets, le refrain, le solo s’enchaînent et s’ajustent parfaitement. Le chant de Bach est totalement maîtrisé, passant de sa voix douce et mélodieuse à des hurlements de possédé. Normal : le chanteur évoque les douleurs éprouvées durant l’existence, du petit enfant qu’il était à l’homme qu’il est devenu : « Everybody bleeds / Everybody burns / Everybody drowns » (« Tout le monde saigne / Tout le monde brûle / Tout le monde se noie »). C’est qu’il a dû s’en passer, des choses, dans la vie de Sebastian Bach. Un parcours extraordinaire, qui l’a progressivement conduit vers ce qui devrait être notre Graal à tous : la liberté.
Co-écrite avec son ami John 5, "Freedom" n’aurait pas véritablement détonné sur la track-list de « Slave To The Grind » (1991). Pour autant, le titre ne sonne pas comme une redite. Le chant est puissant, la voix hargneuse et le refrain savoureux à souhait : sucré. Presque onctueux. Le solo, lui, est carrément démoniaque : il y a un côté Tom Morello, au tout début, ça monte, ça descend, ça s’en va et ça revient, c’est fait de tout petits rien et ça se termine par une effusion pyrotechnique que n’aurait probablement pas reniée Steve Stevens. Waouh ! On retrouve d’ailleurs l’Atomic Playboy un peu plus loin. One, two, three, four... "F.U." (pour "Fake You") déboule sur un gros rythme. C’est heavy, mais extrêmement groovy. Presque dansant. La basse de Kerns, omniprésente, rempli tout l’espace, tandis que le solo de Stevens l’illumine. Ça shredde sévère, mais c’est pour la bonne cause. Raison pour laquelle Bach hurle de plaisir, en fin de morceau. Tout est extrêmement bien calé et le titre sonne vraiment bien : une totale réussite.
Ce ne sera pas la seule. Est-ce un hasard ? "About To Break" commence exactement de la même façon : one, two, three, four ! Et la basse virevolte, là aussi. On se croirait en pleine période disco. Bach nous fait alors le coup de la voix langoureuse, quasi féminine. C’est presque pop aussi, même si quelques passages plus énervés nous rappellent où nous nous trouvons. Un p’tit break nous emmène ensuite sur la rampe de lancement. La guitare pétille, elle étincelle. S’ensuit une plage aérienne durant laquelle cette satanée six cordes nous expédie illico dans le cosmos, au milieu de bulles de savon caramélisées. C’est beau, c’est bon, et l’on pourrait s’y perdre avec délectation... Heureusement, la quatre cordes veille et fixe le cap, imperturbable, afin de résister aux sirènes du trou noir... L’alliance entre le groove et le heavy est originale. Bach ne nous avait pas habitué à ce type de composition : c’est carrément brillant. Dans tous les sens du terme.
Il y aura beaucoup plus sombre. "Hard Darkness" est violent, syncopé, quasi indus. Bach a la rage : il hurle et éclate tout sur son passage. On a envie de s’arracher la tête avec lui, tellement c’est bon. Et puis, et puis, il y a ce passage étonnant, proche du metal progressif, dont on se demande ce qu’il vient foutre là... mais qui fonctionne parfaitement bien. C’est que ce « Child Within The Man » a quelque chose de magique. À l’image de son étrange pochette, commencée en 1978 et achevée en... 2024 ! Et c’est David Bierk, le défunt père de Sebastian, qui en est à l’origine. Déjà auteur de certaines illustrations pour le compte de SKID ROW (« Slave To The Grind ») et de Sebastian (« Angel Down »), Bierk était un artiste peintre. C’est en fouillant dans sa réserve que Bach a redécouvert une peinture le représentant enfant ; une autre au tout début de sa gloire, sur scène, au Giants Stadium, dans le New Jersey. L’enfant, l’adulte, les rêves qui finissent par s’incarner dans le réel, le désir qui prend corps : il y a, dans cet album, une mise en cohérence d’un parcours, d’une vie. Des choses que l’on ne peut voir qu’avec le recul, lorsqu’il est possible de s’abstraire de ce que l’on éprouve et enfin clairement distinguer les choses "d’en-haut". Raison précise pour laquelle l’album est varié, divers, mais jamais disparate. Tout est harmonieux, tout fait sens. Homogène, mais jamais monotone ; unifié, mais jamais uniforme. Car la personnalité de Bach est multiple et s’exprime par chacun de ses pores. Il nous le démontre à nouveau, avec sa "Vendetta"...
Moderne, le titre prend son envol avec des sonorités façon RAMMSTEIN. L’ambiance est d’abord martiale, avant de prendre une tournure plus inquiétante. Presque malsaine, par moments. Et le morceau monte progressivement en charge, avant de s’emballer sur un final musclé et méchant : « Silenced but I’m still screamin’ / Take back what’s mine you’re stealin’ / Killer / Stone Cold Killer » (« Je suis réduit au silence, mais je crie toujours / Rends-moi ce qui m’appartient et que tu me voles / Tueur / Tueur à sang froid »). L’ambiance se réchauffe avec "(Hold On) To The Dream", qui démarre à la manière d’une tendre ballade, puis mute en un mid tempo aussi lourd qu’accrocheur. La section rythmique martèle fort. Bach prend le pouvoir et scande ses injonctions à qui de droit : « You ! Hey ! Say ! Stand ! » C’est massif et surpuissant : oppressant. Heureusement, le temps du refrain, la voix se fait plus délicate, plus envoûtante, comme pour mieux nous attirer...
Le refrain de "What Do I Got To Lose?" est, lui, carrément imparable. Co-écrit par un Myles Kennedy que l’on n’attendait pas forcément ici, le titre sonne comme une évidence et trace sa route, sans se poser de question(s) : « I don't care what you do or say / I'm a bull head ready to strike » (« Je me fous de ce que tu fais ou de ce que tu dis / Je suis une tête de taureau, prête à tout défoncer »). Le bulldozer est passé. Le terrain, défraîchit, n’attend plus qu’un architecte pour y construire son édifice. Et c’est Orianthi qui se charge des plans de l’ouvrage de "Future Of Youth". Car Bach voulait que son album contienne différents types de vibrations, et notamment cette hyper sensibilité de la guitariste, tout en féminité. La mélodie est aussi subtile que sophistiquée, le refrain particulièrement soigné. Il nous emmène jusqu’à l’échappée d’Orianthi : ciselée et percutante. Inspirée, aussi, et surtout irrésistible. Une autre perle de cet album.
« Child Within The Man » prend fin avec deux morceaux moins alléchants. Le grungy "Crucify Me", sympathique, certes, mais sans réel intérêt, et la ballade de rigueur. Malheureusement, dans le cas présent, car "To Live Again" (co-écrite, elle aussi, par Myles Kennedy) manque cruellement de personnalité. Pas de surprise, peu de relief, pas de réelle intensité : aucune comparaison possible avec "I Remember You". On serait, ici, plus proche de la chanson de Noël... en plein mois de mai ! Incongru et malvenu. Quel dommage de refermer cet album sur un morceau aussi peu inspiré. Aux antipodes du qualificatif que l’on se doit d’y apposer : excellent. Vraiment. Par son énergie, son enthousiasme, par la qualité de ses compositions (denses, variées, complexes), leur esprit, typé old-school, mais aussi leur intensité sonore. Aussi monstrueuse que précise ; puissante, mais lustrée. Comme polie... et sauvage à la fois ! Pour ce faire, Sebastian Bach a fait appel au producteur Michael Baskette (ALTER BRIDGE, MAMMOTH WVH, TREMONTI...), forcément dans ses petits souliers à l’idée de collaborer avec Robert Ludwig, responsable du mastering de l’album comme de celui d’illustres prédécesseurs : LED ZEPPELIN, METALLICA, NIRVANA, QUEEN, KISS, TOOL, EAGLES, Jimi Hendrix... Et pour définitivement valider « Child Within The Man » avant de le partager au monde entier, le critère de Sebastian était tout simple : ressentir des sensations similaires à celles éprouvées dans sa jeunesse, à l’écoute des premiers albums de KISS, RUSH, TRIUMPH, JUDAS PRIEST ou BLACK SABBATH. L’album étant d’ores et déjà disponible, on en déduit que la passation est bel et bien en marche. Vous savez donc ce qu’il vous reste à faire : l’écouter !
* Pour reprendre le titre de la première compil’ de ceux que Sebastian Bach et SKID ROW accompagnaient, pour promouvoir la sortie de leur premier album triomphal : MÖTLEY CRÜE. Le SKID, c’est aussi, le tout premier groupe de metal que votre serviteur a vu en live, le 30 octobre 1989, puisqu’en première partie du groupe pour lequel il s’était déplacé. Que de souvenirs, bordel !