Mais où vont-ils chercher toute cette énergie, ces deux-là ? Les deux têtes pensantes d’ALTER BRIDGE, Mark Tremonti et Myles Kennedy, se retrouvent régulièrement sous les feux des projecteurs, en travaillant sans répit. Alors que son compère est en tournée avec son premier groupe CREED, et qu’il s’apprête à sortir le sixième album de son projet solo, TREMONTI, c’est Myles Kennedy qui nous intéresse ici avec son troisième album solo, « The Art Of Letting Go ». Entre ALTER BRIDGE et sa participation avec Slash & THE CONSPIRATORS, on se demande quand le chanteur/guitariste trouve le temps de composer aussi pour lui. Probablement une vitalité innée qui ne demande qu’à s’exprimer.
Et c’est précisément ce que l’on ressent à l’écoute de ce troisième disque : un élan, un dynamisme positif et contagieux qui nous fait dodeliner la tête et taper du pied bien malgré nous. Dès le morceau-titre, "The Art Of Letting Go", Myles Kennedy nous entraine dans sa vision du rock'n’roll fraîche et revigorante. Le frontman a visiblement pris beaucoup de plaisir à composer cet album sur laquelle la joie et une certaine philosophie de vie sont palpables. Apprécier chaque seconde de notre présence sur Terre sans chercher à se projeter dans l’avenir, ni se noyer dans son passé, est un long apprentissage. Le bonheur n’est pas ailleurs : il est ici et maintenant, enfoui en nous. Ce sont les thèmes développés par le chanteur. Une réflexion sur notre perpétuelle insatisfaction, propre à la condition humaine ("Nothing More To Gain") qui ne peut éclore qu’avec un recul et une expérience conséquente de la vie. Ce que l’on appelle la maturité, somme toute. Ainsi, Myles Kennedy, accompagné de Tim Tournier (basse mais également manager d’ALTER BRIDGE) et de Zia Uddin (batterie), a décidé pour cet album de ne pas chercher à s’éloigner de ce qu’il est et de ce qui l’anime profondément, et nous balance du groove à la pelle avec son rock direct et instinctif où les refrains restent en tête sans se forcer ("Say What You Will", "The Art Of Letting Go", "Saving Face", "Miss You When You’re Gone"). Sans oublier la sensibilité qu’il déploie sur la ballade "Eternal Lullaby".
On est toutefois à mille lieues du style Americana qu’il nous a proposé sur son superbe et bouleversant premier album, « Year Of The Tiger » (2018). Le seul moment qui en évoque quelques réminiscences est la magnifique intro dépouillée de "Behind The Veil", sur laquelle Myles se montre touchant et vulnérable, avant que ce morceau ne se transforme en pur heavy rock, avec “le solo du guitariste qui se fait plaisir” (fort bien réussi au demeurant) après avoir eu “le moment du bassiste qui se fait plaisir” juste avant, tandis que "Mr. Downside" a des accents très “alterbridgiens” avec ses « Ohohohohoh » finaux. Refrain et mélodie imparables pour le très bon "Miss You When You’re Gone", morceau catchy qui, lui aussi, peut faire penser au groupe principal du frontman. Mais qu’importe, le plaisir est bien là, malgré certains gimmicks que l’on reconnaît bien. Guitares et voix sont très en avant pour un résultat dynamique, que l’on doit au compagnon de toujours, le producteur Michael “Elvis” Baskette, responsable du son de tous les albums d’ALTER BRIDGE & Co. C’est incisif et rudement efficace, comme sur le percutant "Saving Face". A ce titre, les compositions sont bien plus dans la lignée du second album de Myles, « The Ides Of March » (2021), tout en étant plus frontales. Pas d’arrangements excessifs ni d’orchestrations sur ce disque : juste trois musiciens qui distillent un rock burné et entrainant.
Les ballades réussissent très bien au chanteur, comme il le démontre une fois de plus sur "Eternal Lullaby", dotée de surcroît d’un beau solo de guitare. Mais l’un des meilleurs morceaux sur cet album est l’irrésistiblement groovy "Nothing More To Gain" et ses paroles qui nous incitent à accepter l’impermanence et à se contenter de se réjouir du moment présent, au lieu de vouloir toujours et encore plus. Mais plus de quoi, au juste ? « When will you learn ? / Riches you’ve guarded / So too shall burn / Look what you’ve started / Expect the worst / When you’ve disregarded / These sacred words » (« Quand apprendras-tu ? / Les richesses que tu as gardées / Brûleront aussi / Regarde ce que tu as commencé / Attends-toi au pire / Alors que tu n'as pas tenu compte / De ces mots sacrés »). On se prend encore une vigoureuse claque avec "Dead To Rights" avant de refermer l’album sur le plus mélancolique "How The Story Ends", avec ses petites notes orientalisantes.
Myles Kennedy nous offre un bien bel album avec « The Art Of Letting Go », tant sur la forme que sur le fond. C’est effectivement tout un art et un travail sur soi de longue haleine que de laisser la vie suivre son cours, d’accepter de se laisser porter par son flot au lieu d’essayer de nager à contre-courant. De toute façon, à vouloir lutter contre sa nature profonde, on n’en sort jamais gagnant. Et il ne faut pas oublier de prendre chaque sourire, note de musique, respiration, rayon de soleil ou goutte de pluie comme un cadeau.