
Révélé outre-Atlantique en 2022 à la suite de chroniques élogieuses au sujet de son premier album, « God’s Country », parues dans la majeure partie de la presse spécialisée, CHAT PILE s’est rapidement imposé comme un groupe à part. A la croisée du sludge, du noise rock et d’un metal industriel et dissonant en diable, la musique du quartette originaire de l’Oklahoma est insaisissable et n’a que peu d’équivalent au sein de la scène actuelle. Raison de plus pour que HARD FORCE ne vienne se pencher sur cet OVNI à la veille de son concert parisien au Trabendo où CHAT PILE se préparait à proposer au public les nouveaux morceaux extraits de son deuxième album, « Cool World ». Le bassiste Stin en a profité notamment pour lever le voile sur l’actualité du groupe...
Vous êtes actuellement en pleine tournée européenne. Pourrais-tu nous dire comment le public a réagi aux nouveaux titres de « Cool World » ?
À ce jour, notre passage au Royaume-Uni est terminé et nous attendons impatiemment de prendre la route vers l'Europe continentale pour nous rendre à notre concert à Anvers prévu ce soir (ndlr : le 27 avril). Pour tout te dire, nous avons vraiment apprécié cette première partie de cette tournée, nous nous sommes sentis comme à la maison dans chacune des villes traversées. Le public semble très bien réagir aux différents extraits de « Cool World » en hurlant à l'unisson avec Raygun (ndlr : chanteur de CHAT PILE) à plein poumons, avec une mention spéciale pour toutes les têtes brûlées qui mettent le feu au pit ! Cela se produit aussi avec nos compositions les plus anciennes qui trouvent toujours preneur, cela fait plaisir à voir... et à entendre !
Ce lundi 28 avril, vous investirez la scène du Trabendo à Paris. Est-ce votre premier contact avec vos fans français ? J'ai été étonné de voir que le concert était déjà complet car je pensais que vous n’étiez pas très connus dans l’Hexagone. A ce sujet, vous serez aussi à Biarritz le 15 juin, Clermont-Ferrand le 17 et à l’affiche du Hellfest le 19 juin...
En effet, notre concert à Paris constituera notre première interaction directe avec nos fans français et nous avons hâte de fouler les planches du Trabendo. La plupart des gens pensent souvent que nous sommes soit un petit groupe culte au sein de la scène underground, soit un groupe de rock à la notoriété plus établie, alors que la vérité c’est que nous remplissons des salles de 500 à 1000 places dans la plupart des grandes villes des États-Unis, du Canada et d'Europe. Avec un peu de recul, si je devais qualifier cette situation, cela ferait de nous un groupe de rock que nous pourrions classer comme « professionnel de la classe ouvrière (sans assurance maladie ni avantages de retraite malheureusement !) ». Sinon, je suis particulièrement excité de participer au Hellfest car nous jouons le même jour que KORN, c'est un peu comme un rêve qui se réalise pour moi car j’adore ce groupe...

Le titre de l'album, « Cool World », semble contradictoire quand on voit ce paysage rural, ce ciel gris menaçant, cette ambiance pesante mais aussi cette grande croix érigée en premier plan. Est-ce juste finalement de l'ironie ? Votre album précédent, « God's Country », mettait, lui, l'accent sur le côté industriel de cet environnement avec une immense centrale électrique que l’on pourrait imaginer à l’abandon. Est-ce si difficile de vivre quotidiennement dans cette région qu’est l’Oklahoma?
« Cool World » est le titre d'un film particulièrement mauvais sorti dans les années 90 et en effet il sert de juxtaposition quelque peu ironique à l'image de l'album, et aussi au monde réel dans lequel nous vivons. Principalement, nous pensions juste que le titre était vraiment drôle, c'est pourquoi nous l'avons choisi sans autre explication philosophique. Outre le fait d'être le titre d'un film largement oublié; et d'ailleurs démoli par la critique à sa sortie !, « Cool World » constitue, dans le contexte d'un disque de CHAT PILE, une suite de mots empreints d'un sinistre double sens qui non seulement évoque l'image d'une planète mourante mais aussi d'une représentation du mal-être moderne, passant du "Pays de Dieu" (ndlr : « God's Country », premier album du groupe paru en 2022) à l'ensemble de l'humanité. Quant à l'Oklahoma, il s'agit d'une région extrêmement conservatrice et pauvre des États-Unis. Y vivre au quotidien n'est pas si différent que de vivre n'importe où ailleurs aux États-Unis, c'est juste un peu plus merdique à peu près à tous les niveaux - y compris avec la météo qui essaie de nous en faire voir de toutes les couleurs (ndlr : la région, partie intégrante de la Tornado Alley, est régulièrement balayée par de puissantes tornades). Le principal avantage est que c'est l'un des endroits les moins chers où vivre dans le pays : c’est toujours ça de pris !
Parlons maintenant de musique et regardons d’un peu plus près ce « Cool World ». Qui comporte dix chansons intenses où les guitares tourbillonnent, la basse montre les crocs et les parties de batteries mécaniques frappent sans jamais baisser leur garde. Comme une sorte de magma sombre prêt à tout engloutir sur son passage...
C'est une bonne façon de résumer le son de « Cool World ». J'irais même plus loin en te disant que nous avons vraiment essayé d'écrire un album plus direct que le précédent avec des morceaux un peu plus simples dans les structures, qui peuvent rappeler ce que nous jouions sur nos deux premiers EPs. Il y a tellement de débats quand les gens essaient de nous ranger dans une case, d’étiqueter notre genre et cela me ravit au plus haut point ! La presse, par exemple, tente de nous affilier aux scènes noise rock, sludge metal, nu metal voire shoegaze, ce qui est dingue car nous n’avons pas plus d’affinités que cela avec cette dernière. Personnellement, je pense que nous sonnons juste comme un NIRVANA qui se serait acoquiné avec des éléments de metal extrême !
En écoutant CHAT PILE, je pense à des groupes aussi différents que HELMET, JESUS LIZARD, KOWLOON WALLED CITY, GODFLESH qui ont en commun une manière très personnelle de faire sonner la rage et la colère. Pourriez-vous nous dire si ces groupes jouent un rôle... ou pas dans votre approche musicale ?
HELMET, oui nous apprécions leur musique mais ils n'ont jamais vraiment été une référence importante pour aucun d'entre nous. KOWLOON WALLED CITY, en revanche c'est génial, mais je ne savais même pas qu'ils existaient avant que tout le monde ne commence à nous comparer à eux. Quant à GODFLESH, là nous franchissons un niveau car c’est une très grande influence pour Luther Manhole (ndlr : guitariste de CHAT PILE) et moi. Au-delà du son de batterie qui peut nous rapprocher, nous aimons vraiment cette façon dont ils font en sorte que le riffing le plus simple et répétitif fasse un travail si lourd, si important sur chacun de leur morceau. J'ai découvert GODFLESH quand j’avais une vingtaine d’années, à peu près au même moment où je suis devenu obsédé par tous les groupes de grindcore de la première vague et les disques que le label Earache sortait à la fin des années 80. J'ai mis la main sur « Pure » à ce moment-là et je passais mon temps à conduire sans fin dans Oklahoma City, à l’écouter en boucle. Je trouvais le tout tellement audacieux, avec ces morceaux qui ne jouent que sur deux ou trois riffs en boucle et la façon dont le mixage de la boîte à rythmes était mis en avant par Justin Broadrick. A titre personnel, j'ai toujours voulu faire partie d’un groupe qui pourrait évoquer cette même atmosphère sombre et froide que GODFLESH incarnait alors... et j'espère que nous nous en approchons avec la musique de CHAT PILE.
L'album a été enregistré et mixé par Ben Greenberg et masterisé par Matt Colton. Cette collaboration donne un son puissant et captivant à l'album. Comment s'est passé l'enregistrement avec eux ? Comme « God's Country » a été entièrement produit et enregistré par vos soins, avez-vous eu besoin cette fois d'un regard extérieur en confiant la production de « Cool World » à quelqu'un d'autre ?
Tout d’abord, il est important de préciser que les parties de batteries ne sont pas programmées, elles peuvent parfois donner cet effet très "mécanique" mais Cap'n Ron les joue bel et bien en direct lors de l'enregistrement. Quant à Ben, il a fait un excellent travail de mixage de l'album mais nous avons en fait réalisé l'intégralité de l'enregistrement dans notre studio à domicile, tout comme nous l'avions fait pour « God's Country » et nos différents EPs. Pour tout te dire, nous étions un peu hésitants au début pour confier le mixage à quelqu'un d'autre car nous craignions que quelque chose ne se perde dans la traduction de nos idées. Mais à l’écoute du rendu final, nous avons constaté que Ben avait vraiment compris ce qu'il fallait faire et a réalisé une prouesse en réussissant à canaliser notre son. Je pense qu'il faudra encore un certain temps avant que nous ne décidions à nous rendre dans un vrai studio professionnel et de nous faire enregistrer de A à Z, mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour ! L’avenir nous le dira...
Concernant l’approche vocale spécifique de Raygun, celle-ci est assez inhabituelle, avec des moments clairs et désespérés, des paroles parlées et ces voix râpeuses qui collent parfaitement à votre musique...
En effet. D'ailleurs Raygun porte une admiration au plus haut point pour David Thomas de PERE UBU (ndlr : chanteur de ce groupe avant-gardiste fondé en 1975, originaire de Cleveland, décédé le 23 avril dernier), mais je pense qu'en fin de compte, il fait juste ce qui lui semble naturel, sans trop y réfléchir. Il fonctionne à l’instinct, comme chacun d’entre nous d’ailleurs !
À propos de votre label, The Flenser, celui-ci présente dans son catalogue des styles aussi différents que le funeral doom (BELL WITCH), la musique progressive avant-gardiste (KAYO DOT), le black metal expérimental (BOTANIST), entre autres. Ce label est aujourd'hui reconnu pour un certain avant-gardisme dans ses signatures, en recherchant des formations toujours différentes les unes des autres. Comment s'est passée la rencontre avec eux ?
Nous adorons travailler avec les responsables du label The Flenser ! D'un point de vue commercial, c’est assez simple : ils sont fiables, dignes de confiance, ponctuels, communicatifs et incarnent tout ce que nous pouvons attendre d'un partenariat réussi. Sur le plan artistique, nous pensons aussi que The Flenser contribue à unir des artistes partageant les mêmes idées au sein d'une scène partageant les mêmes idées, à la manière de Touch and Go dans les années 80, de Sub Pop dans les années 90 etc...

Pour clore le chapitre « Cool World », ce dernier a reçu des critiques élogieuses dans la plupart des magazines américains, notamment un 5/5 dans Sputnik Music qui concluait sa critique par ces mots : « Cool World » n'incarne pas seulement les frustrations d'un groupe face à la violence dans le monde, c'est la vie que nous vivons tous les jours. Écoutez attentivement : c'est la réalité. »
Ces mots nous touchent, bien entendu, mais nous ne préférons ne pas trop nous attarder dessus. Nous apprécions bien sûr le fait que quiconque prenne le temps d'écouter et d'écrire au sujet de notre musique soit respectable, mais il est important que nous ne nous fixions pas trop sur ces retours très positifs au risque... de nourrir notre propre vanité !
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué en termes d'évolution de la scène metal / hardcore / noise ces dernières années ? La place prédominante des droits de merchandising coûteux sur les concerts ? La digitalisation des médias qui encourage les groupes à changer leur approche promotionnelle ?
A mon sens, tout cela se passe déjà plus ou moins, sous une forme ou une autre, depuis une bonne vingtaine d’années donc j'ai l'impression que les gens sont habitués à découvrir et à écouter des groupes dans un espace numérique ouvert à tous. Je pense que les plus grands changements proviennent en fait du paysage post-pandémique où des scènes entières ont été anéanties et remplacées par une nouvelle génération de groupes. Chez nous, à Oklahoma City, une scène hardcore composée de jeunes loups a surgi du jour au lendemain. Les concerts commencent désormais plus tôt et finissent plus tôt, ce que j’apprécie car cela permet de rameuter un public plus large. Quant aux coupes sur le merchandising réalisées par certaines salles, tout lieu qui opère de cette manière peut aller se faire foutre. Point. C'est un comportement de prédateur, irrespectueux pour les groupes qui tentent de mettre un peu de beurre dans leurs épinards, avec les moyens du bord.
Merci Stin et rendez-vous en juin pour3 dates avec votre public français...
Un grand merci ! Nous avons hâte de rencontrer nos fans français et de donner le meilleur de nous-mêmes sur scène... « You have been warned » !