Il y a certains groupes qui nous tiennent vraiment à cœur. Allez savoir pourquoi on est plus attaché à certains qu’à d’autres, cela ne s’explique pas. C’est instinctif, c’est primaire, cela nous relie à nos émotions brutes. Le sextet originaire du Hampshire au Royaume-Uni, BURY TOMORROW fait partie de ceux-là, pour ma part. Comme la fameuse madeleine de Proust, j’y retourne avec toujours autant de plaisir.
Si le groupe évolue dans un metalcore de facture classique, il le fait toutefois avec tellement de talent, de panache et de conviction que l’on ne peut y résister. « Will You Haunt Me, With That Same Patience » est le huitième album studio des frangins Winter-Bates et de leurs compagnons. Avec un line-up désormais stabilisé, ils reviennent en force en délivrant onze nouvelles compositions, dont certaines, très violentes et virulentes au possible, n’hésitent pas à tenter une incursion sur les territoires du deathcore, et c’est très réussi ("Villain Arc", "Wasteland", "Yōkai (妖怪)"). La fine équipe composée de Tom Prendergast (chant clair/screamé et claviers), Kristan Dawson et Ed Hartwell (guitares), Adam Jackson (batterie) et bien sûr Daniel Winter-bates (chant screamé/clair) et Davyd Winter-Bates (basse) a en effet décidé sur ce nouvel opus de monter encore d’un cran dans la brutalité.
Et cela commence dès l’ouverture avec "To Dream, To Forget" où l’on sent que l’on va se prendre une raclée carabinée. Si les voix claires de Tom Prendergast sont toujours là pour apporter le contrepoint mélodique, ce qui frappe de prime abord, c’est un effet bloc de rage en continu et un peu moins de refrains accrocheurs, comme c’était le cas jusqu’à présent sur les précédents méfaits de la bande, les excellents « Cannibal » (2020) et « The Seventh Sun » (2023). Véhément et véloce, c’est le moins que l’on puisse dire au sujet de ce disque, qui se rapproche plus de l’exceptionnel « Black Flame » (2018) dans son approche. Les seules respirations sont apportées par le tube fédérateur qu’est "What If I Burn" et le sublime "Found No Throne", une perle de délicatesse dans un océan en furie. En conséquence de cette accroche moins directe, plusieurs écoutes sont nécessaires pour explorer ses entrailles afin qu’il puisse révéler tous ses secrets. Les schémas de construction des chansons sont certes classiques mais fonctionnent grâce aux touches mélodiques disséminées ci et là ("To Dream, To Forget", "Waiting", "Silence Isn’t Helping Us", "Let Go", "Paradox") et l’on y trouve également des moments délectables, comme les soli de "To Dream, To Forget" et de "Yōkai (妖怪)", une pelleté de riffs grassouillets et de cavalcades rythmiques façon marteau-piqueur, le break bien senti presque reggae de "Wasteland", et le groove dansant de "Forever The Night" et "Silence Isn’t Helping Us", dont est d’ailleurs issu le titre de l’album : « Am I your denial ? / Do I remind you of what was right ? / Eternity redefined / To be as fleeting as one more night / So will you haunt me, with that same patience ? / Empty echoes, a presence wasted / Am I to rely? / On memories in a fading light / That's all we ever made» (« Suis-je ton déni ? / Est-ce que je te rappelle ce qui était juste ? / L'éternité redéfinie / Aussi fugace qu'une nuit de plus / Alors me hanteras-tu, avec la même patience ? / Des échos vides, une présence gâchée / Puis-je me fier ? / A des souvenirs dans une lumière qui s'estompe / C'est tout ce que nous avons fait »)
Les paroles écrites par Dani Winter-Bates sont d’une belle profondeur, explorant la complexité des tourments qui l’assaillent depuis plusieurs années. Ici, on creuse les raisons du mal-être, avec intelligence et un certain raffinement peu courant dans le metalcore, une maitrise des mots pour exprimer les maux, une poésie sombre et émouvante, comme sur "Found No Throne" qui dégage une forme de désespoir, réaliste et implacable : (« When did I accept / This pain in my chest / This constant regret / This hope to forget / Without am I less? » (« Quand ai-je accepté / Cette douleur dans ma poitrine / Ce regret constant / Cet espoir d'oublier / Suis-je amoindri sans cela ? ») et puis aussi : « It’s like I’ve never seen the sky before / And I wanna know / What it’s like to fall / So I climb out to the ledge once more / Two deep breathes and then I’ll fly I’m sure / We grab at roses like they have no thorns / And we fall in love just to destroy it all » (« C'est comme si je n'avais jamais vu le ciel avant / Et je veux savoir / Ce que c'est que de tomber / Alors je grimpe sur la corniche une fois de plus / Deux profondes respirations et ensuite je volerai j'en suis sûr / Nous saisissons les roses comme si elles n'avaient pas d'épines / Et nous tombons amoureux juste pour tout détruire »). Chez BURY TOMORROW les textes ont autant d’importance que la musique, deux vecteurs d’émotions différents mais complémentaires. On fait appel aux sensations physiques induites par les sons, mais aussi aux pensées impalpables qui s’évadent du psychisme, tournoyant sans répit, pour enfin leur donner corps. Expulser la rage, la colère, la tristesse pour pouvoir respirer encore quelques temps, ne plus étouffer sous le poids d’émotions négatives polluantes. La musique de BURY TOMORROW est un exutoire. Daniel Winter-Bates a trouvé en Tom Prendergast son alter-ego. Les deux voix s’accordent à merveille, que ce soit en chant screamé ou en chant clair, les deux hommes étant effectivement capables de rudesse absolue comme d’une grande douceur. Les harmonies vocales fourmillent de détails et subtilités.
Preuve de l’osmose qui règne dorénavant dans le groupe, les compositions de « Will You Haunt Me, With That Same Patience » ont été conçues par les six musiciens, tous crédités au même niveau. Un vrai travail d’équipe, où chacun trouve son terrain d’expression dans un but commun. Magistralement mis en son par Carl Bown (WHILE SHE SLEEPS, BULLET FOR MY VALENTINE, ainsi que le dernier SLEEP TOKEN, entre autres…), cet album se révèle au fil des écoutes. Si certains titres semblent moins immédiats, ils n’en demeurent pas moins captivants. Il nous reste même comme un goût de mélancolie avec le dernier morceau, « Paradox », une belle composition à tendance progressive, intense et prenante. « Will You Haunt Me, With That Same Patience » est le huitième album d’un groupe qui a définitivement trouvé ses marques, qui a mûri mais ne s’est pas assagi pour autant et qui ne compte pas relâcher la pression ou faire la moindre concession. Un album qui gagnera encore en maturité au fil du temps, c’est certain.