
On a beau faire ça depuis six ans, on n’y croit jamais totalement tant que le jour J n’est pas arrivé. Et pourtant, ce mercredi 18, c’est le grand départ pour Clisson afin de couvrir le Hellfest 2025. Le programme est chargé, mais on s’est préparé physiquement et psychologiquement pour tenir la forme durant les cinq prochains jours qui vont s’avérer extrêmement intenses. Ce que l’on ne peut, hélas, pas préparer, c’est la manière dont le Royal Matou qui m’accompagne depuis trois ans dans ce périple va réagir.
Les craintes sont fondées, tant la bestiole adorée peut se montrer imprévisible. Toutes les ruses sont permises pour réussir à l’attraper afin de le mettre dans sa cage de transport. Sans pitié, je le prends dans son sommeil digestif matinal, et zou, dans la caisse ! Ne reste plus qu’à charger tout le bordel habituel dans la voiture et partir à la fraîche, tant que les températures sont encore supportables. Cette année, nul besoin de veste ni de poncho de pluie, la météo annonçant un soleil radieux et de très fortes chaleurs. Par contre, il ne faut pas oublier de glisser dans sa valise l’accessoire mode indispensable de la collection « festivals printemps-été 2025 », à savoir, le bon vieux ventilateur manuel autrement appelé éventail, qui ne tombe jamais en panne et muscle les bras.
La route est fluide et nous arrivons chez nos logeurs sans encombre pour le déjeuner. Nous y sommes merveilleusement bien accueillis et bichonnés par les adorables Martine et Alain, qui prennent soin de notre confort dans les moindres détails. Quel bonheur de résider dans leur charmant petit studio cosy. Même Monsieur chat, quoique déboussolé par le trajet, s’y sent bien. Il est temps de filer récupérer le bracelet et découvrir les nouveautés du site. Par contre, point de nouveauté côté parking : la file d’attente pour les navettes est toujours interminable et comme les années précédentes, on rejoint donc le site à pied. La chaleur est déjà forte et c’est une épreuve pour les festivaliers campeurs qui doivent trimballer leur barda. Mais à l’arrivée, un énorme brumisateur nous attend (il y en a d’autres disséminés à l’intérieur du site par l’organisation pour faire face à la canicule qui pointe son nez), ainsi qu’une poignée de bénévoles qui nous arrosent sur demande pour nous rafraichir. Belle et fort sympathique initiative. L’accueil est bien plus spacieux qu’avant, les points billetterie ont été déplacés de l’autre côté du trottoir pour faire place à la monumentale arche en forme de guitare qui remplace l’ancienne porte d’entrée sur le Hell City Square. La Gardienne des Ténèbres est placée devant l’arche, avec son regard glacé toujours aussi impressionnant. Et la nouvelle brasserie Hell City se trouve donc sur la gauche de l’arche. Point d’attente pour récupérer le bracelet, toute l’équipe des bénévoles est au taquet pour rendre notre séjour le plus agréable possible. Dans l’Extreme Market, la température est à la limite du supportable. Alors, afin de profiter d’une dernière soirée tranquille et reposante, on ne traine pas longtemps dans le Hell City Square et on rentre se rafraichir au plus vite.

Le lendemain, les concerts ne commençant qu’à 16h30, on a le temps de rejoindre l’équipe HARD FORCE pour un petit moment entre nous, puis de flâner sur le site. Une masse de festivaliers doivent également se faire la réflexion qu’ils peuvent faire leurs emplettes au Sanctuary avant que la grand-messe ne démarre. La queue est interminable, et ce qu’ils ne savent pas encore, c’est qu’ils vont rôtir comme des dindes pendant plusieurs heures sous un soleil de plomb au lieu de profiter des concerts. Dommage ! Pour ma part, je privilégie un moment plus calme et plus tard durant le week-end, ce qui me permet de ne pas faire le pied de grue pendant des plombes et d’acquérir ce que je souhaite sans le moindre effort.
L’annonce est tombée seulement quelques jours plus tôt : les Israéliens WALKWAYS se sont vus dans l’obligation d’annuler leur participation en ouverture du festival, l’aéroport de Tel-Aviv étant fermé à toute circulation aérienne. Grosse déception pour moi qui me faisait une joie de les revoir après leur folle prestation en première partie de NE OBLIVISCARIS en octobre dernier. Militants pour la paix contre le régime de leur pays, les musiciens sont également gentlemen car ce sont eux qui ont souhaité être remplacés sur la scène de l’Altar par leurs amis de DISCONNECTED. Ainsi, le groupe français que nous suivons depuis ses débuts se retrouve pour la deuxième fois à l’affiche du Hellfest. Conscients de la chance qui leur est offerte, les cinq musiciens assurent un show ultra percutant et dynamique, qui met l’accent sur deux nouveautés : leur dernier single, "We Carry On" qui clôture le set et surtout, un inédit, "La Puissance", qui possède un passage rappé en français, grande nouveauté chez DISCONNECTED, mais qui nous semble un poil trop inspiré par LANDMVRKS. Au rayon des chansons imparables, "I Fall Again" et "Unstoppable" gagnent sans effort l’adhésion du public, alors que les titres les plus bourre-pif comme "Living Incomplete" et "Life Will Always Find Its Way" font la joie des spectateurs encore tout frais qui veulent entendre du gros son. La tente est pleine et rugit de joie à la moindre demande d’un Ivan Pavlakovic (chant) monté sur ressorts, alors que ses compères s’éclatent sur leurs instruments respectifs. Le groupe, dans une forme éblouissante, reçoit une bruyante ovation de la part d’un public conquis. En voilà une bonne entrée en matière ! Les festivaliers ressortent de la tente avec un sourire qui en dit long...
Il ne faut pas trainer car les Marseillais BLOOMING DISCORD sont déjà à l’œuvre sur la Hell Stage du Hell City Square, faisant chanter au public le refrain de leur irrésistible "Latch". Ils défendent brillamment leur premier album, « Memories From The Future » que nous avions particulièrement apprécié. Karim Arnaout (chant) se révèle un frontman charismatique et chaleureux. Les spectateurs se laissent embarquer dans l’univers du groupe dont la prestation est impeccable. A tel point qu’on est déçu qu’elle se termine au bout de 40 petites minutes. Il faut ensuite rejoindre la Valley pour SLOMOSA, et là, premier couac : impossible de passer par la cathédrale qui est noire de monde, les festivaliers étant encore en train d’arriver, ni de couper par l’entrée du Hell City Square jusqu’à la zone VIP/média comme on le faisait auparavant. Il nous faut ressortir du site, contourner l’arche et la Gardienne pour arriver à l’entrée VIP et retraverser la pelouse pour atteindre la Valley à l’opposé du site. Une aberration pour nous, journalistes et photographes, qui devons courir de scène en scène durant tout le festival !
En courant, on arrive un peu avant le début du concert et on se faufile tant bien que mal vers la barrière. La Valley déborde de tous côté pour l’un des concerts les plus attendus de ce jeudi. Les Norvégiens assurent un show intense et gras à souhait, comme on l’attend du stoner. Impossible de ne pas se trémousser le croupion tant le quintette balance du groove à la pelle. Mention spéciale au chanteur guitariste, Benjamin Berdous, qui en plus de parler en français, n’hésite pas à balancer un « Hey ! Benjamin Netanyahu, suce ma **** ! Donald Trump, suce ma **** ! Marine Le Pen, suce ma **** ! Liberté pour la Palestine », à l’heure où bien peu dorénavant dans le monde du rock osent afficher clairement leurs positions. Libre ensuite au public d’adhérer ou pas. Question musique, c’est solide et prenant.

Pour ne pas se trouver ralentie par la foule, on file pendant le dernier morceau pour rallier la Temple et assister au premier concert en France du projet du Polonais Tamás Kátai , THY CATAFALQUE, qui s’est enfin décidé à se produire sur scène et quelle baffe ! L’un des meilleurs moments de ce premier jour, avec une musique complètement dingue, aux styles multiples. En gros, ça ressemble à un gros fourre-tout où l’on trouve du black metal, du folk, de la pop, des sons synthétiques, des chœurs, des voix growlées et chantées, masculines et féminines. Deux chanteurs et deux chanteuses opposés et complémentaires, la basse puissante du maître d’œuvre, des guitares qui taillent des riffs et cisèlent des mélodies et une batterie qui blaste. Mais, dans le fond, le propos est bien plus cohérent qu’il n’y parait de prime abord. A entendre les réactions unanimes du public, il semble bien que le groupe ait remporté de nombreux nouveaux fans, et le sourire du discret Tamàs qui se met souvent en retrait ne trompe pas sur le plaisir qu’il prend à être sur scène. Un très gros coup de cœur, pour ma part. J’aime la liberté qu’il s’accorde de créer la musique qu’il souhaite sans se soucier des barrières. Ce sont ceux qui osent se montrer tels qu’ils sont qui sont les plus sincères.

On redescend avec un sourire béat sur le visage vers la Mainstage 1… mais il me faut rebrousser chemin sous peine de mourir étouffée tant c’est l’affluence des grands jours là-bas devant. C’est parti pour 50 minutes de hard rock à l’australienne, avec rythmes binaires, gros riffs, plongée dans la foule, sueur et canettes de bière éclatée sur la tête, car rien ne ressemble plus à un concert d’AIRBOURNE qu’un concert d’AC…, euh pardon, d’AIRBOURNE. Le principal, c’est que ça plaise, même si l’originalité n’est pas au rendez-vous. Les Suédois IMMINENCE prennent ensuite le relais sur la Mainstage 2 mais bénéficient d’un son un peu brouillon où les guitares et le violon du chanteur Eddie Berg peinent à se faire entendre. Un comble pour ce groupe dont la particularité est précisément ce violon qui ajoute une touche mélancolique à son metalcore somme toute assez convenu. Avec sa voix ressemblant à s’y méprendre à Sam Carter, on ne peut s’empêcher de penser que ça ressemble à ARCHITECTS avec du violon... Dommage. A revoir dans de meilleures conditions pour se faire une véritable opinion.

A cause du chevauchement d’horaire, on abrège et on s’en retourne prendre le frais (c’est un bien grand mot...) sous la Temple pour Ihsahn qui vient défendre son projet solo et dernier album très orchestral. Mais la configuration de ce soir avec guitares, basse et batterie laisse présager un réarrangement des morceaux dans des versions plus brutes. Effectivement, on assiste à un concert plus orienté vers la facette black metal de l’artiste que vers celle progressive. Seul "Until I Too Dissolve" issu de l’excellent « Arktis » (2016) et "The Distance Between Us" se veulent plus mélodiques. Dommage que la prestation du quartette soit gâchée par un son saturé de basses et des blasts de Tobias Ørnes Andersen derrière les fûts (ancien batteur de LEPROUS) qui nous empêchent de profiter pleinement des touchers magiques d’Ihsahn et de son guitariste Øystein Landsverk (ancien guitariste de... LEPROUS, qui doit se produire sous l’Altar deux jours plus tard). Concert en demi-teinte donc, même si la joie de voir le maestro sur scène est bien réelle.
Retour à la Valley pour MONKEY3 et un show de toute beauté, inspirant et même relaxant en plein air, alors que la nuit tombe sur Clisson et que l’air se fait plus respirable. Le son est parfait cette fois et on peut laisser l’âme vagabonder sur la musique planante du groupe. Tous les musiciens sont exceptionnels, mais le batteur est encore plus fascinant avec sa frappe pointue et groovy. Un moment complètement suspendu lors de ce festival gavé de décibels et de saturations. Un concert vraiment magnifique et envoutant. Le côté strictement instrumental est clairement un atout pour ce type de musique qui invite au voyage. Peu de mots échangés avec le public, la musique s’occupe de partager ce lien invisible avec les spectateurs. Cela ne fait nul doute que ceux qui étaient présents s’en souviendront longtemps. On le dit souvent : les absents ont toujours tort. Mais séance de rattrapage disponible sur Arte, alors ne vous privez pas !

Tête d’affiche de la MS1, KORN va réjouir ses fans en proposant une set-list aux petits oignons, avec un Jonathan Davis très en forme vocalement. Sans surprise, le show est carré, les lights magnifiques, le son excellent et les fans sont aux anges. Pour les autres, l’ennui menace d’arriver à une heure déjà tardive, avec la somnolence qui l’accompagne, alors on va s’installer une nouvelle fois sous la Temple pour se placer au mieux pour le concert d’ALCEST qui va nous permettre de terminer cette longue première journée dans le même état de joie intense qu’avec MONKEY3. Malgré un son un poil moins net que lors de son passage à l’Olympia en décembre dernier, le quatuor va nous offrir une heure de magie et de pureté, de douceur et de force, d’intensité émotionnelle comme seuls les quatre musiciens savent le faire. Dans le même somptueux décor qu’à Paris, avec les grues, les joncs, les jeux de lumières sublimes, la lune découpée en fond de scène qui change de couleur et offre des images saisissantes des artistes en ombre chinoises, on part loin, très loin, quelque part dans un monde parallèle qui n’est plus le Hellfest.
On est ailleurs, dans ce monde qu’a créé Neige et qui envoûte chaque âme. Si la set-list fait la part belle au superbe dernier album, « Les Chants De l’Aurore » (2024), on a tout de même droit à "Ecailles de Lune - Part. 2" en cours de set et "Oiseaux de Proie" en guise de final. Une heure, c’est court, bien trop court pour une musique de cette qualité. Neige, toujours très doux et discret remercie chaleureusement l’assistance.
On s’éparpille ensuite sous les étoiles pour rejoindre son lit, sa tente ou son gîte. Vu la foule, il me faudra cependant ne pas compter attraper une navette pour le retour, et faire le trajet à pied jusqu’au parking, si je ne veux pas prendre racine sur le trottoir jusqu’à l’aube et pouvoir dormir au moins un minimum avant de remettre le couvert le lendemain, ou plutôt, tout à l’heure, étant donné que nous sommes déjà le vendredi 20 juin. Même Sa Majesté mon chat n’y comprend rien lorsque je pousse la porte du studio à 3h du matin passée... (à suivre)
