6 décembre 2024, 23:59

ALCEST + SVALBARD + DOODSESKADER

@ Paris (L'Olympia)


Neige est arrivé en fin d’automne sur Paris, et plus précisément ce vendredi 6 décembre. Mais ce Neige-là n’est pas celui qui glace la terre et l’air, mais bien celui qui réchauffe les cœurs et les âmes. C’est entouré de ses compagnons de toujours, Winterhalter (batterie), Zero (guitare et chœurs) et Indria Saray (basse) que Stéphane Paut, alias Neige, le maître-d’œuvre d’ALCEST, a en effet rempli la mythique salle de l’Olympia pour cette date qui affiche complet, faisant honneur à la qualité éminemment poétique, sensible et envoûtante de la musique du groupe.

De manière à pouvoir, comme d’habitude, se placer au mieux (c’est-à-dire à la barrière), il est utile de partir tôt. Mais, étonnement, la circulation est fluide tant sur le périphérique que dans Paris, où tous les feux sont miraculeusement au vert. Y aurait-il anguille sous roche ? Ou simplement une bonne étoile qui brille, une fois n’est pas coutume, au-dessus de ma tête ? La foule n’est pas encore agglutinée devant les portes de l’Olympia, le concert ne doit en effet commencer qu’une heure et demie après l’ouverture de la salle,  et l’on peut donc patienter dans les premiers rangs et se trouver sans problème une place côté jardin avec une vue imprenable sur la scène.


Deux premières parties sont prévues ce soir : les Belges DOODSESKADER, puis les Anglais SVALBARD. A l’opposé de la musique éthérée et lumineuse, nous sommes dans la violence et la noirceur les plus totales avec DOODSESKADER qui propose un sludge metal expérimental particulièrement glauque, empli de mal-être. Deux personnes sur scène, le bassiste chanteur Tim De Gieter et le batteur Sigfried Burroughs, également hurleur. Accompagnée de samples, la musique se fait pesante, voire angoissante, et si le son n’est pas parfait, la présence scénique est forte et la proposition des deux protagonistes est franchement originale. Côté visuel, des vidéos sont projetées sur la scène et les corps, ce qui rajoute à l’ambiance étrange de la prestation. Comme le dit fort bien Tim De Gieter, ALCEST a pris un risque énorme en emmenant « un truc aussi bizarre que nous sur cette tournée ». Mais le risque est payant, car si les spectateurs ne sont pas tous unanimes, le duo récolte tout de même de beaux applaudissements encourageants, et d’ailleurs, à voir comme les musiciens sont émus, ils ne s’attendaient pas à un tel accueil.


Paris est la date sur laquelle ils ont remporté le plus d’adhésion, dixit le chanteur.
Entre déclamations rappées et hurlements, on ne peut d’ailleurs pas vraiment parler de chant concernant la prestation vocale de Tim. Mais l’homme est habité, torturé, les mots sont autant de coups de poignards pour crier la haine et la souffrance. Avec des titres de morceaux tels que "The Sheer Horror Of The Human Condition" et "People Have My Mind To A Point Where I Can No Longer Function", on comprend, sans avoir besoin de se plonger tout le temps dans les paroles projetées en fond de scène, que le malaise est bien réel. L’art et la musique comme vecteur de tourments et comme désinhibition des souffrances de l’être ? Sans aucun doute ! Et DOODSESKADER vient de nous en donner sa version. On ressort de cette demi-heure comme sonné, en proie à un désarroi et une tristesse certaine devant tant de douleur. Rien que pour cela, le duo mérite le plus grand respect et les acclamations du public, car il en faut du courage pour mettre ainsi son âme torturée à nu sur scène devant près de 2 000 personnes.


Changement d’ambiance avec les Britanniques SVALBARD qui donne dans un post-hardcore fortement teinté punk. Ne vous fiez pas à la jolie bouille angélique de Serena Cherry, la frontwoman étant effectivement hurleuse en chef et guitariste du groupe, et elle possède une sacrée maîtrise de la voix saturée. Dommage cependant que la guitare de son compère Liam Phelan et que la section rythmique soient prépondérantes dans le mixage masquant de ce fait les mélodies. Et si la voix de Serena est agréable, celle de Liam est par ailleurs trop linéaire, toujours dans un style hurlé, mais qui ne permet pas de distinguer des différences notables entre les chansons. Pourtant, le répertoire du quartette est accrocheur et dynamique, et leur joie de vivre palpable. Serena Cherry fait l’effort de s’adresser aux spectateurs en français, avec son délicieux accent britannique, et elle n’hésite pas à remercier chaleureusement, elle aussi, le public qui se laisse embarquer sans peine dans la musique du groupe. Les quatre rayonnent de voir l’accueil qui leur est réservé. En effet, l’ovation est bruyante, sincère et franche pour SVALBARD et l’atmosphère se réchauffe de quelques degrés. Il ne fait aucun doute qu’on aura plaisir à les revoir après cette prestation enthousiasmante.


Le rideau se referme ensuite pour la mise en place du décor de scène d’ALCEST et l’on commence à trépigner d’excitation pour découvrir ce qui nous attend. Il est 22h00 lorsque le rideau s’écarte enfin et dévoile une scénographie somptueuse. Dans un style japonisant, des panneaux translucides sont situés des deux côtés, ainsi que sous l’estrade de la batterie de Winterhalter. En décor, sont placés des gerbes de roseaux, ainsi qu’un héron géant fait de paille sur l’estrade côté cour. Un tapis est mis en devant de scène et des spots sont placés dessus, à même le sol, tandis que le fond est composé d’un autre panneau représentant une lune qui changera de couleur tout au long du set. Le jeu de lumière est tout bonnement fabuleux, ajoutant ainsi à l’ambiance poétique qui émane de la musique du groupe. Et le cadre de la salle, avec son parterre en pente et son balcon, se prête parfaitement à cette mise en scène. ALCEST entre en scène sous les acclamations du public à présent au complet et attaque directement avec les trois premières chansons du nouvel album, « Les Chants de L’Aurore », sorti en juin dernier, "Komorebi", le single "L’Envol" et le sublime "Améthyste".


Autant dire que nous sommes gâtés tant ces compositions sont de toute beauté et rendent merveilleusement bien sur scène. Le son est exceptionnel, d’une pureté absolue, permettant d’entendre distinctement les arpèges des deux guitares de Neige et Zero, la rythmique incroyable du génial Winterhalter et la basse ronde et caressante d’Indria. Les voix de Neige et Zero se complètent et s’accordent à merveille, offrant des moments de beauté incomparable comme sur le final a cappella de "Ecaille de Lune - Part. 2", où les deux voix s’harmonisent et se répondent comme deux âmes sœurs. Les fulgurances black metal et les saturations ne sont pas absentes pour autant. "Protection" et "Sapphire", issus tous deux de l’album précédent, « Spiritual Instinct », sont là pour nous le rappeler. ALCEST, c’est l’art du fragile équilibre entre douceur et rugosité, entre lumière et mystère.


​Mais partout, la bienveillance règne. Il est rare de voir un concert de metal où la félicité l’emporte sur la brutalité, et c’est un sentiment de reconnaissance qui nous emplit, car ALCEST prouve ainsi qu’il n’est nul besoin d’être dépressif et agressif pour faire de la musique puissante. Cette puissance-là nous emporte d’ailleurs bien plus loin que toute autre, par sa force d’évocation et la spiritualité qu’elle dégage. Neige n’a jamais été des plus bavards, mais lorsqu’il prend la parole, c’est pour nous remercier avec une sincérité désarmante, teintée de délicatesse. Sa voix est douce et émue, ses sourires sont intenses et ses regards pleins de bonté se posent régulièrement sur les premiers rangs, dont votre chroniqueuse fait partie, pour des échanges visuels chargés d’émotions.


La complicité et l’entente qui règnent entre les quatre musiciens donnent lieu à des passages particulièrement justes et beaux. Ils sont quatre mais ne font qu’un. Quatre âmes connectées qui naviguent dans le même univers et nous sommes les passagers émerveillés de ce vaisseau. Le silence respectueux, attentif et captivé qui règne dans la salle pendant les morceaux est épatant. Le public donne de la voix et les applaudissements explosent entre chaque chanson, libérant ainsi l’énergie positive qui s’accumule en chacun. On en profite même pour faire des traits d’humour. Ainsi retentit un « Bravo ! » tonitruant alors que Neige ne fait qu’accorder sa guitare sur quelques notes. Ce qui ne manque pas de nous faire tous rire aux éclats... "Flamme Jumelle" et "Le Miroir", avec sa rythmique signée Winterhalter qui prend aux tripes, représentent la facette la plus récente du groupe, avant que Neige n’introduise un morceau bien plus ancien : « Jamais je n’aurais cru, lorsque j’ai composé ce morceau, le jouer un jour dans un Olympia complet ! Merci à vous. » Ainsi nous présente-t-il "Souvenirs d’un autre Monde" issu de l’album du même nom (2007), et la ferveur des fans s’intensifie encore de plusieurs crans. Le temps file sans qu’on le voit passer et l’on aimerait pour lui dire ces mots de Lamartine : « Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices ! Suspendez votre cours : Laissez-nous savourer les rapides délices Des plus beaux de nos jours ! ».


Mais las, arrive bientôt la fin avec l’intense "Oiseaux de Proie", qui nous donne à savourer la merveilleuse alchimie entre les musiciens et leur technicité imparable sur ce morceau véloce. Quel élan d’énergie jouissif ! Applaudissements nourris, sourires rayonnants, yeux brillants de larmes à peine contenues devant tant de beauté. Les artistes sortent de scène, nous laissant quelques minutes de répit dans ce déferlement d’émotions avant de revenir. « Nous avons encore deux morceaux pour vous » dit Neige, en ne manquant pas de nous remercier une fois de plus, profondément touché par l’accueil des spectateurs. Fascinés nous sommes et resterons avec "Autre Temps" (« Les Voyages de L’Ame - 2012), qui fait le bonheur des fans de la première heure et c’est tout naturellement sur le somptueux "L’Adieu", même si Neige nous affirme que l’on se reverra bientôt, que s’achève la soirée.


Les perles de larmes que l’on sent poindre une nouvelle fois sont autant d’étincelles de vie qui s’échappent des corps. Reprenant le motif final a cappella, Neige nous invite à le suivre, et L’Olympia tout entier vibre au son des dernières notes sortant des presque 2000 bouches, dans un chœur géant touché par la magie de l’instant. C’est nous qui vous remercions, Messieurs, pour cette soirée hors du temps, hors du monde, cette soirée que l’on gardera précieusement au fond de nos cœurs lors des froides nuits de l’âme pour nous réchauffer de cette lumière qui émane de vous.


Photo © Régis Peylet - Portolios : ALCEST - SVALBARD - DOOSESKADER

Blogger : Sly Escapist
Au sujet de l'auteur
Sly Escapist
Sly Escapist est comme les chats : elle a neuf vies. Malgré le fait d’avoir été élevée dans un milieu très éloigné du monde artistique, elle a réussi à se forger sa propre culture, entre pop, metal et théâtre. Effectivement, ses études littéraires l’ont poussée à s’investir pendant 13 ans dans l’apprentissage du métier de comédienne, alors qu’en parallèle, elle développait ses connaissances musicales avec des groupes tels que METALLICA, ALICE IN CHAINS, SCORPIONS, SOUNDGARDEN, PEARL JAM, FAITH NO MORE, SUICIDAL TENDENCIES, GUNS N’ROSES, CRADLE OF FILTH, et plus récemment, NIGHTWISH, TREMONTI, STONE SOUR, TRIVIUM, KILLSWITCH ENGAGE, ALTER BRIDGE, PARKWAY DRIVE, LEPROUS, SOEN, et tant d’autres. Forcée d’abandonner son métier de comédienne pour des activités plus «rentables», elle devient tour à tour vendeuse, pâtissière, responsable d’accueil, vendeuse-livreuse puis assistante commerciale. Début 2016, elle a l’opportunité de rejoindre l’équipe de HARD FORCE, lui permettant enfin de relier ses deux passions : l’amour des notes et celui des mots. Insatiable curieuse, elle ne cesse d’élargir ses connaissances musicales, s’intéressant à toutes sortes de styles différents, du metalcore au metal moderne, en passant par le metal symphonique, le rock, le disco-rock, le thrash et le prog. Le seul maître-mot qui compte pour elle étant l’émotion, elle considère que la musique n’a pas de barrière.
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