30 novembre 2025, 13:14

CHAT PILE

Interview de Stin, Raygun Busch et Luther Manhole

Blogger : Tom Binet
par Tom Binet


Trois ans après s'être révélés avec leur premier album « God's Country », les Américains CHAT PILE n'en ont pas terminé avec leurs expérimentations que personne n'avait vues venir. Les voilà qui reviennent déjà avec un quatrième disque, « In The Earth Again », en collaboration avec le guitariste texan Hayden Pedigo. L'occasion de partir explorer une nouvelle fois les frontières d'un style difficilement classable, entre sludge et noise rock dissonant à souhait. Sans oublier d'offrir un regard froid mais lucide sur les tourments sociétaux de leur État d'origine, l'Oklahoma, mais également de l'Amérique dans son ensemble.
 

Pouvez-vous nous raconter comment vous avez rencontré Hayden Pedigo et ce qui vous a poussés à mener à bien ce projet de collaboration ?
Stin (basse) : Hayden est originaire d'Amarillo au Texas, à seulement quatre heures d'Oklahoma City. L'année dernière, il est venu vivre ici, juste à côté de chez moi. En arrivant en ville, il s'est présenté à nous via la page Instagram de CHAT PILE en demandant ce qu'il y avait à faire dans le coin. Je lui ai proposé de venir à un concert et de passer du temps avec nous. On s'est bien entendu et l'idée de faire un album pour voir où ça nous mènerait est venue assez vite. Comme il habite juste à côté et qu'on a enregistré dans notre studio maison, il est venu tous les jours pendant environ un mois.

Qu'aviez-vous en tête au moment de vous lancer dans ce projet, notamment du point de vue de la composition ? Est-ce que le résultat correspond à vos attentes ?
Stin : Nous n'avions pas vraiment de concept précis en tête. L'idée était surtout de jouer de la musique ensemble et voir ce qui se passe. Les chansons ont été créées de manière organique. Pour ce qui est du résultat final, je dirais qu'il est encore meilleur que ce que n'importe lequel d'entre nous aurait pu espérer. On est extrêmement fiers de cet album.

Justement, quels obstacles avez-vous dû surmonter de part et d'autre pour parvenir à ce résultat ?
Stin : Hayden a, en quelque sorte, pris le lead concernant le cheminement émotionnel de l'album : la plupart des chansons sont construites sur la base des parties de guitares qu'il a composées et sur lesquelles on a ajouté des éléments propres à CHAT PILE. Pour ce qui est des paroles et de la composition vocale, c'est Raygun qui s'en est occupé et qui a trouvé le message à faire passer à travers ce projet.

Pour parler de certains morceaux en particulier, "The Matador" est très long : il comporte différentes phases et une montée en puissance progressive. À quel moment du processus de composition avez-vous décidé d'en faire une unique chanson et qu'est-ce que cela vous a permis d'expérimenter ?
Stin : C'est probablement la chanson que j'ai pris le plus de plaisir à enregistrer. Dès le départ, je voulais en faire une sorte d'hymne épique au cœur de l'album. Je me suis inspiré de l'album collaboratif des Melvins avec Lustmord (« Pigs of the Roman Empire » sorti en 2004, NDLR), avec des morceaux qui mettent aussi du temps à se construire avant de frapper assez fort. J'aimais beaucoup ce concept ainsi que l'idée de se l'approprier à notre façon.

D'un point de vue personnel, j'ai été agréablement surpris par "Fission/Fusion" qui apporte un sommet d'intensité inattendu au milieu de l'album.
Luther Manhole (guitare) : J'avais déjà écrit la deuxième partie, plus calme, de cette chanson depuis un moment sans parvenir à lui trouver une place. Et puis quand on cherchait quoi écrire, ça m'a semblé une bonne idée d'y ajouter un début très lourd, explosif, avant d'enchaîner avec cette partie plus mélodique sur la fin. Cela semblait être aussi une bonne place pour cette chanson, juste après une chanson acoustique comme "Magic of the world". Ce serait un peu la conclusion d'une face A qui s'achève de manière très forte, puis tu tournes la cassette et tout recommence. Comme un interlude. Pour ma part, cet album était aussi l'occasion d'amener certaines choses que je n'avais pas pu utiliser dans d'autres contextes : quelques riffs, des samples ou ce genre de choses. C'est probablement l'un des passages les plus bruyants dans tout ce que nous avons composé à ce jour. Et Hayden y a rajouté une partie de guitare bien à lui. C'est l'une des chansons qui sonne le plus « Amérique de Westerns », elle a une ambiance de ce style.

Y a-t-il certaines chansons dont les paroles peuvent être interprétées de différentes manières ? Surtout en sachant que vous n'hésitez pas à prendre partie sur de nombreux sujets à travers vos compositions.
Raygun Busch (chant) : C'est toujours le cas ! Rien n'est jamais écrit pour être pris au premier degré, sauf si c'est ce que tu souhaites. Mais ce n'est pas mon rôle de tout t'expliquer, à toi de trouver ta propre compréhension ! (rires)

Pour en revenir à la collaboration avec Hayden Pedigo, sa musique s'inspire souvent des paysages locaux, tout comme le nom de votre groupe. Comment votre environnement impacte-t-il votre art ?
Stin : C'est ce qui nous unit plus que tout : on vient du même type d'endroits, avec les mêmes paysages, etc. Il y a aussi beaucoup de similitudes d'un point de vue culturel : la manière de vivre des gens, leur éducation, etc. Je crois que cela fait partie des raisons pour lesquelles on s'est si bien entendus. Il fait partie des nôtres. Parmi tous les artistes que l'on a pu rencontrer, Hayden partage avec nous une sorte de lien spirituel et notre musique est une manière de mettre en avant cette partie de l'Amérique, ce qu'Hayden fait mieux que personne.


​Si cet album était un film, lequel serait-il ?
Raygun Busch : Mon réalisateur de films préféré est français, Bruno Dumont, originaire du Nord. Il a fait « La vie de Jésus », « L'humanité », qui se passent dans sa région d'origine. Si tu me demandes de choisir un film américain, on vient de regarder « Days of Heaven » (« Les Moissons du Ciel » en français, NDLR) de Terrence Malick.

Vous venez d'achever une tournée et vous n'avez joué aucune de vos nouvelles chansons en live, y compris après la sortie de l'album. Y a-t-il une raison à cela ?
Stin : On ne veut pas jouer cette musique sans Hayden mais on le fera probablement à l'avenir. "The Matador" est probablement l'une des chansons les plus représentatives du son de CHAT PILE et on en jouera certainement une version dans une prochaine tournée. Beaucoup de gens nous ont demandé si on ferait cette tournée avec Hayden mais malheureusement, on ne le fera sûrement pas. On a fait cet album de manière très spontanée mais chacun a ses propres plans, donc c’est compliqué de jouer ensemble en live. Peut-être un jour, mais pas tout de suite.

Même sans Hayden, avons-nous une chance de vous revoir bientôt en Europe ?
Stin : Bien sûr ! On n’en est encore qu’au début de la réflexion pour tourner l'an prochain, mais probablement au mois d'août. C'est ce que l'on vise actuellement.

Quand vous êtes en tournée loin de chez vous, vous arrive-t-il d'être confrontés aux mêmes tourments sociétaux que ceux que vous décrivez dans vos chansons ? Ou bien trouvez-vous surtout des différences ?
Stin : On ne trouve pas la même impression de misère en Europe. Vous avez vos propres problèmes bien sûr, mais je crois que les nôtres aux États-Unis sont très spécifiques pour de nombreuses raisons. Pour ce qui est de l'Amérique, on observe la même chose en Oklahoma qu’aux quatre coins du pays.
Raygun Busch : Il y a peut-être des points communs à tous les pays occidentaux mais je suis d'accord avec Stin, ce que l'on traverse en Oklahoma est assez unique à l'heure actuelle.

Malgré les différences, ce qu'il se passe ailleurs peut-il également être une source d'inspiration ?
Raygun Busch : On parle beaucoup des nombreux génocides qui ont lieu actuellement : au Soudan, au Yémen, etc. D'autres pays, mais dans lesquels on trouve quand même nos bombes...
Stin : L'album « Cool World » est largement inspiré d'événements mondiaux. On évoque principalement des soucis liés à l'Amérique, qui est largement impliquée et responsable...


Pour évoquer plus particulièrement la France, vous êtes venus jouer plusieurs fois ici l'année dernière, y compris au Hellfest. Avez-vous un souvenir en particulier lié à notre pays, qu'il soit lié à la musique ou non ?
Stin : À titre personnel, le concert que l'on a donné à Paris (au Trabendo en avril 2025, NDLR) est l'un de mes préférés. Le public était extrêmement excité et surtout, après le concert, on a pu rencontrer des gens parmi les plus chaleureux que l'on ait croisés en tournée.
Luther Manhole : On entend parfois certains stéréotypes, surtout en tant qu'Américains qui venons jouer en Europe. Mais honnêtement, j'ai trouvé que la France était très accueillante à notre égard. Les gens apprécient beaucoup leurs cigarettes en France (rires). La weed est dure à trouver.
Raygun Busch : Mais on l'a trouvée !
Luther Manhole : On a joué dans des villes dont je n'avais jamais entendu parler, comme Biarritz. D’ailleurs, on voit très vite que c'est une ville pour les touristes aisés.
Stin : Et puis il y a donc eu le Hellfest. Ce sera toujours un souvenir particulier pour moi parce que j'ai eu la chance de rencontrer Munky, de Korn (James Shaffer, surnommé « Munky », guitariste de KORN, NDLR). Un rêve d'enfant.

Justement Stin, je sais que tu es un grand fan de KORN. Est-ce qu'il y a une chose en particulier que tu leur as empruntée dans ta vie de musicien ?
Stin : Je trouve qu'ils sont très efficaces grâce aux structures très simples de leurs chansons, tout en restant un groupe assez extrême. J'essaie de retranscrire ça dans CHAT PILE. Et dans mon jeu de basse, je m’inspire de Fieldy (Reginald Arvizu, bassiste de KORN, NDLR) qui a un son lourd assez précurseur. Je n'essaie pas d'être aussi heavy que lui, mais je m'en inspire tout de même dans mon jeu. C'est une influence absolument majeure pour moi.

On parle régulièrement des défis traversés par les artistes, en particulier au moment de sortir un album. Mais à part « In The Earth Again », y a-t-il d'autres victoires dont vous êtes fiers ces derniers temps ?
Stin : Chaque jour ressemble à une victoire supplémentaire pour nous ! On a lancé ce groupe au sein de notre ville d'origine dans l'Oklahoma, sans aucune attente. Aujourd'hui on a la chance d'en vivre et c'est ce qui occupe l'intégralité de notre vie. Avant ça, personne ne faisait attention à nous. Chaque jour, je découvre que de nouveaux artistes que j'apprécie sont fans de notre musique, parlent de nous, des enfants nous arrêtent dans la rue, etc.

Dernière question : bien que vous veniez tout juste de sortir cet album, avez-vous déjà en tête d'autres explorations stylistiques que vous aimeriez mener à l'avenir ?
Stin : C'est difficile à dire parce que dans notre manière de fonctionner, on ne se dit jamais : « On va écrire ce type d'album ». L'idée est toujours de passer du temps ensemble, écrire et laisser le vent nous porter à propos du style ou de ce à quoi tout cela va ressembler. Il est donc impossible de répondre à ta question. Mais je peux te dire que le prochain album, sur lequel on travaille déjà, ressemblera davantage à « God's Country » ou « Cool World », à ce que les gens attendent de nous. Mais tant que ce groupe existe, on continuera avec nos expérimentations bizarres, ça c'est sûr.

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