
« Un hippie, un poète et deux moustachus entrent dans un bar et montent un groupe ? » - telle pourrait être l'allégorie de la formation suédoise GRAVEYARD qui, après un « Hisingen Blues » stupéfiant et imprononçable, ressort les guitares et les amplis d'un autre siècle pour nous livrer un nouvel album : « Lights Out ».
Du vieux avec du neuf, c'est loin d'être un blâme pour le groupe qu'est GRAVEYARD. Sans doute enregistré en analogique dans un sous-sol loué à un dealer de LSD en manque d'argent entre une collection de vinyles d'HAWKWIND et de LED ZEPPELIN, il se révèle que ces péripéties n'ont pas été vaines.
Il ne suffit que du premier titre « Industry Of Murder » pour nous replonger dans l'univers si singulier de la formation, tapissé par une texture impérissable craquelée, poussiéreuse, vintage... La fenêtre sur les années 70, toujours grande ouverte. La pression monte crescendo sur cette première bouchée, rapidement suivie par « Slow Motion Countdown », un titre qui laisse sans voix.
Nous connaissions déjà GRAVEYARD pour son talent en ce qui concerne la composition de ballades (« The Siren », « Uncomfortably Numb » sur l'album précédent), mais ce titre sublimé par le chant clair et délicat de Joakim Nilsson nous offre 5 minutes de grande mélancolie gorgée de tristesse, déchirée à plusieurs intervalles par la guitare criarde au jeu délicat de Jonathan Ramm. Il en est de même pour la somptueuse et bluesy « Hard Times Lovin' » au climax qui nous emporte au coeur d'une étreinte amoureuse difficile, si somptueusement opérée, que l'ivresse d'un chagrin nous monterait presque sur le bord des yeux... Le féru de rock survolté y trouve aussi son compte avec « Seven Seven » à la structure dépourvue d'intro, effet des plus détonants, ou encore avec « Endless Night », second single extrait de cet album.
Si « Lights Out » est resplendissant en tous points, la vraie gemme se trouve, encore une fois, dans les textes sombres et recherchés de Nilsson : l'anticonformisme groovy de « The Suit, The Law & The Uniforms », l'indignation du single « Goliath »... On y traite également de sujets bien plus personnels, notamment avec «20/20 (Tunnel Vision)» qui donne le fin mot de ce disque : « Ain't no lights in my tunnel [...] I wanna drink again »... Ce n'est pas nouveau pour GRAVEYARD de délivrer un message, mais le quatuor détient ce don de le faire avec les mots justes, sur le fil, sans tomber dans l'apitoiement gratuit et ennuyeux, ainsi qu'en évitant les lamentations hautaines et clichées.
Sans mauvais jeu de mots, « Lights Out » dispose d'un caractère sombre sans précédent dans la carrière de GRAVEYARD, mais est-ce une prise de risque pour autant ? Sûrement pas, en effet tout porte à croire qu'il s'agit simplement d'un énième trait révélé au grand jour de la personnalité des Suédois, laquelle s'étoffe et ne manque pas de surprendre au fil des années. Il y a des groupes pour lesquels la route est longue pour arriver à créer une telle magie, et si jamais ils y parviennent, ils s'y tiennent pour le reste de leur carrière. Mais il y en a d'autres comme GRAVEYARD qui en sont les forgerons, et qui n'hésitent pas à rebattre le fer, album après album, sans jamais décevoir.
« When the music is over, turn out the lights » chantait Jim Morrison, et si nous faisions l'inverse pour changer ?