Reprendre ici l'histoire d'Alice Cooper, l'homme, le groupe, puis la carrière solo serait insultant, long, fastidieux et sûrement très incomplet, et briserait surtout l'effet de surprise pour les curieux très attirés par la mythologie entourant ce personnage, certainement l'un des plus emblématiques, sulfureux et symboliques de toute l'histoire du rock'n'roll.
L'enthousiasme à l'annonce de la sortie de ce film a été mille fois récompensé en une heure trente : on parlera de jouissance, d'extase, de bonheur absolu. En immense FANATIQUE du Coop', je n'étais jamais rassasié des multiples DVDs de concerts et d'archives existant officiellement depuis un moment, ni des inépuisables images à disposition sur YouTube. Pire, les quelques ouvrages concernant Alice Cooper s'avéraient bien pauvres en informations : sa pseudo autobiographie "Golf Monster" n'était qu'un prétexte très complaisant à parler de golf, de sa rédemption d'ex-alcoolique, de sa rencontre avec Dieu, et d'à peu près toutes les choses dont il se vante à tord ou à raison d’être le géniteur définitif depuis cinquante ans. Derrière, celle de Michael Bruce ("No More Mr Nice Guy") se montrait certes maigrichonne mais sensiblement plus honnête, et devait contrarier certains révisionnistes, le guitariste étant ici le grand absent des témoignages clés de ce documentaire pourtant réputé complet. Enfin, il existe bien quelques écrits standards et anecdotiques dont on ne retient pas grand chose, excepté une incroyable Bible d'informations décryptant la moindre date de concert, le moindre passage télé, ou le moindre 45 tours vénézuélien : "The Illustrated Collectors Guide To Alice Cooper" (par Dale Sherman, 476 pages de dingues compilant exactement TOUT ce qui se rapporte au chanteur).
Déjà adoubé par toutes les légions de métalleux dans le monde entier pour sa connaissance approfondie et donc quasi-anthropologique du heavy-metal à travers ses films et documentaires brillants ("A Headbanger’s Journey" suivi de la série thématique "Metal Evolution", "Flight 666" sur la tournée "Somewhere Back In Time World Tour" de Maiden et son infrastructure pharaonique, etc), Sam Dunn et son acolyte se sont donc attelés à un nouveau rockumentaire aussi complet que stupéfiant, tant dans le fond que dans la forme : aussi passionnants qu'ils puissent souvent être, les documentaires biographiques suivent toujours un même principe plus ou moins consensuel - cette fois, les auteurs ont opté pour l'originalité à tout prix, avec pour contrainte un exercice aussi fantasque qu'inédit, rendant autant hommage à la théâtralité des années 70 qu'au shock-rock burlesque de son principal sujet : réaliser ce docu sous forme d'un opéra !
A l’instar du fabuleux "Crossfire Hurricane" des ROLLING STONES, aucune interview filmée des protagonistes ici réunis : seules ont été conservées leurs voix off, évitant donc toute forme d'anachronisme et de décalage en présentant des images de vieilles gloires décaties pas franchement toutes fraiches (Elton John, Bob Ezrin, euh, Alice lui-même). Et parmi un flot complètement dingue d'innombrables images d'archives pour la plupart inédites et parfaitement restaurées, toutes ces voix venant raconter une incroyable histoire et autres souvenirs intacts sont calées sur des animations numériques sidérantes à partir de montages photo saisissants, d’extraits du film "Dr Jekyll & Mr Hyde" de 1931, ainsi que de petits sketches formidablement mis en scène, apportant un dynamisme fou, un réalisme saisissant et une cohérence de narration irrésistible tout au long de l'histoire.
Histoire incroyable démarrant comme n’importe quelles pérégrinations d’un groupe psyché-garage lambda des années 66-67, se cherchant une place dans le sillage des ROLLING STONES ou des YARDBIRDS, les menant de Phoenix à Los Angeles, puis de la Californie jusqu’à Detroit où ils durciront leur ton, passant d’un psychédélique foutraque, absurde et impersonnel à leur hard-rock théâtralisé avec l’arrivée du très jeune producteur Bob Ezrin, Mentor absolu du groupe qui façonnera fort singulièrement leur son, les canalisera, et développera toute une atmosphère inédite à base d’arrangements incroyablement novateurs. Rapidement sur la voie du succès grâce à une attitude ultra subversive, une aura shock-cauchemardesque et surtout des avalanches de tubes à partir de "I’m Eighteen" en 1971, le groupe ALICE COOPER, ultra-solide musicalement (quatre albums parfaits et indispensables entre 1971 et 1973) se dissout néanmoins fin 1974, laissant toute l’attention médiatique à leur chanteur quasi-schizophrène... Alice Cooper. En effet, de son vrai nom Vincent Furnier, le monstre de foire devient à la fois la cible des conservateurs et des mères de famille ainsi qu’une attraction people/hollywoodienne (il s’entoure indifféremment de Groucho Marx, Dali, John Lennon, Jack Nicholson, Keith Moon, etc) à l’aube de sa carrière solo qui voit sa popularité s’enflammer, tout comme sa santé mentale se cramer littéralement, dramatique résultante d’une dualité aliénante entre son personnage et son vrai moi anéanti par le succès et un alcoolisme ravageurs. Et c’est précisément ce que s’attarde à décortiquer la deuxième partie du film : à partir de 1975, Alice Cooper reste une personnalité publique fascinante, mais un être tourmenté et rongé par ses abus éthyliques. Avec des images incroyables de sa propre déchéance, mettant en scène un premier essai de rédemption en asile psychiatrique en 1978 (il en résultera un album aussi pop qu’angoissant, "From The Inside", version hard-soft-rock sucrée d’un "Vol Au-Dessus d’Un Nid De Coucous" autobiographique), "Super Duper Alice Cooper" n’épargne en aucun cas son sujet principal, livrant tout un flot d’images absolument terrifiantes d’un homme soumis à sa propre déchéance : les images sont terribles, tout comme ses aveux. La suite est pire encore, Alice Cooper rechutant non seulement dans l’alcoolisme mais également dans les drogues dures (cocaïne et crack) pendant quatre terribles années de brouillard absolu, pendant lesquelles il enregistrera néanmoins quatre albums dont il aura complètement oublié la conception : blackout total - de nombreuses images de son "double" squelettique témoignent notamment de la pourtant grosse campagne promo de 1982 autour de "Special Forces" où, au fond du gouffre, Alice Cooper ressemble davantage à une pute-Geisha cyber-punkoïde émaciée et fragile. A faire frémir les plus endurcis de ses fans de shock-rock grand-guignol.
Enfin, "Super Duper Alice Cooper" s’achève sur le grand retour du chanteur à la moitié des années 80, enfin sevré de la moindre trace d’alcool et de stupéfiants, récupéré par son épouse bienveillante, forcé de se reconstruire une santé dans l’ombre d’Hollywood, devenu un born-again Christian acharné et ne devant son salut que dans ses parcours de golf quotidiens et sa dévotion envers Dieu. Pourtant, the show must go on et les spectacles d’Alice Cooper sont alors devenus plus grandiloquents encore que dans les années 70, visuellement plus effrayants encore mais inoffensifs : à partir de la tournée "The Nightmare Returns", les concerts d’Alice Cooper, aussi « sanglants » soient-ils, s’avèrent être davantage devenues une distraction Disney qu’un horror-circus franchement décadent. Vincent Furnier enfile alors son costume d’Alice Cooper soir après soir, et joue à fond le jeu médiatique tel un acteur cantonné au seul rôle de sa vie, complètement dépourvu de sa part d’ombre. Une sorte de happy-ending hollywoodien pour un monstre ayant enfin trouvé une paix intérieure : si le show est donc devenu depuis trente ans un chiqué total, les fans n’y voient néanmoins que du feu et le chanteur, en bon Chrétien repenti mais toutefois excellent acteur, fait fonctionner sa franchise sans le moindre temps mort, enchaînant albums et tournées au même rythme qu’autrefois. Le film éludera d’ailleurs complètement l’aspect artistique de sa carrière solo de 1985 à aujourd’hui, omettant volontairement toutes ces périodes inégalement intéressantes ("Trash", "Hey Stoopid", "The Last Temptation", "Brutal Planet" et un paquet d’autres albums plus ou moins thématiques), puisque le double intérêt du documentaire réside dans la longue ascension (pénible puis fulgurante) de ce jeune groupe de ploucs freaks venus de l’Arizona, suivi de la déchéance humaine de son attraction principale.
Tout comme l’intégralité des films précédents de Sam Dunn, la qualité de production, l’incroyable richesse des archives et l’ingéniosité du montage font de ce nouveau long-métrage un MUST absolu, tant pour les fans obsessionnels du Coop’ (qui découvriront ici TANT de choses !!!) que pour les dingues de rock, de metal, ou les curieux en général qui découvriront une histoire authentique, dramatique et spectaculairement mise en scène. "Super Duper Alice Cooper" va profondément marquer l’histoire du film rock et s’imposer à la fois comme un incontournable et comme un nouvel exercice de style aussi jubilatoire qu’innovant.
Que peut-on espérer de mieux derrière un tel monument ? Tout simplement la même chose à l’égard d’autres artistes majeurs aux destins aussi dramatiques et cinématographiques (toujours RIEN sur AEROSMITH ou LED ZEPPELIN, biographiquement parlant...), ainsi qu’une réhabilitation en règle du patrimoine discographique d’Alice, à commencer par des rééditions Deluxe de la plupart de ses albums, à l’instar du "Billion Dollar Babies" de 1973, dignement remastérisé et repackagé par Rhino en 2001, ou des différents coffrets "Life And Crimes" ou "Old School" compilant bon nombre d’inédits. Mais il doit rester TANT de choses dans les coffres et qui pourraient magnifiquement accompagner des rééditions de "Love It To Death", "Killer" ou encore "School’s Out" dont les sorties en CD datent quand même de 1990... On est patient, et on attend...