21 juillet 2022, 17:37

Joe Satriani

"The Extremist" (1992 - Rétro-Chronique)

Album : The Extremist

Nous sommes en 2022 et cet album fête ses... 30 ans !

Alors qu’il dominait déjà de la tête et des doigts le monde de la guitare instrumentale depuis quelques années, Joe Satriani sortit le 21 juillet 1992 un quatrième album plus direct et furieusement hard rock, en tout cas moins sophistiqué que ses prédécesseurs. Pour récapituler, « Not Of This Earth » avait été en 1986 une sorte de première rencontre avec le troisième type, malgré tout pas facilement accessible au commun des mortels en dépit de titres coup de poing ("Memories", "Hordes Of Locusts") quand le bien-nommé « Surfing With The Alien » l’avait mis l’année suivante à jamais sur le radar de la planète metal tandis que « Flying In A Blue Dream » l’avait vu en 1989 être consacré meilleur guitariste de la quasi-totalité des référendums de la presse spécialisée mondiale grâce à un album impeccable de bout en bout, sur lequel on avait découvert que le six-cordiste virtuose avait également un joli brin de voix et qu’il savait par le même temps manier l’harmonica (cf. l’un des soli de "Big Bad Moon").
« The Extremist » lui, s’est voulu un concentré du meilleur des disques précédents et il inaugurait la collaboration entre Joe et le producteur Andy Johns, ce dernier ayant œuvré précédemment aux manettes sur « Night Songs » et « Long Cold Winter » de CINDERELLA ainsi que sur « Trust IV » de nos compatriotes TRUST (ou « Idéal » selon les préférences, « Man’s Trap » dans sa version anglaise). Jusqu’ici, Joe s’était entouré derrière la console du seul John Cuniberti et celui-ci, présent à nouveau, ne fut crédité cette fois que sur la production de quatre morceaux sur les dix que compte l’album.

Côté musiciens, c’est aussi la première fois que l’on entendit la section rythmique des frères Bissonette, Matt à la basse (sur 3 titres) et Gregg à la batterie (sur 4 titres), tous deux débauchés du groupe de David Lee Roth, une fois encore en totale adéquation pour une section rythmique au cordeau, le minimum syndical lorsque l’on joue avec une telle pointure. Pour le reste, en bon multi-instrumentiste qu’il est, Joe se charge de tout ou presque, bien qu’il fasse aussi appel à de bonnes connaissances tels les batteurs Simon Phillips, Bongo Bob ou Jeff Campitelli (qui est encore à ce jour l’un de ses plus fidèles compagnons de route), Paulinho da Costa au percussions ou encore le bassiste Doug Wimbish, entendu cette même année sur le « Erotica » de Madonna et qui rejoindra un an plus tard le groupe LIVING COLOUR. En 1992, Satch n’a déjà plus grand-chose à prouver niveau shred bien que « The Extremist » compte un certain nombre de morceaux de bravoure à l’instar de "Friends", de la chanson donnant son titre à l’album et son dobro introductif, de "War", "Why" qui revêt des allures cosmiques sur le live « Satchurated: Live In Montreal », "Motorcycle Driver" ou encore de la fort à propos "Summer Song" pour un disque sortant en période estivale, ce dernier titre étant devenu une incontournable de la fin des concerts du maestro, en version rallongée histoire de prolonger le plaisir. A son propos, Joe avait accordé en 1995 une interview à l’édition américaine du magazine Guitar World dans laquelle il évoquait l’envers du décor de cette chanson : « J’avais trouvé le nom du morceau avant de l’écrire. Et c’est probablement l’une des compositions les plus directes que j’ai jamais écrite. J’ai tenté ici de retrouver la sensation que l’on avait lorsque l’école se terminait et qu’arrivaient les grandes vacances. Tout peut alors arriver et tu as les hormones en ébullition. Voilà donc de quoi il retourne pour cette "Summer Song". Sur le plan technique, lorsque John Cuniberti et moi l’avons enregistrée, je lui ai dit "Ecoute John, je vais utiliser une seule guitare pour cette chanson." Tout ça parce que sur « Surfing With The Alien » et « Flying In A Blue Dream », il y avait des couches et des couches de plein de guitares et tonalités différentes qui s’entrelaçaient au sein d’un même morceau. Là, pour arriver à mes fins, j’avais en tête l’image d’un type avec une seule guitare, jouant tout d’une traite sans s’arrêter du début à la fin. »


​Bien sûr, ce genre de chansons est une patente de la marque Satriani mais on trouve sur ce disque de nombreuses autres nuances comme il a pu nous être donné d’en entendre déjà sur l’album précédent. On prendra ici pour exemple "Cryin’" ou la personnelle "Rubina’s Blue Sky Happiness", deuxième morceau dédié à sa femme Rubina après un premier titre à son seul prénom sur « Not Of This Earth ». Plus encore, on évoquera la courte et délicate "Tears In The Rain" toute en retenue et jouée à la guitare acoustique ou bien la finale (et parfois échevelée) "New Blues", s’étendant sur près de sept minutes, autant de compositions qui tranchent avec le mono-phrasé sur triphasé que l’on connait (et ce, sans jamais perdre le sens de la mélodie, contrairement à pratiquement tous les autres shredders passés et actuels). Ces compositions s’insèrent alors dans l’ensemble d’une manière si bien agencée qu’on peut véritablement parler d’architecture musicale le cas présent.
Présente uniquement sur la version japonaise de l’album puis incluse en 1993 sur le double album « Time Machine », "Crazy" nous permet d’entendre, comme sur quelques morceaux de « Flying In A Blue Dream » la voix de Joe. Une chanson qui a bien fait d’être écartée du track-listing de « The Extremist » car à son écoute, on peut légitimement se dire qu’elle aurait nuit à son osmose globale mais pas inintéressante pour autant, à redécouvrir donc à la fin de ces lignes. Il est également important de s’arrêter sur tous les petits croquis que l’on retrouve dans le livret du CD et l’insert du vinyle, qui en disent long sur l’artiste. Aussi, lorsqu’il fut interrogé sur la période précise où son intérêt pour les arts plastiques s’éveilla, voici ce qu’il indiqua : « Je dessinais plutôt des choses folles, mais les lignes droites et les cercles parfaits me passaient au-dessus. (…) Nous avons tous dessiné des trucs dingues pendant notre jeunesse. Moi, j’ai continué à le faire même si ça n’a pas vraiment envahi ma carrière musicale. Du moins jusqu’à l’album « The Extremist ». J’avais alors pas mal de temps libre. J’avais beaucoup de temps à tuer lorsque je résidais à l’hôtel Le Parc à Hollywood pendant que j’essayais de terminer l’album. Je dessinais tout le temps, et finalement, ces croquis se sont retrouvés dans l’album et le livret du CD. » On imagine que son intérêt pour les arts visuels prend sa source auprès de sa sœur, qui a customisé bon nombre d’Ibanez Signature et sangles de guitares de son frère (on aperçoit d’ailleurs une de ces guitares au dos de la pochette de l’album « Flying In A Blue Dream »). Pour l’anecdote et preuve que son attrait pour le dessin ne s’est pas démentit avec le temps, en 2009 lors de la première tournée de CHICKENFOOT, groupe formé avec le chanteur Sammy Hagar et le bassiste Michael Anthony (tous deux ex-VAN HALEN) et le batteur Chad Smith (RED HOT CHILI PEPPERS), Joe prenait chaque soir un t-shirt noir uni sur lequel il faisait un dessin différent avant d’entrer sur scène, devenant ainsi une œuvre éphémère et lui, se muer en support vivant.

Comme évoqué en préambule, se voulant plus concis et accessible au grand public, « The Extremist » rencontra un grand succès commercial et fut certifié or aux Etats-Unis et en France, se classant à la 22e place du Billboard Top 200 et à la 13e de nos charts nationaux. Les stations de radio américaines ayant jeté leur dévolu sur le single "Summer Song", cela eut pour effet d’attirer l’attention de Sony qui l’utilisa alors pour une gigantesque campagne publicitaire pour ses lecteurs de CD portables Discman. A la suite d’une longue tournée de promotion pour l’album, passant à de multiples reprises en France au début de l’année 1993 (avec deux dates au Zénith parisien à un mois à peine d’intervalle), Joe se vit proposer d’intégrer définitivement DEEP PURPLE à l’issue d’un remplacement de Ritchie Blackmore pour les dates qu’avaient données le groupe au Japon. Venant de signer un contrat pour plusieurs albums avec la major Sony Music, il déclina cette alléchante proposition financière mais aliénante artistiquement parlant et le choix de DEEP PURPLE se porta finalement et fort heureusement pour tous les fans de Joe sur l’excellent Steve Morse. Tous les détails de cette parenthèse dans le CV du guitariste sont à retrouver dans l’article « Le jour où… » consacré à cet épisode de la carrière de Joe, compilés par Laurence Faure.

Pour aller plus loin :
​« Surfing With The Alien » (1987) : l’accès au succès, des classiques et rien que des classiques.
« Flying In A Blue Dream » (1989) : la consécration générale, loué par tous et contenant là encore des titres passés à la postérité.
« Crystal Planet » (1998) : de retour à l’électrique après un intermède sur un « Joe Satriani » à part dans sa discographie et paru en 1995.
« Satchurated: Live In Montreal » (2012) : des nombreux lives disponibles au catalogue, certainement le plus complet.
« What Happens Next » (2018) : enregistré en trio avec Glenn Hughes à la basse et Chad Smith à la batterie. Indispensable.
« The Elephants Of Mars » (2022) : après plus de trente-cinq ans de carrière discographique, tout simplement l’un des meilleurs albums que Satch ait sorti.




Blogger : Jérôme Sérignac
Au sujet de l'auteur
Jérôme Sérignac
D’IRON MAIDEN (Up The Irons!) à CARCASS, de KING’S X à SLAYER, de LIVING COLOUR à MAYHEM, c’est simple, il n’est pas une chapelle du metal qu'il ne visite, sans compter sur son amour immodéré pour la musique au sens le plus large possible, englobant à 360° la (quasi) totalité des styles existants. Ainsi, il n’est pas rare qu’il pose aussi sur sa platine un disque de THE DOORS, d' ISRAEL VIBRATION, de NTM, de James BROWN, un vieux Jean-Michel JARRE, Elvis PRESLEY, THE EASYBEATS, les SEX PISTOLS, Hubert-Félix THIÉFAINE ou SUPERTRAMP, de WAGNER avec tous les groupes metal susnommés et ce, de la façon la plus aléatoire possible. Il rejoint l’équipe en février 2016, ce qui lui a permis depuis de coucher par écrit ses impressions, son ressenti, bref d’exprimer tout le bien (ou le mal parfois) qu’il éprouve au fil des écoutes d'albums et des concerts qu’il chronique pour HARD FORCE.
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