Les musiques extrêmes ont le vent en poupe dans les Hauts-de-France. Une semaine après que ROTTING CHRIST, BORKNAGAR et SETH ont rempli le Black Lab, le Tyrant Fest, septième du nom, affichait lui aussi complet. Ce festival noir, organisé à la perfection, s’extirpe du simple cadre de la musique pour offrir des plaisirs aussi sombres que variés. Pièce de théâtre, film, découverte du passé minier sur le site du 9-9 bis ou balades contés aux flambeaux donnent à l’événement une grande richesse... sans oublier les nombreux stands qui font souffrir les porte-monnaies. Mais, comme l’écrit Verlaine, « de la musique avant toute chose ».
Les concerts, dotés au Métaphone d’un son de grande qualité, sont courts. 45 minutes pour la plupart des groupes et une heure pour les têtes d’affiche, même si des ajustements sont possibles. Certains spectateurs se plaignent de cette brièveté mais l’intensité avec laquelle jouent les musiciens et la complexité envoûtante ou l’extrême violence des prestations rendent ces trois quarts d’heure suffisants ; ce sont de vériables plongées en apnée dans des univers souvent fascinants... à de rares exceptions près comme BLACKBRAID (19h40 – 20h30) qui, en ce premier jour, fait pâle figure, malgré le maquillage de ses membres. Projet solo de Jon Krieger, sorte de Sebastian Bach amérindien qui fait accourir les jeunes femmes vers les premiers rangs, il assène un black metal bas du front, fade resucée de la scène norvégienne, épicé d’un décorum indien, parfois bien artificiel. Le leader utilise ainsi une flûte... que nul n’entend. Certes le charismatique frontman, qui finit torse nu, s’agite, fait tournoyer son micro, se colle à ses camarades, se projette si près du public que les plumes de son micro frôlent les têtes mais, malgré les pogos qui animent la fosse, les compositions vaguement épiques ne permettent pas d’emporter l’adhésion.

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La fête macabre commence dans les lights rouges et bleus de DÖDSRIT (16h00 – 16h45), projet solo de Christoffer Öster. La violence est bien dosée, fruit de passages heavy idéaux pour headbanger, entrecoupés d’accélérations radicales inspirées du crust et d’instants plus lourds et malsains, voire mélancoliques quand s’allongent les plages instrumentales, quand jaillit la mélodie d’un solo. Si les quatre musiciens, dont deux guitaristes chanteurs, l’un black, l’autre plutôt hardcore, sont assez statiques et communiquent peu, Christoffer conclut son set par un tonitruant « Make fucking noise, Tyrant ! ».

Dès son intro déclamée et lugubre, les Américains LAMP OF MURMUUR (17h15 – 18h00) montre la voie sombre qu’ils nous invitent à emprunter. Capes noires, corpse paint, bracelets à clous et poses martiales sont de sortie pour une plongée dans un black furieux porté par de graves vocaux d’outre-tombe et des accélérations fulgurantes ("Deformed Erotic Visage"). L’obscurité est trouée de flashs qui mettent en évidence la présence de M. – le Maudit ? – leader comme envoûté par ses compostions. La brutalité très raw s’éclipse parfois derrière un romantisme noir, derrière un rideau mélancolique comme sur le glacial "Of Infernal Passion And Aberations", proche du souffle d’un EMPEROR. Une brise gothique, sortie d’un caveau, hante certains passages, comme sur le très réussi "Heir Of Ecliptical Romantism". LAMP OF MURMUUR a confirmé sur scène tout le bien que l’on pensait du groupe à l’écoute de ses enregistrements.

Bienvenue ensuite dans la folie – il s’agit d’un groupe capable de signer un morceau de 45 minutes, "The Cavern" – aussi intelligente que violente d’INTER ARMA (18h30 – 19h15), coup de cœur et de boule de ce Tyrant Fest. A six sur les planches, les Américains commencent par trinquer autour de leur batteur en t-shirt rose... et se lancent ensuite dans un concert épileptique. Chacun des musiciens vit le moment à sa façon, de l’excitation totale du chanteur, qui passe de l’aigu au grave sans ciller, au calme inébranlable du bassiste. Quant au cogneur, il vide des canettes... Sludge, doom, death ("New Heaven"), black ("Violet Seizure"), progressif copulent en une folle sarabande, les années 70, 90 et post-2000 se livrent à une orgie jouissive magnifiée par les claviers et le thérémine d’un Jon comme envoûté. Si les morceaux sont tortueux ("New Heaven" balancé d’entrée donne le ton), se déploient souvent en longs instants instrumentaux ("The Long Road Home", trip pinkfloydien qui donne envie de se noyer dans l’infini) portés par la batterie, ils dégagent toutefois une énergie et une forme d’évidence qui les rendent irrésistibles.Torturée et hostile mais enivrante la musique d’INTER ARMA est un délicieux paradoxe. Après cette claque auditive, rendez-vous au bar pour récupérer en dégustant une Drache, succulente bière artisanale brassée à Carvin ; il en faut quelques-unes pour se remettre de ses émotions.

Tout en tension hypnotique, tout en angoisse monolithique, MIZMOR (21h00 – 22h00) dessine une toile sombre, un doom/sludge oppressant traversé de rares accélérations et de vocaux black. Les quatre longs morceaux sculptent un bloc d’obsidienne qui enferme une âme dépressive ; quelques touches acoustiques, hélas diffusées sur bande, laissent penser que la seule issue, la seule pureté résiderait dans le suicide... Le début du bien nommé "No Place To Arrive", guitare saturée et lenteur terrifiante brûle d’un soleil noir qui ronge le cœur ; terrifiant.
AMENRA (22h25 – 23h35) distille son venin dès les premières secondes du concert. Colin, de dos, à genoux, joue les percussions qui lance "Boden". La tension monte progressivement, insidieuse, vicieuse avant d’exploser en une lourdeur sinistre. Le chanteur, que l’on devine sur un fil prêt à se rompre, entame un dialogue avec les images en noir et blanc – celles du clip – qui défilent sur l’écran. Il semble s’adresser à la jeune femme qui erre dans une forêt mystique, comme une sorcière perdue, la musique lancinante tissant une toile d’angoisse. Les Belges naviguent toujours dans un entre-deux inquiétant, dans un purgatoire où la colère et la haine, tutoient la tristesse et la pureté, où les cris s’apaisent en murmures et narratifs ensorcelants ("De Evenmens"), en mélodies cathartiques (le sublime "Plus Près de Toi" au souffle grandiose, au soufre black metal) sur une musique pesante comme un ciel avant l’orage. Le noir règne en maître, absorbe l’attention d’une salle captivée, capturée, happée par la force de compositions qui ont la beauté de la charogne baudelairienne, celle qui résonne dans la dernière strophe de ce poème :
Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine
Qui vous mangera de baisers,
Que j'ai gardé la forme et l'essence divine
De mes amours décomposés !
A genoux, encore, torse nu, dos tatoué d’une longue croix face à la fosse, Colin, prêtre défroqué, a rendu un hommage païen aux sentiments les plus troubles quand s’achève "Diaken", écho au "Boden" initial, ultime point qui referme un cercle de douleur.
