23 novembre 2021, 17:21

LE JOUR OÙ...

James Hetfield et Lars Ulrich découvrent le clip de "One"


​Sortie en 1989, la vidéo de "One" a beau avoir prouvé que METALLICA était un groupe à part qui imposait ses propres règles, sa genèse s'est faite dans la douleur. Car quand James Hetfield et Lars Ulrich découvrent son premier montage, ce n'est pas l'extase (ni de l'or ni du reste) – loin de là ! 


Si l'on demande à n'importe quel fan de metal de citer les trois vidéos qui l'ont le plus marqué, il y a 90 % de chances pour que celle de "One" de METALLICA y figure. D'une part pour sa valeur historique, parce que c'était la première fois que le groupe de San Francisco acceptait de répondre aux sollicitations plus que pressantes de MTV, qui faisait alors la pluie et le beau temps outre-Atlantique. Et, précision importante, dont le quartet n'avait nullement eu besoin jusque-là pour convertir les masses sans cesse plus nombreuses à ses concerts, « Master Of Puppets », son troisième album, ayant dépassé les 500 000 ventes aux USA. On était alors bien loin du format "un clip par chanson en 24 heures" de « Hardwired… To Self-Destruct » (2016), dernière réalisation studio en date des Four Horsemen. Autres temps, autres mœurs, dirons-nous.

Mais surtout, c'est l'intensité et le côté purement viscéral des images de "One", extraites du film Johnny s'en va-t-en guerre (Johnny Got His Gun en version originale), couplées à ce qui demeure l'un des titres majeurs du répertoire des Américains et du thrash, qui a laissé une empreinte indélébile sur ceux qui l'ont vue. Une expérience éprouvante, limite traumatisante, dont personne n'est ressorti totalement indemne. A la base de ce qui deviendra le texte de "One", il y a une idée d'Hetfield. « Pendant la composition de « Master Of Puppets », James s'est demandé : "Que se passerait-il si quelqu'un, un cas désespéré, se retrouvait dans une situation où il est conscient, mais incapable de communiquer avec les gens qui l'entourent ?". S'il n'avait plus ni bras ni jambes, s'il était aveugle, sourd et muet ? »​ racontera par la suite Lars Ulrich, le batteur, pour expliquer la genèse de la chanson. Deux ans plus tard, à l'heure de composer ce qui deviendra « …And Justice For All », qui sera enregistré... aux One On One Studios, leurs managers leur conseillent de regarder Johnny Got His Gun après que le chanteur/guitariste a évoqué le sujet de la chanson qui présente d'étonnantes similarités avec le film.
 

« Pendant la composition de « Master Of Puppets », James s'est demandé : "Que se passerait-il si quelqu'un, un cas désespéré, se retrouvait dans une situation où il est conscient, mais incapable de communiquer avec les gens qui l'entourent ?". S'il n'avait plus ni bras ni jambes, s'il était aveugle, sourd et muet ? »​ racontait Lars Ulrich. C'est justement le sujet du poignant « Johnny s'en va-t-en guerre » dont des images seront utilisées pour le clip de "One".


Ecrits à la première personne, les lyrics de "One" suivant au plus près les pensées de Joe Bonham, héros malheureux du roman de Dalton Trumbo qui portera son pamphlet antimilitariste sur grand écran en 1971, trois décennies après l'avoir écrit, on peut supposer que James les a affinés après avoir visionné le film. On suit l'histoire bouleversante de ce jeune Américain idéaliste, parti au front pendant la Première Guerre mondiale et grièvement blessé par l'explosion d'un obus. Défiguré, sourd, aveugle et muet, il sera amputé des quatre membres par les médecins qui ignorent alors que cet homme-tronc est parfaitement conscient de son état (« Nourri par la sonde fichée dans mon corps/ comme un gadget de temps de guerre/ Relié aux machines qui me font vivre/ Coupez-les »).

Pour ne pas sombrer dans la folie, Johnny tente de se souvenir des moments heureux de sa vie (les images en couleurs où il se revoit avec son père ou celle qu'il aime) par opposition à l'enfer dans lequel il vit, en noir et blanc (« Je retiens ma respiration en espérant la mort/ Oh s'il te plaît, Dieu, réveille-moi »). Et, pour se faire comprendre des infirmières, il ne peut que bouger sa tête sur l'oreiller pour communiquer en morse. En répétant à l'infini : « Kill me », « Tuez-moi ». Ce que l'une d'entre elles essaiera de faire pour mettre fin à son calvaire, les docteurs étant, eux, bien trop intéressés par ce surprenant cas d'école pour lui permettre d'en finir… « Les ténèbres m'emprisonnent/ Je ne vois rien d'autre/ Horreur absolue/ Je ne peux pas vivre/ Je ne peux pas mourir/ Piégé en moi-même/ Mon corps est ma prison/ Une mine a emporté ma vue/ a emporté ma voix/ a emporté mon ouïe/ a emporté mes bras/ a emporté mes jambes/ a emporté mon âme/ Je vis désormais en enfer » scande Hetfield sur fond de riffs aux airs de mitrailleuse. 

James a vraisemblablement puisé l'inspiration du titre du morceau dans le passage suivant du roman de Trumbo : « How could a man lose as much of himself as I have and still live? When a man buys a lottery ticket you never expect him to win because it’s a million to one shot. But if he does win, you’ll believe it because one in a million still leaves one. If I’d read about a guy like me in the paper I wouldn’t believe it, cos it’s a million to one. But a million to ONE always leaves one. I’d never expect it to happen to me because the odds of it happening are a million to one. But a million to one always leaves one. One. » 
Qui peut se traduire par quelque chose comme : « Comment un homme peut-il perdre autant de lui-même que moi et continuer à vivre ? Quand quelqu'un achète un ticket de loterie, on ne s'attend jamais à ce qu'il gagne parce qu'il a une chance sur un million. Mais s'il gagne, on y croira parce que dans "une chance sur un million", il y a "une". Si j'entendais parler de quelqu'un comme moi dans un journal, je n'y croirais pas parce qu'il y a une chance sur un million pour que cela arrive. Mais dans UNE CHANCE sur un million, il y a toujours "une". Je n'aurais jamais imaginé que cela puisse m'arriver parce que la probabilité est d'une sur un million. Mais dans UNE CHANCE sur un million, il y a toujours "une". Une. » "One" signifiant donc à la fois "une" mais aussi "seul".

Cette longue explication de texte posée, c'est donc tout naturellement qu'à l'heure de plancher sur le storyboard de ce qui sera l'entrée en grandes pompes de METALLICA dans le monde des vidéos, avec le troisième et dernier single extrait de « …And Justice For All » (1988), il est décidé que seront intégrés des images et même des passages de Johnny s'en va-t-en guerre dont ils ont acquis les droits. Sorti en pleine guerre du Vietnam, le film s'était d'ailleurs vu décerner le Grand Prix Spécial du jury au Festival de Cannes, une victoire d'autant plus grande pour Trumbo qu'accusé d'être communiste, il avait été victime du maccarthysme dans les années 1940 et 1950 aux USA, ce qui l'empêchait d'exercer son métier. Seulement voilà, rapporte Michael Salomon, coréalisateur de "One" avec Billy Pope, Lars et James sont tout sauf enthousiastes après avoir visionné le premier montage...

Ils ont pourtant largement discuté en amont avec le batteur de leur vision du clip, mais ce dernier reste sur ses gardes. « C'est notre toute première vidéo, n'allez pas tout foutre en l'air ! » les a-t-il prévenus sur un ton pas très avenant. « Au bout d'une minute, James – qui me faisait un peu peur, on m'avait raconté certaines histoires à son sujet – se lève en disant : "C'est quoi ce bordel ?" et se casse » se souvient Salomon dans une interview exclusive qu'il a accordée à Metal Hammer. Ça part moyen, d'autant plus que le batteur est lui aussi passablement énervé que la musique soit partiellement couverte par des dialogues du film et qu'il y ait trop d'inserts du long métrage à son goût, parallèlement aux images du groupe – également composé de Kirk Hammett et Jason Newsted – qui ont été filmées dans un hangar. Il faudra un mois d'allers et retours entre les deux musiciens et les réalisateurs pour arriver à l'équilibre parfait. Finalement satisfaits du résultat, les musiciens feront à nouveau appel à Salomon qui filmera leur concert à Seattle, le 29 août 1989, que l'on retrouvera dans le coffret Live Shit: Binge And Purge commercialisé en 1993.

"One", véritable pavé de 7 mn 44, sera diffusé pour la première fois le 20 janvier 1989 sur MTV en dernière partie de soirée. Trop sombre, trop désespéré, trop désespérant pour la chaîne à une époque où le hard US et ses vidéos pleines de bombes pneumatiques découpées au laser et de musiciens qui pronent pour la plupart un mode de vie hédoniste dominent les charts et, par extension, la chaîne musicale américaine. Seulement voilà : les fans des quatre de San Francisco, toujours plus nombreux et fidèles, ne vont pas se contenter d'une unique diffusion (à l'époque, pas de rattrapage possible sur Internet, qui n'existe pas encore pour le commun des mortels) et les demandes se multiplient au point que "One" réapparaît bientôt en pleine journée, jusqu'à se classer n° 1 des vidéos diffusées sur la chaîne ! Aux côtés des BON JOVI, DEF LEPPARD, WHITE LION, Madonna ou Michael Jackson. Un intrus s'est glissé dans la programmation… à moins que ça ne soit l'inverse ? Une réussite absolue qui prouvera que, pour paraphraser Sinatra, METALLICA, au sommet de son art, "did it their way" – a fait les choses à sa façon –, sans se plier ne serait-ce que l'espace d'un instant aux diktats de l'époque. Et on peut vraiment dire qu'il y a un avant et un après "One" en termes de ce à quoi peut ressembler un clip.

En juillet dernier, Rolling Stone a publié la liste des plus grandes vidéos de tous les temps, tous styles confondus. "One", qui approche désormais les 235 millions de vues au moment où j'écris ces lignes, y pointait 42e.
 


La "Jammin' Version" qui compte 2 minutes 20 de moins


12 novembre 2021 au Welcome To Rockville Festival à Daytona, en Floride. Toujours aussi imparable 32 ans plus tard…

 

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Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
Ses autres publications

2 commentaires

User
Karl Libus
le 24 nov. 2021 à 19:24
Excellent article!!! Number ONE??
User
Laurence Faure
le 24 nov. 2021 à 20:57
Merci Karl. :)
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