En avril 2011, K.K. Downing quitte JUDAS PRIEST. Pour lui, le groupe a fait son temps et n'est plus que l'ombre de lui-même. Ce qui ne l'empêchera pas, pendant des années, de tenter par tous les moyens de réintégrer son poste. En vain.
« Je n'ai pas pris ma retraite, ce qui aurait signifié que je n'étais plus en mesure de jouer en live. Je l'étais, mais je n'en avais plus envie. Je ne m'amusais plus. » Voilà comment Kenneth “K.K.” Downing explique à Midland Rocks, en septembre 2013, les raisons de son départ de JUDAS PRIEST deux ans plus tôt, après 38 années de bons et loyaux services, 16 albums studio et plusieurs live en qualité de moitié de l'une des paires de six-cordistes les plus influentes du metal, son binôme étant bien entendu Glenn Tipton. Avant d'asséner : « Il y a au moins 30 raisons qui m'ont poussé à partir. Ce qui fait beaucoup. Honnêtement, je pense que le groupe a fait son temps. »
A l'époque, le guitariste a décidé de profiter de son confortable compte en banque après presque quatre décennies à sillonner les routes du monde entier (“Rock you all around the word”, comme le chantait le Metal God sur Turbo en 1986) et il se rêve entrepreneur à succès. Il décide donc de lancer un complexe hôtelier de luxe avec golf 18 trous, hôtel, spa et bungalows. Accessoirement, il proposera même un parfum décliné en version pour lui et pour elle – Metal For Men et Metal For Women – qui ne connaîtra pas le succès. Las, en 2018, à peine deux ans après son lancement, son aventure tourne au fiasco. « J'ai pris quelques mauvaises décisions commerciales » admettra-t-il.
Ses entreprises de loisirs étant placées sous administration judiciaire, Downing vend à Round Hill Music sa part des droits d'auteur de 136 chansons de JUDAS, parmi lesquelles les classiques que sont “Breaking The Law”, “Painkiller” et “Living After Midnight”. Selon FRP Advisory LLP, les administrateurs qui ont géré la vente des droits, la part du catalogue du guitariste génère entre 340 000 et 400 000 dollars par an (à peu près entre 299 000 et 351 000 euros). Du coup, il ouvrira un peu plus tard une salle de concerts à Wolverhampton, au cœur des Midlands, baptisée K.K.’s Steel Mill.
Quand, en février 2018, on apprend que Glenn Tipton, qui souffre de la maladie de Parkinson depuis déjà sept ans, ne pourra pas partir en tournée, K.K. attend que le téléphone sonne…
Cet échec cuisant lui fait réaliser que finalement, son ancienne vie lui manque cruellement. Comme la plupart des musiciens (célèbres) rangés des voitures qui, une fois passée l'euphorie de ces “vacances permanentes” à profiter de la vie sans le spectre de la spirale infernale studio-tournée-studio-tournée – l'équivalent de “notre” [métro-]boulot-dodo –, comprennent qu'il est temps pour eux de reprendre la route, pas compatibles qu'ils sont avec la routine qui est le lot de la plupart des gens. Surtout que, contrairement aux formations à jamais cantonnées à l'enfer de la seconde division, qui continuent, après des décennies d'existence, à s'entasser dans un tour bus avec tout le confort sur le palier, cela fait bien longtemps que le groupe majeur qu'est JUDAS voyage dans les meilleures conditions et descend dans de très beaux hôtels. Et puis, la reconnaissance du public lui manque. Don Salluste n'est pas le seul à réclamer ses acclamations et son enthousiasme dans La Folie des grandeurs…
Mais pour lui, pas question de repartir à zéro : il veut, évidemment, réintégrer JUDAS PRIEST. Le problème pour K.K., c'est que la (killing) machine ne l'a pas attendu et n'est pas restée longtemps amputée d'un de ses solistes. Plutôt que de faire appel à un vétéran du circuit, les musiciens de Birmingham ont décidé d'apporter du sang neuf à leur metal en choisissant Richie “The Hawk” Faulkner, ex-guitariste de VOODOO SIX et de Lauren Harris, fille de Steven de MAIDEN, alors âgé de 21 ans. Soit environ 30 de moins que ses nouveaux employeurs. Et, s'étrangle Downing, il n'est pas sans le rappeler physiquement quand il était plus jeune…
Alors, quand, en février 2018, Glenn Tipton, qui souffre de la maladie de Parkinson depuis déjà sept ans, doit se résoudre à ne pas partir en tournée avec le PRIEST pour promouvoir « Firepower », leur 18e LP, K.K. attend que le téléphone sonne. En vain. Les musiciens ont en effet préféré faire appel à Andy Sneap, leur producteur et guitariste (ex-membre de SABBAT), qui s'est donc retrouvé embarqué sur la tournée. Preuve que Downing n'est pas le bienvenu. Ou que ça faisait trop de guitaristes blonds en cuir noir sur scène, on ne sait pas…
Vert de rage, l'éconduit fait semblant de ne pas être trop touché par ce nouveau camouflet, en annonçant que s'il est toujours « ouvert » à une future collaboration avec ses anciens collègues, encore faudrait-il que ces derniers y mettent vraiment les formes pour qu'il accepte de revenir. « S'ils m'avaient proposé de les rejoindre, ce qui n'est pas le cas, ma réponse aurait totalement dépendu de la manière dont ils l'auraient formulé et de ce qu'ils auraient eu à m'offrir. Et ce serait la même chose s'ils me contactaient à l'avenir. » Sans doute commence-t-il à regretter le second courrier qu'il a expédié au groupe lorsqu'il a pris congé en 2011. Le premier leur expliquait en effet qu'il souhaitait prendre sa retraite, sans plus de détails, et, de son propre aveu, restait courtois.
Mais quand, sur les conseils de proches, K.K. revient sur sa décision en avril 2011 et contacte Ian Hill, le bassiste, à qui il demande la setlist de ce qui aurait dû être l'“Epitaph Tour”, la tournée d'adieu du PRIEST – le choix des morceaux étant, dit-il, un des nombreux sujets de discorde entre lui et le reste du groupe… pas de réponse. Du moins directe. D'autant plus qu'à l'époque, Internet et, donc, les réseaux sociaux n'existent pas et que Downing ne dispose pas de tribune directe pour s'exprimer. « Et le lendemain, ils ont publié un communiqué de presse dans lequel ils annonçaient que j'avais pris ma retraite ! fulmine-t-il. Alors que je m'attendais à un coup de fil de leur part me disant qu'ils étaient heureux que je fasse la tournée avec eux. Du coup, je leur ai expédié une seconde lettre pour expliquer les véritables raisons de mon départ… » Moins courtoise, cela va de soi. Et ça, Rob Halford et les autres ne l'ont vraisemblablement pas oublié.
Voyant qu'il ne réintègrera pas JUDAS PRIEST, Downing, qui a coécrit de la plupart des classiques du groupe, décide alors de tenter de marcher sur ses plates-bandes avec KK's PRIEST…
Si JUDAS et Rob Halford s'étaient lancés dans une guerre verbale par médias interposés quand ce dernier a lancé FIGHT – d'où « War Of Words », le titre de son excellent premier album sorti en 1993 –, cette fois, le groupe, qui n'en pense certainement pas moins, reste d'un calme marmoréen. Il faut dire que les musiciens commençaient à en avoir leur claque de l'ambiance délétère qui régnait entre K.K. Downing et Glenn Tipton qui « passaient leur temps à se disputer comme un vieux couple », dixit Rob Halford dans Confess (Ma Confession en V.F.), sa très recommandable biographie publiée il y a quatre ans. Quant à Downing, en septembre 2018, il reviendra sur l'ensemble de sa vie et de sa carrière dans Heavy Duty, Days And Nights In Judas Priest, mémoire qui lui permettra de donner sa version des faits, sans langue de bois. En égratignant largement ses ex-collègues au passage.
Les piques du guitariste glissant sur le mur de leur indifférence, il décide alors de former son propre projet. Et il fait tout ce qui est en son pouvoir pour que l'on sache d'emblée à qui l'on a affaire : la formation est baptisée KK's PRIEST et il recrute deux ex-membres de JUDAS, Tim “Ripper” Owens, remplaçant du Metal God entre 1996 et 2003 quand ce dernier s'est lancé en solo avec FIGHT (et dont l'histoire a inspiré le film Rockstar avec Mark Wahlberg et Jennifer Aniston) ; et Les Binks, batteur sur « Stained Class », « Killing Machine » et « Unleashed In The East » (1978 pour les deux premiers, 1979 pour le “live” largement réenregistré en studio). Dont on a appris le décès en avril 2025. Un indubitable côté “club des ex” qui utilise tous les clichés heavy metal qui accompagnent les métallurgistes britanniques depuis leurs quasi débuts. Après avoir donné quelques dates en reprenant du JUDAS, KK's PRIEST enregistrera deux albums de compositions personnelles, « Sermons Of The Sinner » (2021) et « The Sinner Rides Again » (2023). Qui, si elles sont (évidemment) très bien exécutées et séduisent les nostalgiques, ne rencontrent qu'un succès d'estime. Car il n'y a pas de place pour deux JUDAS PRIEST et beaucoup considèrent le groupe de Downing comme un tribute…
A ce jour, Downing n'est remonté qu'une seule fois sur scène avec ceux qui demeurent l'un des deux plus grands fleurons du metal britannique, avec IRON MAIDEN, leurs “meilleurs ennemis” de toujours. C'était le 5 novembre 2022, à la cérémonie du Rock and Roll Hall Of Fame, cette grande mascarade, qui leur a décerné le “Musical Excellence Award”, une sorte de médaille en chocolat puisqu'ils ne seront pas officiellement intronisés. Il devra en (grande) partie sa présence au règlement qui prévoit que tous les musiciens des groupes élus – y compris les virés/partis ou décédés, comme feu Dave Holland – sont ajoutés, et interprétera, en compagnie de Glenn Tipton, Richie Faulkner (arrivé trop tard dans le groupe pour que son nom soit gravé dans les tablettes, mais néanmoins sur scène), Ian Hill, Scott Travis et Les Binks, un medley composé de “You've Got Another Thing Coming”, "Breaking The Law" et "Living After Midnight".
Un p'tit tour et puis s'en va. Le PRIEST le remerciera chaleureusement pour sa participation, tandis que le toujours respectueux Faulkner écrira sur ses réseaux sociaux que partager la scène avec Tipton et Downing avait été pour lui « une expérience inoubliable ». Mais pour Downing, de retour au sein du PRIEST, il n'y aura point.
« Encore une fois, je pense que le rôle de Ken, sa place au sein de PRIEST est permanente, avec ses talents de guitariste et avec les chansons qu'il a composées avec Glenn et moi, expliquait Rob Halford au détour d'une interview avec Radio Futuro, une radio chilienne, à la veille du lancement de la portion sud-américaine du “Invincible Shield Tour” en avril dernier. Je lui lui souhaite le meilleur. (…) Mais on ne peut pas être en colère quand quelqu'un s'en va. On ne peut pas être amer. Sans quoi, on s'empoisonne la vie. Il faut savoir tourner la page. » Un message à peine voilé à son attention…
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