25 février 2021, 19:00

UN JOUR, UN ALBUM

PANTERA : "Vulgar Display Of Power"


Le 25 février 1992 sortait « Vulgar Display Of Power » de PANTERA. L'idée n'est pas d'en faire la chronique, mais d'effectuer une rapide remise en contexte tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur le second (ou sixième selon comment l'on se place) album studio des Texans, qui fête aujourd'hui ses 29 ans.

• Sorti en 1990, « Cowboys From Hell », premier album de PANTERA pour Atco Records, filiale de la major Atlantic (mais cinquième de la formation si l'on compte leurs autoproductions), avait déjà marqué les esprits. Mais c'est un véritable sandwich de phalanges, impeccablement retranscrit par la photo de la pochette, que l'auditeur se mange en pleine face deux ans plus tard. Ambiance : ce qui vous attend à l'intérieur se voit aussi à l'extérieur.
L'album précédent des Texans, le second enregistré avec Phil Anselmo au chant, les avait placés tout en haut de la liste des nouveaux groupes à suivre de très près. Avec « Vulgar Display Of Power », produit comme son prédécesseur par Terry Date, qui réalisera également les deux suivants (« Far Beyond Driven » et « The Great Southern Trendkill »), Anselmo, les frères AbbottDiamond/Dimebag Darrell (guitares) et Vinnie Paul (batterie) – et Rex Brown (basse) se voient aussitôt propulsés dans le peloton de tête des prétendants au titre de champion du monde des poids lourds du metal en général. Et deviennent les maîtres incontestés de ce que l'on baptisera par la suite groove metal.

• Si le guitariste est encore crédité sur l'album sous le "nom de guerre" de Diamond Darrell (en hommage à "Black Diamond" de KISS dont il est un immense fan), il utilise déjà Dimebag – le terme utilisé pour 10 dollars d'herbe, dont il est un grand consommateur, et qui correspond mieux à l'image désormais plus agressive du groupe. Quant au bassiste, il avait troqué Rex Rocker contre Rex Brown, histoire d'effacer définitivement toutes traces de leur passé hard US/glamisant, qui demeurera une source de fâcherie pour les musiciens qui se montrent carrément "fuckin' hostile", pour reprendre le titre de l'un des morceaux du nouvel album, quand quiconque ose l'évoquer... 

• C'est METALLICA qui, involontairement, est à l'origine de la puissance de « Vulgar Display Of Power ». Déçus qu'Hetfield & Co aient troqué leur thrash pour un metal plus commercial sur le « Black Album » (1991), les quatre hommes décident de mettre en boîte « l'album le plus heavy de tous les temps », se souvient leur producteur Terry Date. Dont acte. « « Metallica » est un super album, mais ce n'était plus un groupe 100 % metal, analysera par la suite le regretté Vinnie Paul, disparu en juin 2018. Alors je me suis dit que l'on pouvait en profiter pour grimper d'un cran, aux côtés de MEGADETH et ANTHRAX… »

• Mais n'allez pas imaginer que PANTERA s'est "forcé" pour composer cet album. « Les morceaux sont venus tout naturellement, racontera Rex Brown, dans Survival Of The Fittest: Heavy Metal In The 1990's, un livre sorti en 2015. Après avoir autant tourné ensemble, c'était une évolution, un processus naturels. » Il reconnaît toutefois qu'aussi bon que soit « Vulgar Display Of Power », sa réussite et son impact étaient « une question de timing. Le timing, les chansons, la façon dont la maison de disques a marketé le groupe – tout était réuni. Il ne suffit pas d'avoir quatre individus et boom, c'est le succès »… Les planètes étaient alignées pour que leur règne arrive. Et il est arrivé.


PANTERA a beau avoir donné plus de 200 concerts (ils n'auront eu que 38 journées off en un an de tournée) pour promouvoir « Cowboys From Hell », aux côtés de JUDAS PRIEST, SEPULTURA, SUICIDAL TENDENCIES, EXODUS ou encore PRONG, les musiciens n'ont pas une tune. Les frangins s'en sortent en vivant chez leur mère, mais Anselmo et Brown, qui n'ont pas cette chance, se voient contraints de louer ensemble un petit appart' miteux en face du studio. Côté transport, le bassiste, qui n'a pas de quoi se payer un véhicule, se déplace à vélo, et les deux hommes se nourrissent exclusivement des sandwiches et des bières que leur file en douce un pote à eux qui travaille dans une supérette.

• Comme pour « Cowboys From Hell », c'est au Pantego Sound Studio situé à Arlington, au Texas, dont le propriétaire n'est autre que Jerry Abbott, le père de Dimebag et Vinnie Paul (qui sortira un livre en 2014 comme on le voit ci-dessous), que les musiciens vont mettre en boîte ce qui demeure, près de 30 ans après son enregistrement, un des plus grands albums de metal. Celui qui voit la véritable éclosion d'un guitar hero au son tranchant comme un rasoir, d'une section rythmique implacable et d'un chanteur assassin. Quant au mastering, c'est à New York, au Masterdisk, qu'il se déroulera.
 


• Morts de faim, dans tous les sens du terme, et alors liés par une mentalité « un pour tous, tous pour un », comme le soulignera par la suite le batteur, ils commencent à bosser sur leur nouvel album avant même que Terry Date ne débarque. Ils maquettent trois chansons, "A New Level", "Regular People (Conceit)" et "No Good (Attack The Radical)", se penchent sérieusement sur les tonalités qu'ils affineront avec le producteur, et, au passage, mettent au point le son chirurgical qui devient leur marque de fabrique. 
« Pour nous, le son heavy metal devait être semblable à celui d'une machine, expliquera Vinnie, également crédité comme ingénieur du son, mixeur et producteur aux côtés de Date. Alors nous avons beaucoup travaillé pour obtenir ce son de scie abrasive. La guitare devait avoir un son de scie circulaire, la batterie devait sortir du mix et avoir du relief. Dime et Terry ont passé de très longues heures pour obtenir le son de guitare qu'ils souhaitaient. »
Guitariste, batteur et bassiste se mettent alors à composer et enregistrer dans la journée, avant qu'Anselmo ne débarque le soir, pendant que les trois hommes font un break, souvent en allant dans un bar avant de revenir écouter les prises de leur chanteur. 

• Archi-concentrés sur l'enregistrement, les musiciens ont aussi besoin de décompresser. Entre deux visites dans les bars, ils aiment bien jouer à Chicken Brake avec la voiture de location de Terry Date. Qui consiste à tirer brusquement le frein à main quand ils roulent à bonne vitesse sur la route. « Un soir où il pleuvait et où l'on devait rouler à 100 km/h sur l'autoroute, Rex s'est dit que ça serait marrant de tirer le frein à main, racontera Paul à Revolver. La voiture a fait plusieurs têtes à queues avant de s'arrêter en plein milieu de la voie. On était livides. On s'est regardés, on a dit : "OK, il ne s'est rien passé" et on est repartis. »
Le même soir, complètement torchés, les trois hommes regagnent le studio non sans renverser au passage toutes les boîtes aux lettres du quartier. « Terry est sorti en courant et a vu les phares explosés, l'avant de la voiture complètement enfoncé et de la fumée qui s'échappait du moteur. Il ne nous a jamais engueulés comme ça. "Il va falloir que je paie les réparations, la maison de disques va me virer !" criait-il. On lui a répondu : "Calme-toi. On va s'en occuper. On va gagner assez d'argent avec cet album pour te rembourser". »

• En plein enregistrement arrive alors une proposition que les musiciens ne peuvent décemment pas refuser : participer, aux côtés de METALLICA, AC/DC, THE BLACK CROWES et E.S.T., dans le rôle des régionaux de l'étape, aux Monsters Of Rock à Moscou le 28 septembre 1991. Devant quelque 500 000 spectateurs (« Ce n'était pas une foule, c'était un océan ! » dira le chanteur) qui jamais encore n'ont eu la chance d'assister au moindre concert d'un groupe occidental. Alors un festival avec de telles pointures… « Ils ne nous avaient jamais entendus, mais ils nous ont accueillis comme si nous étions LED ZEPPELIN, racontera Anselmo. C'est de ça dont je parle quand j'ai écrit "a new level of confidence and power" ("un nouveau niveau de confiance et de puissance") dans "A New Level". » Un sacré boost pour les quatre hommes qui craignaient que les mois passés loin de la route ne leur fassent perdre la niac…
L'événement sera filmé par Wayne Isham, réalisateur de très nombreux clips qui signera, bien des années plus tard, les images de S&M2 de METALLICA et The Repentless Killogy de SLAYER. Une VHS (c'est ainsi que l'on appelait les cassettes vidéo, ô toi qui a moins de 25 ans), For Those About To Rock, Monsters In Moscow, sortira avant la fin de l'année. Comme pour AC/DC, la tête d'affiche, et METALLICA, ce sont trois chansons de PANTERA qui sont immortalisées, toutes extraites de « Cowboys From Hell » : le morceau titre, "Primal Concrete Sledge" et "Domination".






• « Vulgar Display Of Power » (un vulgaire étalage de puissance) est une phrase empruntée par Anselmo à L'Exorciste, dans la séquence où le Père Damien Karras affronte pour la première fois Pazuzu, le démon qui a pris possession de Regan McNeill (la jeune Linda Blair). Bien qu'étant un grand fan de cinéma horrifique, puisqu'il créera vingt ans plus tard avec Corey Mitchell le Housecore Horror Film Festival qui réunit concerts et projections de longs métrages, ce n'est qu'en revoyant le film par la suite que le chanteur a réalisé que la phrase s'était inscrite dans son subconscient.


• Le groupe a longtemps alimenté la rumeur qui voulait que le malheureux qui figure sur la pochette ait touché 10 dollars par coup de poing dans le visage… et il en aurait fallu 30 pour atteindre le rendu souhaité par PANTERA ! Mais Brad Guice, le photographe qui a signé le cliché et à qui l'on doit également l'artwork (pas génial) de « Cowboys From Hell », racontait une autre version à Revolver en 2012. « Nous avons cherché un homme avec les cheveux longs pour le rôle de celui qui recevait le direct en pleine face. Il y avait une lumière rouge derrière ses cheveux parce qu'au départ, la pochette devait être en couleur. L'autre mec lui a donné un coup de poing au ralenti et Sean (qui recevait une droite) a bougé la tête pour donner l'impression qu'il était touché. Tout était contrôlé, c'était du chiqué. » Au temps pour la "légende"...

"Mouth For War", le premier single sorti en février 1992, un détartrage en règle...

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• Même si dans certaines images de la vidéo de "This Love", deuxième des quatre singles extraits de l'album, on voit des prostituées, Phil explique que le texte parle en fait de son enfance. « Ma mère était super, mon père était distant. Ils étaient tous les deux extrêmement jeunes. Je suis né avec le cœur de ma mère et les tares de mon père. Je ne supportais pas mon beau-père. Je me suis barré de chez moi à 15 ans avant de revenir et de me tirer définitivement à 16 ans. J'avais aussi des sautes d'humeur et des problèmes de confiance, et c'était pire quand j'étais jeune. Je n'ai jamais pu m'investir complètement dans la majorité de mes relations. A l'époque, "This Love" pouvait parler d'une dizaine de filles différentes parce que tout ça n'était pas réel pour moi. L'amour venait d'un endroit différent, pas d'une relation entre deux personnes parce qu'enfant, je n'ai jamais vu ce que c'était. Et quand je le voyais, je n'y croyais pas ou je ne l'appréciais pas. Je ne suis plus comme ça, j'ai tiré des leçons au fil du temps. Mais c'était ma vision des choses à l'époque. »


​• « Vulgar Display Of Power » sera l'album le plus vendu de la discographie des Texans et demeure, quasiment trois décennies après sa commercialisation, une des pierres angulaires du metal des années 90 et au-delà. Classé 44e dans les charts américains, il dépassera les 2 millions d'exemplaires écoulés. Dans son aspiration, le redoutable « Far Beyond Driven », commercialisé deux ans plus tard, entrera directement en tête des charts US, toutes catégories confondues… Y'a pas à dire : c'était mieux avant !

Troisième single extrait de « Vulgar… », "Hollow", une power ballad dans la veine de "Cemetary Gates", n'aura pas droit à un clip officiel.


• Côté tournée, les Cowboys from Hell donneront pas loin de 200 concerts entre le 9 janvier 1992 et le 14 décembre 1993. Ils assureront la première partie de SOUNDGARDEN et de SKID ROW, ce qui leur permettra de toucher un public plus large, avant d'accompagner MEGADETH sur les routes européennes à l'automne, avec passage au Bol d'Or sur le Circuit du Castellet le 19 septembre, au Phénix à Mulhouse le 20 et au Zénith de Paris le 22. Ils tourneront ensuite à nouveau aux Etats-Unis avec WHITE ZOMBIE, avant de revenir en tête d'affiche en Europe, où ils feront étape à l'Elysée-Montmartre le 21 janvier 1993 avec GRUNTRUCK en ouverture.


• C'est pendant leur tournée européenne en première partie de MEGADETH que Dimebag "inventera" sa boisson de prédilection, le Black Tooth Grin. Un mélange de Crown Royal, un whisky canadien, et de Coca qui doit son nom à un passage de "Sweatin' Bullets" du groupe de Mustaine dans lequel il chante : "One day you'll know my pain/ and smile its black tooth grin" ("un jour tu connaîtras ma douleur/ et tu auras son large sourire aux dents noires"). Ironique quand on sait qu'à l'époque, le frontman des Californiens, qui avait suivi une cure de désintoxication, ne touchait plus une goutte d'alcool et interdisait à quiconque dans son entourage de boire. D'où quelques tensions entre les musiciens de PANTERA, qui mettaient un point d'honneur à se mettre minables, et l'ex-guitariste de METALLICA.

• L'édition deluxe célébrant les 20 ans de « Vulgar Display Of Power » se verra agrémentée d'un inédit, "Piss", ainsi que d'un DVD regroupant cinq morceaux live enregistrés en Italie, plus les trois clips extraits de l'album.

Quatrième et dernier single, "Walk" deviendra un des titres les plus emblématiques de PANTERA. Are you talkin' to me ? Il montera jusqu'à la 23e place des classements américains de singles.


• En 2015, l'acteur Christian Bale (Batman Begins, The Dark Knight : le Chevalier noir) apprendra à jouer de la batterie pour les besoins de The Big Short : le Casse du siècle, qui réunit également Brad Pitt, Ryan Gosling et Steve Carell à l'affiche. Il y incarne un des quatre outsiders qui profitent de la crise des subprimes pour s'enrichir aux dépens des banques et qui, en grand fan de metal qu'il est, se défoule derrière sa batterie. Dans le film, on le voit jouer sur fond de "By Demons Be Driven", « une chanson fantastique » dira-t-il en interview. Pendant quinze jours, l'acteur a suivi des cours accélérés avec un prof et écouté uniquement PANTERA et MASTODON au casque. Et il a réussi l'exploit de passer le morceau de façon réaliste à l'écran, en jouant de la double alors qu'il s'était blessé au genou. Res-pect !

Discographie
Metal Magic (1983)
Projects In The Jungle (1984)
I Am The Night (1985)
Power Metal (1988)
Cowboys From Hell (1990)
Vulgar Display Of Power (1992)
Far Beyond Driven (1994)
The Great Southern Trendkill (1996)
Official Live: 101 Proof (1997)
Reinventing The Steel (2000)
Live at Dynamo Open Air 1998 (2018)

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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