15 mars 2021, 18:41

UN JOUR, UN ALBUM

MÖTLEY CRÜE : "Mötley Crüe"


Le 15 mars 1994 sortait l'album éponyme de MÖTLEY CRÜE. L'idée n'est pas d'en faire la chronique, mais d'effectuer une rapide remise en contexte tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur le sixième album studio des Californiens, qui fête aujourd'hui ses 27 ans.
 

Sorti en 1989, « Dr. Feelgood » est l'album de la consécration pour MÖTLEY CRÜE qui occupait pourtant déjà une place de choix dans le paysage audiovisuel américain. Une réussite aussi bien artistique que commerciale qui dépassera les 6 millions de ventes rien qu'aux USA, ce qui en fera le plus gros succès des Californiens. Deux ans plus tard, après une tournée mondiale et la sortie de leur premier best of, « Decade Of Decadence », qui célèbre leurs dix années d'existence, les quatre hommes n'ont besoin que d'une chose : un break bien mérité. Mais Elektra, leur maison de disques, insiste sur le fait qu'il faut battre le fer pendant qu'il est chaud et déjà, ils doivent penser à leur sixième album. 
Pourtant, au sein du groupe, l'ambiance est délétère et Nikki Sixx, Mick Mars et Tommy Lee ne supportent plus Vince Neil qui débarque la plupart du temps aux répétitions complètement bourré et défoncé et les écourtent pour aller se taper des filles. Le fait que sa femme soit enceinte n'est qu'un détail. 
    

  


Les excès et les tournées perpétuelles ont usé les musiciens et les nerfs sont à vif. A tel point que les trois hommes pensent sérieusement à se séparer de Neil dès début 1992. Leur décision est prise en février, après un esclandre du chanteur qui leur dit qu'il déteste la direction musicale des nouveaux morceaux qu'il trouve « ridicules » avant de partir en claquant la porte. Les trois hommes considèrent qu'il a quitté le groupe, le chanteur qu'il a été viré…
Son limogeage est acté dans la foulée par Doug Thaler, le manager, qui prévient toutefois le trio qu'il fait une grossière erreur, d'autant plus qu'ils viennent de renégocier leur contrat avec Elektra pour 25 millions de dollars…

Le 14 février, jour de la Saint-Valentin, MÖTLEY CRÜE publie le communiqué suivant : « Les courses de voiture sont devenues la priorité de Vince Neil et il y consacre la majeure partie de son temps et de son énergie. Les relations du CRÜE avec Vince ont commencé à se détériorer parce que les membres du groupe trouvaient qu'il ne partageait plus leur détermination et leur passion pour la musique. Vince était le seul à ne pas participer régulièrement à la composition des chansons. » 
Cinq jours plus tard, juste avant d'entrer en cure de désintoxication après s'être fait dégager d'un hôtel, Neil répondra par voie de presse : « Je n'ai pas été viré parce que je buvais et je n'ai pas quitté le groupe pour me lancer dans la course automobile, même si c'est l'un de mes passe-temps depuis sept ans. Mais cela n'a jamais interféré avec la musique qui a toujours été ma priorité n° 1 dans la vie. Par contre, il est exact que je ne partageais pas l'enthousiasme du groupe quant à la nouvelle direction musicale. »
Un mois plus tard, le chanteur péroxydé signera un contrat solo avec Warner.

Reste maintenant à trouver un remplaçant à Vince Neil qui, s'il n’a jamais été un grand chanteur, est pour tout le monde LA voix de MÖTLEY CRÜE. Le hasard veut que, dans la foulée, sans même savoir que le groupe vient de larguer son frontman. John Corabi découvre dans Spin une interview de Nikki qui dit tout le bien qu’il pense de THE SCREAM, son groupe d'alors, qui vient de sortir son premier album, « Let It Scream ». A ne pas confondre avec SCREAM, groupe punk hardcore de Washington dans lequel jouait Dave Grohl avant NIRVANA. Il appelle alors Thaler pour lui demander de remercier le bassiste de sa part pour cette mise en lumière, mais la ligne est occupée. Car justement, Sixx est en train de discuter au téléphone avec le manager de la possibilité de l'auditionner… Dans la foulée, il contacte Corabi et lui propose de venir à leur local la semaine suivante. Ce dernier accepte.


Détail qui a son importance, John connaît certes MÖTLEY de réputation et, comme tout Américain qui se respecte, a déjà entendu certains de leurs hits. Mais il n'a pas un seul album du groupe dans sa discothèque. Et il ne les a jamais vus en concert. Du coup, il va auditionner sur leurs reprises, "Helter Skelter", "Jailhouse Rock" et "Smokin' In The Boys Room", et aussi, quand même, sur "Dr. Feelgood" et "Don't Go Away Mad", avec les paroles sous le nez.
Le courant, tant au niveau musical qu’humain, passe entre les quatre hommes et le lendemain, le chanteur revient pour une seconde audition en présence de Thaler et de l'avocat du groupe. Et quand il demande à Mick Mars de lui prêter une guitare pour jouer "Reefer Head Woman", une reprise de Jazz Gillum And His Jazz Boys déjà enregistrée par AEROSMITH, les musiciens et leur entourage sont conquis par la possibilité qui leur est donnée d'avoir non seulement un excellent vocaliste, mais aussi d’étoffer leur son. Corabi devient donc – officieusement pour des raisons légales – leur nouveau chanteur, mais il lui faudra patienter jusqu'à septembre pour signer un contrat (de 300 000 dollars) et janvier 1993 pour être officiellement présenté au monde entier comme le nouveau chanteur du CRÜE.

En attendant, les spéculations vont bon train quant au nom du remplaçant de Neil. Si celui de Corabi figure dans la liste, apparaissent également ceux de David Lee Roth, Marq Torien (BULLETBOYS) et Stephen Pearcy (RATT). Vingt ans plus tard, l'ex-SKID ROW Sebastian Bach affirmera avoir été lui aussi contacté et avoir décliné l'offre. 

C'est Bob Rock (METALLICA, BON JOVI) qui va produire leur sixième réalisation, non sans "imposer" à Lee et Sixx de se désintoxiquer au préalable, compte tenu de leur état lamentable. Après être passés par les A&M Studios de Los Angeles, c'est donc dans son fief de Vancouver, aux Little Mountain Sound Studios, que se retrouvent les musiciens qui travaillent tous les jours, sauf le dimanche. 
Corabi compose, coécrit les lyrics et tout se passe pour le mieux dans le meilleur des mondes, même si l’album, qui porte le titre de travail de « Til Death Do Us Part» (jusqu’à ce que la mort nous sépare, qui est celui d’une des nouvelles chansons) s’enregistrera sur une loooongue période de 14 mois, amenant la facture à quelque 2 millions de dollars…

Sur l’artwork original de « Mötley Crüe », dont le titre éponyme entend montrer qu’il s’agit d’un nouveau départ, Sixx portait un uniforme nazi. Elektra, qui n'avait sans doute pas vu le produit fini, demande la destruction immédiate des 500 000 exemplaires déjà pressés et commande un visuel que l'on qualifiera de plus consensuel. Le bassiste, qui apparaît quand même avec une casquette d'officier SS sur la pochette intérieure, se défendra pourtant de toute sympathie d'extrême-droite et dira juste apprécier l'esthétique du IIIe Reich, comme Lemmy ou Jeff Hanneman de SLAYER…

Premier extrait de l'album, "Hooligan's Holiday" débarque le 16 mars.


Directement entré en 7e position des charts américains (et 28e en France, la seule fois où un disque de MÖTLEY apparaîtra dans nos classements), « Mötley Crüe » sera un échec commercial. Malgré ses excellentes compositions et la voix impressionnante de Corabi, son style sombre, sans grand rapport avec celui qui avait fait la notoriété des Californiens, fait qu'il ne trouvera pas son public. Entre les fans de toujours qui les accusent d’avoir tenté une percée en territoire "grunge", le genre dominant les charts américains, et crient au scandale, et ceux qui n’ont jamais aimé le CRÜE et ne prennent même pas la peine d’y jeter une oreille, le disque n’aura eu en fait qu’un défaut : celui d’être signé par un groupe qui a eu envie d’évoluer et qui n'a pas pris la peine de changer de nom…

« Nous voulions changer de nom, expliquera John Corabi à l’occasion d’une interview en 2015. On avait pensé à NC, comme NEW CRÜE, et Nikki avait toujours eu envie d’avoir un groupe qui s‘appelle CHRISTMAS. Mais tous les gens qui vivaient du groupe, managers, maisons de disques, avocats, agents… s’y sont formellement opposé. Ils savaient que cela voudrait dire repartir si ce n’était de zéro, du moins de plus bas sur l’échelle. Et qu'il faudrait qu'ils revoient sérieusement leur pourcentage à la baisse… »

"Misunderstood", le deuxième single, ne sera pas diffusé sur MTV. Quelques semaines plus tôt, interviewé en direct sur la chaîne musicale américaine, le groupe n'apprécie pas qu'il ne soit question que du limogeage/départ de Neil plutôt que du nouvel album et quitte le plateau en plein entretien. Quand ça veut pas……


Parallèlement, en septembre 1994 sortira « Quaternary », un EP 5 titres limité à 20 000 exemplaires qui comprend un morceau de chacun des musiciens, ainsi qu'un inédit du groupe.

« Mötley Crüe » ne sera certifié que disque d'or – plus de 500 000 ventes aux USA, soit dix fois moins que « Dr. Feelgood »… Du coup, pas surprenant que le "Anywhere There’s Electricity Tour", initialement prévu dans les arenas américaines, passe finalement dans de plus petites salles que le groupe peine souvent à remplir… A tel point qu’en juin, pour ne pas que la tournée soit écourtée, Sixx et Lee font un chèque personnel de 75 000 dollars chacun... Le tour s’achèvera pourtant plus tôt que prévu, au mois d’août. Heureusement, les dates japonaises regonfleront un peu le moral des troupes, mais pas pour longtemps puisqu'ils rentreront ensuite au bercail. Clap de fin.

Avant la fin de l'année, "Uncle Jack", qui parle de l'oncle pédophile de Corabi, sortira pour la promo.


Mais le ver est dans le fruit et après avoir connu le statut de superstars, les trois musiciens originels de MÖTLEY (enfin, surtout Sixx et Lee) vivent mal cette dégringolade. Ils virent Thaler, commencent à travailler sur un nouvel album plus rock et moins sombre avec Bob Rock – avant de s’en séparer parce qu’il coûte trop cher, veulent quitter Elektra qu’ils accusent de ne pas promouvoir l’album… Et des tensions commencent à naître entre le bassiste et Corabi, Sixx rejetant une partie de la responsabilité de leur déroute sur le nouveau venu qui n'y est pourtant pour rien. « Qui aurait pu prévoir que mon album avec eux serait un tel désastre commercial ? disait, amer, le chanteur en 2018, alors qu'il faisait partie de THE DEAD DAISIES… Quand j'ai rejoint le groupe, je me suis dit que je terminerais certainement ma carrière avec eux… »I.

"Til Death Do Us Part"


En mars 1995, Elektra convoque Sixx et Lee pour leur demander de réintégrer Vince Neil dans le line-up histoire de stopper l’hémorragie. Mais ils font la sourde oreille et commenceront à travailler sur leur album suivant, baptisé « Personality #9 ». Peu à peu, Corabi est poussé vers la sortie, non sans avoir réenregistré au préalable des parties de guitare de Mick Mars, le producteur Scott Humphrey insistant sur le fait que son jeu bluesy est dépassé et qu’il les dessert plus qu’autre chose. Il sera vaguement question que John reste comme second guitariste et puis non, finalement, il se fait virer et forme UNION avec Bruce Kulick, ex-guitariste de KISS… 
Neil fera finalement son retour sur ce septième album, sorti en 1997, qui portera le titre de « Generation Swine ». Et qui ne fera guère mieux en termes de ventes que son prédécesseur…

En février 2018, John Corabi, accompagné de ses musiciens, dont son fils Ian à la batterie, sortira « Live '94 (One Night In Nashville) », enregistré en octobre 2015 à l'occasion d'une tournée qu'il a donnée aux USA et au cours de laquelle il a interprété l'intégralité de cet album si injustement ignoré.
 

Discographie
Too Fast For Live (1981)
Shout At The Devil (1983)
Theatre Of Pain (1985)
Girls, Girls, Girls (1987)
Dr. Feelgood (1989)
Mötley Crüe (1994)
Generation Swine (1997)
New Tattoo (2000)
Saints Of Los Angeles (2008)

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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