20 juin 2021, 18:55

UN JOUR, UN ALBUM

FAITH NO MORE : "The Real Thing"


Le 20 juin 1989, « The Real Thing » de FAITH NO MORE arrivait dans les bacs. L'idée n'est pas d'en faire la chronique mais d'effectuer une remise en contexte tout en rappelant quelques faits ou anecdotes que vous ignoriez peut-être sur le troisième album studio (épique, évidemment !) des Californiens qui fête aujourd'hui son 32e anniversaire… 


Le 24 mai 1988, Chuck Mosley donne ce qui sera son dernier concert avec FAITH NO MORE au Town & Country Club de Londres. Véritable pile électrique sur scène mais de plus en plus ingérable, le chanteur sera remercié d'un commun accord par Mike "Puffy" Bordin (batterie), Roddy Bottum (claviers), Jim Martin (guitares) et Bill Gould (basse), quelques jours après un échange de bourre-pifs entre les deux hommes sur scène. Ou plus exactement, le bassiste va user d'un stratagème qui avait déjà porté ses fruits à l'époque de FAITH. NO MAN, une pré-incarnation de ce qui deviendra FNM, pour se débarrasser du guitariste de l'époque : il annonce qu'il quitte le groupe. « J'ai dit que j'en avais ma claque et que j'arrêtais, se souvient ce dernier, goguenard. Le jour même, j'ai discuté avec Mike et Billy qui voulaient que l'on continue ensemble. C'est ce que l'on a fait. Ou comment virer quelqu'un sans avoir à le virer ! »

Exit donc celui qui avait rejoint le groupe quatre ans plus tôt et que l'on peut entendre sur « We Care A Lot » (1985) et « Introduce Yourself » (1987), leurs deux premiers albums. Les quatre hommes, qui sentent la pression retomber, soufflent mais n'en demeurent pas moins perplexes quant à leurs perspectives d'avenir immédiat. Gould, Bordin et Bottum n'ont en effet pas oublié qu'ils avaient galéré avec application avant de trouver Mosley. A l'époque, Courtney Love, pas encore frontwoman de HOLE et épouse de Kurt Cobain, mais amie avec Bottum, avait même tenu le micro pendant quelques mois au sein de FNM.


​Mais FAITH NO MORE, qui a connu un certain succès avec la version réenregistrée de "We Care A Lot" qui figure sur son second disque, n'entend pas baisser les bras et, dès leur retour à San Francisco, les musiciens se lancent à corps perdu dans la composition de leur troisième réalisation. Après quelques essais infructueux pour trouver leur frontman (ils envisageront même Chris Cornell de SOUNDGARDEN, mais le courant musical ne passe pas entre eux), l'homme providentiel se manifeste sous les traits (et avec les cordes vocales) de Mike Patton, 21 ans. En octobre 1986, ce dernier avait en effet donné à Mike Bordin « The Raging Wrath Of The Easter Bunny » (qu'il réenregistrera en 2020), une maquette de MR. BUNGLE, le groupe "expérimental" dans lequel il œuvre depuis le lycée, et ses capacités et son potentiel vocal ont tapé dans l'oreille de Billy Gould et du batteur dreadlocké.

Patton quitte donc sa ville natale d'Eureka, à quelque 5 heures de voitures de San Francisco, pour auditionner et décroche directement le job. Non seulement à l'aise dans tous les registres, son charisme et sa personnalité complètement barrée font de lui un frontman d'exception. En plus, son look ne correspond à aucune des mouvances à la mode à l'époque aux USA – comme le reste du groupe d'ailleurs. FAITH NO MORE est au complet et, sans le savoir, s'apprête à révolutionner le metal des années 90. 


Patton étant arrivé relativement tard dans le processus créatif de « The Real Thing », il ne participera pas à sa composition, mais écrira « tous les textes et toutes les lignes de chant en une grosse semaine » s'enthousiasme Gould, d'autant plus admiratif que tout était nettement plus compliqué avec son prédécesseur. Si le chanteur ne discute pas quand le reste du groupe lui interdit de modifier le moindre passage sur les morceaux, il refuse par contre de chanter comme sur les maquettes qu'a écoutées Matt Wallace, le producteur de FMN depuis les débuts, et privilégie la façon plus "nasillarde" qui est la sienne sur l'album.
Il faudra donc attendre « Angel Dust » pour découvrir toute la richesse de son registre. « Je pense que Mike voulait rester loyal envers MR. BUNGLE et que c'est la raison pour laquelle il a cherché à se démarquer vocalement, dira Wallace. Je ne crois pas avoir jamais travaillé avec quelqu'un d'autre qui soit autant fait pour chanter que Patton. Il donnait l'impression que tout était naturel et qu'il n'avait pas à forcer. Mais quand on écoute attentivement, il y a un sacré boulot. »
 

« Je dirais que Billy et moi sommes les fondations, Roddy la mélodie, Jim la puissance et Mike, notre chef d'orchestre. » - Mike Bordin


« Il n'y avait pas de leader dans le groupe, se souvient également le producteur. Si l'un d'entre eux avait des velléités de pouvoir, les autres lui disaient d'aller se faire foutre et le vannaient. Ça désamorçait la situation. C'est le groupe le plus démocratique avec lequel j'ai jamais travaillé. Patton et Roddy Bottum étaient très fans de Sade. Roddy était très branché techno. Mike Bordin adorait KILLING JOKE et étudiait les percus africaines à l'Université de Californie à Berkeley. Et Bill Gould était le ciment du groupe. » 
Quant à Mike Bordin, en 1989, il analysait ainsi le rôle de chacun dans le groupe : « Je dirais que Billy et moi sommes les fondations, Roddy la mélodie, Jim la puissance et Mike, notre chef d'orchestre ».

La vidéo de "From Out Nowhere", le premier single sorti le 30 octobre 1989, existe en deux versions, mais voici l'officielle, réalisée par Doug Freel qui a travaillé avec DEF LEPPARD et POISON. Le groupe la déteste, d'autant plus qu'elle n'aura pas l'impact espéré, et « qu'elle n'a aucun rapport avec ce qu'est FNM. On ne s'y reconnaît pas » dixit Mike Bordin, non sans préciser que la maison de disques ne leur avait pas demandé leur avis. ​Dans la seconde, plus en phase avec l'esprit FNM, on retrouve des images live sans doute filmées à l'occasion de leur premier concert avec Mike Patton, le 4 novembre 1988.


Même si c'est trois ans plus tard que les Californiens signeront leur chef-d'œuvre, « Angel Dust », « The Real Thing » est l'une des pièces maîtresses du metal des années 90 et l'éclectisme de ses compositions va prouver qu'un groupe peut être heavy sans être 100 % metal. Une révolution à l'époque et une leçon que retiendront de nombreuses formations, dont KORN. Du rap metal de "Epic", le second single, au jazzy "Edge Of The World", en passant par le catchy "Falling To Pieces", le pesant "Zombie Eaters", "Woodpecker From Mars", un instrumental aux claviers orientalisants, et le pop "Underwater Love", rarement formation a mieux mérité le qualificatif de "fusion".
Sans oublier, évidemment, le thrashy "Surprise, You're Dead!" qui a la particularité d'avoir été composé dix ans plus tôt par Jim Martin, alors membre d'AGENTS OF MISFORTUNE, un groupe dans lequel jouait également Cliff Burton, futur bassiste de METALLICA. A qui le guitariste doit d'ailleurs sa place au sein de FNM« Bill et moi, on était dans un restau mexicain de la baie de San Francisco quand Cliff s'est pointé et nous a dit : "Il faut que vous preniez Jim dans votre groupe. Il a un boulot alimentaire et ça le flingue. C'est le mec qu'il vous faut" » raconte Bordin
Une sublime reprise de "War Pigs" de BLACK SABBATH pour faire bonne mesure et voilà l'album parfait pour présenter son nouveau chanteur à l'international.
 

Même si c'est trois ans plus tard que les Californiens signeront leur chef-d'œuvre, « Angel Dust », « The Real Thing » est l'une des pièces maîtresses du metal des années 90 et l'éclectisme de ses compos prouve qu'un groupe peut être heavy sans être 100% metal.


Seulement voilà : si la Grande-Bretagne est très réceptive à « The Real Thing » (leur concert sold-out du 28 avril 1990 à la Brixton Academy sera immortalisé et sortira un an plus tard), la sauce ne prend pas aux USA. Et Slash Records, le label des cinq hommes, leur demande de commencer à penser sérieusement à l'album suivant, non sans accepter toutefois de sortir un second single, "Epic"... qui ne tardera pas à enflammer les charts outre-Atlantique. 9e aux USA, en tête des classements australiens pendant trois semaines, il permet aux musiciens de passer à la vitesse supérieure et reste à ce jour leur chanson la plus connue.
« On était en Europe quand notre manager nous a téléphoné pour nous dire que "Epic" faisait un carton aux USA, commente PattonOn pensait qu'il nous disait ça pour que l'on continue la tournée, mais on en avait marre et on voulait rentrer chez nous. Et puis, en arrivant dans une chambre d'hôtel, j'ai mis la télé et je suis tombé sur la vidéo. Et j'ai compris qu'il ne se foutait pas de nous. »


La vidéo déclenchera également les foudres d'Anthony Kiedis, chanteur de RED HOT CHILI PEPPERS, qui trouve que Mike Patton l'imite un peu trop pour être honnête. « Mon batteur a dit qu'il allait kidnapper Patton, lui raser la tête et lui couper un pied pour qu'il soit obligé de trouver son propre style » déclarera-t-il en ricanant (jaune) dans une interview avec Kerrang!… Patton, taquin, le remerciera par presse interposée pour cet indéniable coup de pub. Mais même si RHCP prétendra qu'il n'y a aucun malaise entre les deux formations et que c'est la presse (qui a parfois bon dos) qui a sorti certains propos de leur contexte, Kiedis fera virer MR. BUNGLE de la programmation de plusieurs festivals européens à la fin des années 90, non sans faire du chantage, à base de « C'est eux ou nous ». Et comme RED HOT CHILI PEPPERS est la tête d'affiche de ces dates, le choix des organisateurs est vite fait…

Troisième single, "Falling To Pieces", sort dans les bacs le 2 juillet 1990 et montera jusqu'à la 40e place des charts américains. A noter que la vidéo utilise une version remixée de la chanson.


En 1989, « The Real Thing » sera nommé aux 32e Grammy Awards dans la catégorie  "Meilleure performance metal". Mais c'est METALLICA, de grands compagnons de beuverie de Jim Martin, qui raflera la mise avec "One". Oui, FNM concourrait dans la catégorie "albums", Hetfield & Cie, chansons, mais peu importe… Un an plus tard, "Epic" sera nommé en catégorie "Meilleure performance hard rock", mais c'est LIVING COLOUR et son "Time's Up" qui remporteront l'award.

"Surprise! You're Dead!" fera figure de quatrième single non officiel. C'est Gould qui a réalisé et produit la vidéo que l'on ne découvrira qu'en 1993 sur Video Croissant, seconde compilation VHS regroupant la majeure partie des clips de FAITH NO MORE.


FAITH NO MORE ouvrira pour METALLICA aux USA sur leur "Damaged Justice Tour" et s'aventurera en Europe pendant l'été 1989, mais il faudra patienter jusqu'à 19 mai 1990 pour que Patton & Cie débarquent en France, à l'Elysée-Montmartre à Paris, en tête d'affiche, accompagnés de PRONG. Ils seront de retour aux Monsters Of Rock, toujours dans la capitale des Gaules, le 3 septembre, aux côtés d'AEROSMITH, WHITESNAKE, POISON, THE QUIREBOYS et FACE TO FACE, quatre jours après s'être produits au Summer Festival à Libourne. Au cours de leur longue tournée, ils partageront l'affiche avec des groupes aussi divers que VOIVOD, SOUNDGARDEN, Billy Idol, Robert Plant et même POISON.
Fin 1990, « The Real Thing » sera certifié disque de platine aux USA (plus d'un million d'exemplaires écoulés) et dépassera les 4 millions de ventes dans le monde, dont plus de 100 000 au Royaume-Uni où il est disque d'or.
 


Cinquième et dernier single extrait de l'album, "Edge Of The World" n'aura pas droit à un clip. Les Californiens l'interpréteront toutefois dans le cadre de l'émission "Yo! MTV Raps", présentée par Dr. Dre en 1990. Un magnifique morceau dans lequel Mike Patton se mue en pédophile qui tente de séduire une fillette à qui il promet de l'emmener "au bout du monde"... Ce qui semble échapper aux deux regrettables rappers.


En 2015 sortira une édition deluxe de l'album, agrémentée d'un second CD regroupant 11 titres, dont 5 live enregistrés sur la tournée "The Real Thing" en 1989 et 1990.


Discographie

We Care a Lot (1985)
Introduce Yourself  (1987)
The Real Thing (1989)
You Fat Bastards: Live At The Brixton Academy (1991)
Angel Dust (1992)
King For A Day... Fool For A Lifetime (1995)
Album Of The Year (1997)
Sol Invictus (2015)

Blogger : Laurence Faure
Au sujet de l'auteur
Laurence Faure
Le hard rock, Laurence est tombée dedans il y a déjà pas mal d'années. Mais partant du principe que «Si c'est trop fort, c'est que t'es trop vieux» et qu'elle écoute toujours la musique sur 11, elle pense être la preuve vivante que le metal à haute dose est une véritable fontaine de jouvence. Ou alors elle est sourde, mais laissez-la rêver… Après avoir “religieusement” lu la presse française de la grande époque, Laurence rejoint Hard Rock Magazine en tant que journaliste et secrétaire de rédaction, avant d'en devenir brièvement rédac' chef. Débarquée et résolue à changer de milieu, LF œuvre désormais dans la presse spécialisée (sports mécaniques), mais comme il n'y a vraiment que le metal qui fait battre son petit cœur, quand HARD FORCE lui a proposé de rejoindre le team fin 2013, elle est arrivée “fast as a shark”.
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